Ile de Ré : des dégâts de plus en plus importants

22 juillet 2010

Quatre mois après la tempête Xynthia, le vignoble de l’île de Ré continue de voir s’amplifier les effets du sel, suite à la submersion d’environ 150 ha. Jean-Jacques Enet, le président de la coopérative, considère que de semaine en semaine, la mortalité des souches s’accroît. L’ampleur des dégâts est en train de « saper » l’énergie et le moral de la vingtaine de viticulteurs concernés par le sinistre. Plus de la moitié d’entre eux ont leur vignoble touché à plus de 30 % et dans cette période où habituellement les raisins grossissent à vue d’œil, cette année ils voient mourir chaque jour de nouvelles souches.

Aussitôt la tempête, les effets de submersion étaient spectaculaires et préoccupants mais la vigne en plein repos végétatif n’extériorisait aucun dégât. Les viticulteurs rétais ont attendu le débourrement avec une profonde angoisse. Dans toutes les zones où l’eau de mer a stagné pendant une à deux semaines, comment les ceps allaient-ils se comporter ? Tout le monde espérait que le printemps 2010 serait pluvieux pour lessiver le sel en surface et en profondeur. Un printemps humide comme celui de 2007 ou de 2008 aurait été « bienfaiteur » dans l’île de Ré. Malheureusement, le niveau des précipitations a été maigre en 2010 et les effets du sel au niveau des racines bloquent l’alimentation hydrique.

Un printemps sec qui n’a pas lessivé  le sel en profondeur

rameaux_qui_se_deschent.jpgLes mois de mars et avril particulièrement secs n’ont pas permis de désaliniser les zones submergées. Lionel Dumas Lattaque, le conseiller viticole de la Chambre d’agriculture qui a en charge le suivi du vignoble rétais, dresse un bilan de la situation pas très encourageant en cette fin de mois de juin : « Comme beaucoup de parcelles ont une nature de sol sableuse, l’apport de gypse pour désaliniser n’était pas envisageable. Alors on espérait que les mois de mars et avril seraient pluvieux. Au moins 110 à 130 mm d’eau de pluies auraient été indispensables pour faire descendre le sel dans le sol en dessous le niveau des racines. Or, il n’est malheureusement tombé que 70 mm pendant ces deux mois et rien du tout en mai. L’insuffisance des pluies n’a pas permis de lessiver suffisamment le sel et le phénomène de désalinisation n’a pas été suffisant. Au moment du débourrement, les bourgeons se sont mis à pousser normalement, même dans les cuvettes où l’eau avait stagné. La pousse a eu lieu grâce aux réserves contenues dans les souches, mais ensuite les racines n’ont pas pris le relais. A partir du stade 3 à 4 feuilles étalées, il s’est produit un phénomène de foltage caractéristique traduisant l’absence d’assimilation hydrique et le dessèchement des jeunes pousses a été rapide et il continue actuellement. Dans les parcelles plates proches de l’Océan à La Couarde, les dégâts sont considérables et la mortalité des souches s’amplifie. Les pluies autour du 16 juin ont été trop tardives et insuffisantes en quantité. La première évaluation des dégâts faite au mois de mars risque d’être revue à la hausse suite au climat sec de ce printemps. Il aurait fallu pouvoir irriguer en apportant 150 mm en trois fois pour éliminer le sel au niveau des racines, mais cela n’a pas été possible. Beaucoup de parcelles sont touchées de façon irrégulière avec des dégâts très importants dans les cuvettes et les points bas des plantations, ce qui va rendre le travail d’entreplantation difficile à réaliser. Le côté le plus démoralisant de la situation réside dans la dégradation permanente de la situation au fil des semaines. Au moment du débourrement, un certain nombre de viticulteurs qui voyaient leurs vignes pousser avaient retrouvé un peu le moral. Ils se disaient que, finalement, les conséquences de la submersion ne seraient peut-être pas aussi importantes. Devant l’ampleur des dégâts et leur continuité dans le temps, travailler dans les vignes est devenu un crève-cœur. L’abattement et le désarroi sont réels pour une dizaine de viticulteurs. La viabilité économique de certaines propriétés est en péril. »

Des dégâts en constante augmentation
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  Le technicien vigne de la coopérative, M. Jérôme Poulard, est lui aussi pessimiste vis-à-vis du comportement des vignes submergées. L’augmentation permanente des dégâts depuis le débourrement est une réalité difficile à vivre, d’où une inquiétude vis-à-vis du potentiel de production de certaines propriétés : « Dans certaines parcelles totalement submergées, les conséquences de la salinisation étaient prévisibles et inévitables, mais dans d’autres situations où l’eau a finalement stagné peu de temps, on est assez surpris par l’intensité des dégâts. Il y a des vignes, que l’on croyait sauvées au 20 mai, qui se sont mises à dépérir. Des souches ayant fait une pousse de 30 à 50 cm se dessèchent. La situation devient complexe car on continue de voir des ceps mourir de façon isolée ou en périphérie des cuvettes submergées. Jeune, vieux ceps, Ugni blanc, Merlot, porte-greffe faible ou vigoureux, la mortalité s’accroît partout dans des proportions qui dépassent nos premières estimations. Plusieurs viticulteurs qui avaient pratiqué un arrosage important des cuvettes inondées ne sont pas récompensés de leurs efforts. Le sel continue de faire des ravages. La surface d’origine de 50 à 60 ha dont on avait envisagé la replantation au départ va donc s’accroître. En effet, envisager d’entreplanter 10 % des souches mortes dans une parcelle est possible mais, lorsque le taux de mortalité atteint 30 %, il va falloir carrément arracher toute la plantation. Quand ce sont des vignes en pleine production parfaitement entretenues, c’est tout de même rageant ! »

Jean-Jacques Enet, lui-même viticulteur (sinistré) et président de la cave, est lui aussi très inquiet pour l’avenir de certains de ces collègues et celui de la coopérative : « Moralement, ce sinistre est très difficile à vivre, surtout dans cette période de relevage car dans certaines
parcelles on n’a rien à faire. On est complètement abattu et démoralisé. Sur la vingtaine d’exploitations concernées par les phénomènes de submersion, 10 d’entre elles ont au moins 30 % des surfaces touchées. Je me demande si certains viticulteurs pourtant très motivés jusqu’à présent auront l’énergie et la motivation pour replanter des surfaces aussi importantes. Probablement plus de 60 ha de vignes vont devoir être replantés, ce qui risque de déstabiliser l’équilibre économique des exploitations et celui aussi de la cave. La perte de récolte va durer au moins cinq ans et à ce jour dans l’île de Ré, nous n’avons pas encore perçu un euro d’aides (pour la vigne et les pommes de terre). Pourtant, les élus locaux plaident notre cause auprès de l’Administration et des instances départementales et régionales. Nous sommes conscients que les demandes d’indemnisation en vigne portent sur des sommes conséquentes (avoisinant
30 000 €/ha) et l’instruction de tel dossier nécessite un peu de temps. Il faut sûrement que l’on soit patient mais quand chaque jour on voit ses pieds de vignes mourir, l’attente devient longue ! »

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