Groupe Pernod Ricard : Pionnier dans la réflexion Alcool / Consommateur

18 novembre 2011

En 1971, la société Pernod crée l’IREB (l’Institut d’étude scientifique sur les boissons). Depuis plus de 40 ans, l’actuel numéro 2
mondial des groupes de spiritueux s’intéresse aux questions posées par la consommation d’alcool. Une réflexion qui se traduit notamment par un « code de bonnes conduites » dans les campagnes de communication. Partisan d’une prévention qui associe les producteurs, il prône des messages ciblés – tournés vers la sécurité routière, les mineurs, les femmes enceintes… – plutôt qu’une politique tout public qui, estime-t-il, « a montré ses limites ». Interview d’Armand Hennon, directeur des affaires publiques chez Pernod-Ricard.

p44.jpgA quand remonte la réflexion du groupe sur la consommation d’alcool et ses effets sur la santé ?

Dès 1971, Jean Hemard, président de Pernod, crée l’IREB, l’Institut scientifique sur les boissons. Les sociétés Pernod et Ricard fusionnent en 1975 et, depuis lors, la réflexion sur les questions que pose l’alcool sur le corps humain n’a jamais cessé. Sans jeu de mot, on peut dire que le groupe et ses différentes entités en sont littéralement « imprégnés ». Cette réflexion englobe les aspects médicaux, bio-médicaux mais aussi une approche sociétale, épidémiologie (étude des populations). Adhèrent aujourd’hui à l’IREB les sociétés Bacardi-Martini France, Rémy Cointreau, Cusenier, Pernod-Ricard ainsi que les brasseurs Kronenbourg et Heineken France.

De quoi s’occupe l’IREB ?

En fait, l’IREB abrite un comité scientifique qui, de manière tout à fait indépendante, alloue des budgets à des études liées à la dépendance alcoolique. Marie Choquet, chercheuse à l’Inserm, préside le comité scientifique. Quant aux entreprises adhérentes, elles apportent leur soutien financier à l’IREB, à hauteur d’un million d’€/an.

Peut-on dire que toutes les consommations d’alcool sont à risque ?

Dans l’absolu, oui. En revanche, il existe des consommations à moindre risque, que des repères aident à définir. Si l’on ne dépasse pas ces niveaux, il n’y a aucune raison d’avoir des problèmes avec l’alcool. Dans le cadre d‘une consommation d’alcool « responsable », l’OMS, l’Organisation mondiale de la santé, recommande de ne pas dépasser deux verres par jour pour les femmes, trois verres pour les hommes. Elle préconise également une journée d’abstinence par semaine. Nous avons endossé ces recommandations. Elles sont reprises dans une brochure diffusée auprès des 18 000 collaborateurs du groupe, partout dans le monde et traduite dans toutes les langues.

Quelle portée accordez-vous à cette démarche ? Revêt-elle une dimension commerciale, dans le sens du « politiquement correct » ?

Non. Elle n’alimente aucun argument commercial. C’est juste une affaire de conviction. Il paraît normal qu’une entreprise comme la nôtre, dont les équipes sont au plus près de l’acte de consommation, s’implique dans l’information au consommateur, relaye les messages de prévention. Dans les années 90 nous avons soutenu fortement la politique du Gouvernement en faveur de la sécurité routière, contre l’alcool au volant. Nous ne nous sommes pas opposés à ce que le taux légal d’alcool dans le sang passe de 0,8 à 0,7 g par litre puis à plus ou moins 0,5. Quand Mme Bachelot, en 2009, dans le volet Prévention/santé publique de sa loi Hôpital, Patients… a relevé l’âge légal de 16 ans à 18 ans pour la vente de spiritueux dans les grandes surfaces et les débits de boissons, nous y avons également souscrit. Cette règle a d’ailleurs été élargie aux vins et à la bière. Concrètement, Pernod-Ricard distribue entre 200 et 300 000 éthylotests par an (coût unitaire de 50 c – ndlr). Entreprise & Prévention, l’association loi 1901 qui regroupe les entreprises du secteur pour la prévention du risque alcool, a mis en place l’an dernier 600 bornes éthylotests électroniques dans les discothèques. C’est l’opération C ki ki Conduit. L’association compte parmi ses membres Bacardi, Moët-Hennessy Diageo, Marnier-Lapostolle, Rémy-Cointreau, Pernod-Ricard, Kronenbourg. Elle s’est dotée d’un budget annuel de 2 millions d’€.

Quel regard portez-vous sur la politique de prévention du Gouvernement ?

Nous, nous pensons qu’une politique de prévention ciblée – sur l’alcool au volant, les mineurs, les femmes enceintes – s’avère bien plus pertinente qu’une politique tout publi qui a montré ses limites. Ce n’est pas en faisant reculer le niveau d’alcool moyen que l’on éliminera les accidents mortels liés à l’alcool au volant. Aujourd’hui encore, 30 % des accidents mortels sont dus à une consommation excessive d’alcool et, parmi eux, 30 % des conducteurs ont des taux supérieurs à 2 g. Il y a vraiment une partie de la population qui reste réfractaire à la politique de sécurité routière. Il faut se pencher sur cette question. Existe par exemple le système éthylotest anti-démarrage (EAD) qui pourrait équiper les véhicules des récidivistes. Ce système, testé avec succès depuis plus de vingt ans aux Etats-Unis ou au Canada, est en train de prendre pied en France. La Haute-Savoie l’expérimente depuis 2004. A priori, il va s’étendre à d’autres territoires. Les décrets entrent en vigueur. On pourrait aussi imaginer une politique davantage ciblée régionalement. A l’évidence, des régions sont plus problématiques que d’autres. En ce qui concerne la protection des mineurs, notre association Entreprise & Prévention a lancé depuis 2010 une expérience dans le Limousin, en accord avec le rectorat de Limoges. Le protocole s’adresse aux collégiens. Il court sur trois ans, de la 6e à la 4e. Il porte sur 53 classes et 1 200 élèves. Il s’agit de leur donner des outils sur la connaissance du risque alcool et travailler sur les compétences dites « psychosociales », l’estime de soi. Le programme s’est appuyé sur les meilleurs experts nationaux et régionaux. C’est Martine Daoust, à l’époque recteur de l’académie de Limoges, qui a donné son feu vert à l’opération. Professeur en pharmacologie, Martine Daoust a conduit des recherches sur l’alcool et les pharmacodépendances. Elle vient de remettre au ministère de l’Enseignement supérieur un rapport sur l’alcoolisme étudiant. Martine Daoust est aujourd’hui recteur de l’académie de Poitiers.

Avec l’association Entreprise & Prévention, vous participez au Conseil de modération et de prévention. Qu’en est-il ?

Le Conseil de modération et de prévention a été créé par le gouvernement Raffarin en 2004. Il associe quatre types d’acteurs : les filières professionnelles, les associations de santé, les parlementaires et les représentants de l’Administration, santé, éducation nationale, transport, sécurité routière. Il s’agit en effet d’un lieu d’échanges privilégié avec les pouvoirs publics. Les participants sont consultés par l’échelon politique sur la réglementation des boissons alcooliques et sur les campagnes de prévention publiques. Je sais que l’ANPAA, l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie, refuse d’y siéger, contestant le fait « que des professionnels aient un droit de regard sur les campagnes de prévention ». Le Gouvernement fait confiance à ce conseil, qui est tout à fait reconnu par les autorités.

Y exercez-vous un « lobbying » ?

Si lobbying il y a, c’est en faveur d’une prévention qui associe les producteurs, en les laissant bien sûr à leur place. Les producteurs n’ont pas à se substituer aux autorités de santé. Ce que nous mettons en avant par contre, c’est notre relation aux consommateurs. A ce titre-là, nous pensons avoir un rôle à jouer en terme de missions de santé publique.

Les « alcooliers » sont souvent montrés du doigt. Qu’en pensez-vous ?

D’abord nous récusons ce terme d’alcoolier. Il est forcément simplificateur, stigmatisant. Derrière, il y a des producteurs de Cognac, d’Armagnac, de Champagne, de liqueurs. C’est pour cela que nous préférons parler de producteurs de spiritueux. Quant à l’opposition entre le vin et les spiritueux, sous-jacente, elle paraît infondée. Il y aurait d’un côté le vin, produit de culture, et de l’autre l’industrie de l’alcool. Cela ne fonctionne pas ainsi. Les deux mondes s’interpénètrent. Avec Mumm, Perriet-Jouet, Martell, Pernod-Ricard est un acteur important du secteur viticole. A travers ses représentants, il est membre du CIVC, du BNIC, de Vin & Société, de la Fédération des vins aromatisés. Ceci dit, si des antagonismes risquent de subsister longtemps entre vins et alcools, le travail effectué par Vin & Société a été et reste très utile. Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons avancer sur de bonnes bases.

Quid de la taxation des produits alcoolisés. Est-ce un enjeu de santé publique ?

Les Gouvernements successifs utilisent l’argument de santé publique pour justifier l’augmentation des taxes. En fait, nous savons bien qu’il n’y a aucune corrélation mathématique entre une augmentation des taxes et une diminution de la consommation. Qui plus est, la consommation d’alcool diminue structurellement depuis 40 ans. Le secteur viticole a réagi par une politique de montée en gamme. Nous sommes tout à fait sur cette ligne. A ce jour, le prélèvement fiscal sur les spiritueux consommés en France s’élève à 2,5 milliards d’€. Nous ne contestons pas l’existence d’une ponction fiscale sur l’alcool mais au moins serait-il bien que le Gouvernement utilise cette manne fiscale pour lutter contre l’alcoolisme.

Que pensez-vous du « binge drinking », ou « l’alcool défonce » ?

La loi Bachelot du 21 juillet 2009 a interdit la vente d’alcool au forfait, ce que l’on appelait les « open bars ». Contre un prix d’entrée l’on pouvait boire jusqu’à plus soif. Cette pratique est aujourd’hui proscrite. Avec Entreprise & Prévention, nous menons des opérations auprès des associations d’étudiants pour expliquer la loi et inciter à son respect : qu’est-ce qu’un open bar ? quel risque pénal encouru, les dommages liés au coma éthylique… Nous menons aussi une communication auprès des étudiants pour les encourager à ne pas acheter plus de quatre boissons de contremarque dans une soirée (les « Happy hours »). Vous savez, il existait par le passé des opérations dites « bar à gogo ». Il est vital de limiter ces excès. Je suis père de trois filles dont deux étudiantes. Il y va de notre responsabilité, à tous. Il faut également souligner l’équivalence des boissons. Beaucoup de gens ignorent qu’il y a autant d’alcool pur dans un verre de vin, un demi de bière ou un verre de Whisky de 3 cl. Nous communiquons là-dessus. A travers son code de bonne conduite, Pernod-Ricard veille à ce que son packaging ne vise pas explicitement les mineurs. De même les propriétaires de marque du groupe comme Absolut, Malibu, Wyborowa s’interdisent les promotions conjointes avec des boissons énergisantes de type Red Bull. L’alcool, quand on en boit beaucoup, a un effet anesthésiant. A l’inverse, le Red Bull, fidèle à son message, « permet de tenir jusqu’au bout de la nuit ». Il masque complètement l’effet auto-régulateur de l’alcool. Il a aussi un effet déshydratant.

Vous évoquez un « code de bonne conduite » de Pernod-Ricard. De quoi s’agit-il ?

En plus du corpus législatif et réglementaire encadrant strictement la publicité en France – la fameuse loi Evin – nous avons signé avec notre association professionnelle Entreprise & Prévention, une charte éthique liée à la publicité. Mais Pernod-Ricard a aussi son propre code qui, lui, s’applique à tous les pays où le groupe est présent. Le code de bonne conduite Pernod-Ricard s’interdit d’associer la publicité sur l’alcool à la séduction ainsi qu’à des performances physiques ou mentales. Le groupe s’interdit aussi d’avoir recours à des mannequins de moins de 25 ans, eu égard à l’incitation aux mineurs. Existe également tout un volet – épais – sur la publicité digitale (sur internet). En France aujourd’hui, il n’est plus question de prôner une consommation excessive. Mais ailleurs dans le monde, de tels freins n’existent pas toujours. Pour un groupe multinational comme le nôtre, qui possède des filiales dans le monde entier, il était stratégique d’avoir une politique concertée et formalisée en matière de communication. Et ce d’autant plus que, chez Pernod-Ricard, les « propriétaires de marques » sont maîtres de la production et du marketing de leur produit. Ainsi, toutes les campagnes de communication des 18 marques stratégiques du groupe sont contrôlées par un petit comité d’approbation interne, dont je m’occupe. Nous délivrons trois types d’avis : vert, accord sans réserve ; orange, accord sous réserve de modifications et rouge, refus et nouvelle soumission. Un reporting est fait mensuellement au comité exécutif du groupe. Ce mois-ci, nous avons examiné une cinquantaine de campagnes. En général, les avis sont verts à 95-98 %. Cet excellent score s’explique par le travail d’amont réalisé. Existe en effet une procédure dite de « conseil confidentiel » avant projet. Sur les premiers éléments de campagne disponibles, nous disons ce qui va, ce qui ne va pas. Attention, ici, l’acteur en train de consommer a l’air un peu jeune, là le script n’est pas tout à fait pertinent, la personne dans la voiture n’a pas sa ceinture de sécurité. Des petites choses comme ça. Les agences corrigent le tir. Sans cette procédure, environ 30 % des projets seraient soumis à modifications. Depuis six ans, ont ainsi été visées 700 campagnes de communication. En tout, nous n’avons eu à déplorer qu’une plainte, qui concernait encore une promotion que nous n’avions pas examinée.

Ces mesures de vigilance sont-elles compatibles avec « la bonne marche des affaires » ?

Pernod-Ricard s’est engagé dans une politique de prémiumisation. Vous le constatez avec le Cognac mais c’est la même chose avec le Whisky, le Champagne. Les mesures de vigilance mise en place par notre groupe ne sont pas un alibi commercial pour se donner bonne conscience. Elles font partie intrinsèque de la gestion des marques. Le public jugerait de façon très sévère une entreprise qui ne serait pas « éthique » dans sa communication. Par le passé, Benetton a pris des risques très importants. Les consommateurs se sont détournés un temps de la marque. Les comportements de rupture sont très difficiles à négocier. Bien sûr, l’efficacité de ces mesures de vigilance réclame d’être vérifiées, mesurées. C’est d’ailleurs une posture générale du groupe : ne pas prétendre « être le meilleur » mais évaluer, juger sur pièce. L’impact de nos campagnes de communication sur une consommation responsable sera contrôlé.

En matière de prévention, le groupe a-t-il des projets ?

Depuis deux ans, une grande réflexion entoure le « business model » de Pernod-Ricard. A la demande de nos patrons des 70 pays et des « propriétaires de marques », aux cinq points déjà actés en a été rajouté un sixième. Il concerne la « responsabilité sociétale de l’entreprise ». A l’intérieur de ce volet, la notion de consommation responsable a été unanimement désignée comme prioritaire. A 75 %, les ressources humaines et financières du volet sociétal seront dévolues à la prise de conscience d’une consommation responsable. Chaque zone, chaque pays doit faire de la consommation responsable sa priorité. Pernod-Ricard a l’obligation d’être en pointe sur le sujet, y compris dans les pays qui sont dépourvus de législation. Pernod-Ricard fut le premier à accompagner la sécurité routière chinoise sur une campagne de sensibilisation au risque d’alcool au volant. Le logo français « femme enceinte » va équiper toutes nos bouteilles de par le monde. Que ce soit en Europe, en Argentine, au Brésil, au Kazakstan ou en Chine, le groupe a le devoir d’être irréprochable sur ces questions.

 

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