Jean-Pascal Goutouly, ingénieur de recherche à l’INRA de Bordeaux : Rendement, le défi du climat

4 novembre 2016

Ingénieur de recherche à l’INRA de Bordeaux, Jean-Pascal Goutouly travaille sur la physiologie de la vigne à l’heure du changement climatique. Au passage, il a rappelé certains fondamentaux et déminé quelques idées reçues.

« On devrait entendre ce genre de personnes plus souvent ». Plusieurs heures après l’intervention de J.P Goutouly, l’exposé de l’ingénieur-chercheur trottait encore dans la tête des courtiers. C’est rare mais il arrive parfois que des contributions marquent les esprits, souvent parce que le timing est le bon et aussi parce que l’on a l’impression de toucher à l’essentiel, même de manière fugace et parcellaire. Cette sensation, on l’avait déjà eu en novembre 2009, à l’assemblée générale de la Sica UVPC. A Gallienne (domaine Martell), Claude Bourguignon y avait présenté ses travaux sur la vie microbienne du sol. D’un coup le silence se fait plus dense, l’attention plus soutenue. Certes le format du 20 septembre était moins complet et ambitieux mais le chercheur de l’INRA a su captiver son auditoire. Rien de révolutionnaire pourtant mais un rappel des bases de la physiologie de la vigne qui, paradoxalement, ont peut-être tendance à être oubliées.

 

Jean-Pascal Goutouly s’est interrogé sur le rendement. « Le rendement, c’est quoi, des hectolitres, des litres, des quintaux, corrélés à une qualité, pour quelle viticulture, en fonction de quelles exigences ? » D’emblée, il a rappelé que le rendement s’élaborait sur deux ans, au moment de l’initiation florale l’année d’avant récolte et durant la floraison, l’année de la récolte (avec les risques bien connus de coulure). « Mais, a t-il précisé, le rendement dépend à 60 % du nombre de grappes, initié l’année N-1. »  A titre d’exemple, il a cité les faibles sorties 2012, pénalisées par le printemps 2011. L’impact climatique sur le potentiel de rendement ne se borne donc pas à ce qui s’est passé l’année de la récolte.  Une évidence à conserver en mémoire.

 

Autre évidence en ces temps de changement climatique, c’est qu’il ne faut pas rajouter « du stress au stress », par exemple en ne protégeant pas, en fin de saison, la vigne contre le mildiou mosaïque ou en la prétaillant de manière un peu trop sévère. « On touche au redémarrage de la plante ».

 

Que faut-il penser de la hausse moyenne des températures ? Vrai ou faux ? « Vrai » a affirmé sans hésiter le chercheur. « Nous avons gagné 1 degré en vingt ans et pour le futur, les prévisions les plus sérieuses tablent sur 4 degrés supplémentaires en moyenne, ce qui se traduira, en période estivale, par des hausses de températures pouvant aller jusqu’à  6 ou 8 °. » Et que l’on ne se trompe pas ! Ce n’est pas parce que le niveau des pluies est correct que le stress hydrique n’existe pas. « Même si le sol semble présenter une bonne réserve hydrique, il fait plus chaud. Donc l’eau s’évapore plus vite, le sol se dessèche, les stomates s’ouvrent davantage. C’est ainsi que la plante souffre de la sécheresse. »

 

Ne pas ajouter du stress au stress

 

Face à des contraintes hydriques qui augmentent, que faire ? Pour le technicien, la seule attitude à tenir consiste « à ne pas surajouter du stress». »D’autant plus, ajoute-t-il, que même si cela nous échappe parfois, le stress a tendance à devenir répétitif, année après année. Un élément aggravant. » Il poursuit – « Je pense qu’un jour ou l’autre, il va falloir se poser sérieusement la question de l’introduction de l’irrigation dans nos vignes. Le sujet se fait de plus en plus pressant en Languedoc-Roussillon mais même le CIVB, à Bordeaux, commence à en discuter. Après, se posera la question du partage de la ressource… » Cela dit, la réflexion lui paraît incontournable, pour des raisons tout simplement liées à la physiologie de la vigne. « A 80 % le système racinaire de la vigne se situe dans le 1er mètre. C’est le petit chevelu racinaire blanc qui absorbe l’alimentation. La vie du sol se passe entre 0 et 50 cm. En profondeur, il n’y a rien, pas d’azote, pas d’air. D’où la pluie comme un stimulus de croissance et l’effet inverse en cas de sécheresse. » Toujours dans la même veine, il a mis en garde contre le stress de l’enherbement, la tendance à diminuer la fertilisation constatée dans certaines appellations ou encore ces viticulteurs qui « rechignent à arracher et replanter pour conserver leurs vieilles vignes. »   « Une vigne n’est peut-être pas faite pour durer ?» s’est-il interrogé, déboulonnant au passage une idée reçue. « Avant le phylloxera, en Bourgogne, la durée de vie d’une vigne ne dépassait pas 18 / 20 ans. Un délai encore plus court en Champagne. »

« Qu’est-ce que le terroir ? » lui ont demandé les courtiers. « Je sais que le sujet passionnait quelqu’un comme Denis Doubourdieu. Pour moi, il s’agit d’une notion beaucoup plus ténue. Sans doute le terroir a-t-il à voir avec le métabolisme de la plante. Le stress hydrique, la privation d’azote induisent  des réactions chimiques. L’énergie que la plante n’utilise pas pour son développement se transforme en composés aromatiques, les tanins.  Les anciens avaient une phrase pour résumer cela – « il faut que la vigne souffre pour donner des produits de qualité. » Pour autant, le goût du caillou ne passe pas dans le verre, pas plus que celui de la griotte ou du pamplemousse. » L’ingénieur croît davantage aux vertus du cépage qui arrive à maturité en développant le fameux équilibre « sucre, acidité, antocyanes ». « S’il fait trop froid, il n’y a pas assez de sucre. S’il fait trop chaud, l’acidité se dégrade ainsi que les composés phénoliques. C’est Pourquoi à Bordeaux, l’année 2003 n’est pas autant de garde que prévu. La charpente tannique a souffert. »

 

Ainsi et même s’il peut exister un « stress positif », le chercheur préfère avoir à faire à une plante en bonne santé plutôt qu’à une plante qui souffre. Comment recréer, demain, les conditions d’une harmonie plante / climat ?

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