Depuis plusieurs années, les livreurs de la sica Cognac bénéficiaient de l’expertise de marché de Claude de Jouvencel. Cet homme élégant et courtois, directeur général adjoint des produits de la société Marnier-Lapostolle, partageait avec eux son expérience très concrète de l’univers des spiritueux, lui qui travaillait depuis plus de 40 ans dans le secteur des vins et spiritueux. Après de longues années chez Moët-Hennessy, il avait intégré Marnier-Lapostolle au début des années 90, où il participa grandement à l’expansion de la marque. Excellent connaisseur des arcanes du métier, reconnu de ses pairs – il préside depuis 2008 la FEVS, Fédération des exportateurs de vins et spiritueux – il était tout sauf un homme détaché des réalités. Proche du terrain, il savait donner à ses propos le piquant de la chose vue, sans tabou ni langue de bois. A chaque fois il faisait un « tabac » auprès des adhérents de la sica. En juin 2009, Claude de Jouvencel a fait valoir ses droits à la retraite. Il est remplacé à son poste par Tom Van Lambaart, déjà présent dans la société comme directeur commercial après avoir travaillé chez le brasseur Heineken. D’origine hollandaise, cet homme de 45 ans, issu des meilleures Business School – il est passé par l’INSEAD de Fontainebleau – est à son tour chargé d’arpenter les marchés et de définir la stratégie de la marque, en accord avec les directeurs généraux de la maison, tous membres de la famille Marnier-Lapostolle. Avec une implication non feinte, qui s’est traduite par une bonne heure d’intervention, T. Van Lambaart a brossé devant les viticulteurs charentais un tableau très complet de la position de la marque – ses attentes, ses atouts, ses défis – au sein du monde des spiritueux (voir encadré).
trente-neuvième exercice
Lors de l’assemblée générale du 12 février dernier, la sica Cognac, coopérative associée de la maison Marnier-Lapostolle, a bouclé son 39e exercice. Jean-Bernard de Larquier, son président, a souligné la grande stabilité qui caractérisait les relations entre les deux partenaires. Une stabilité qui se vérifie dans les chiffres. Sur l’exercice 2008-2009, le volume livré à la sica n’a varié que de 25 hl AP par rapport à la campagne précédente. Il s’est élevé à 5 045 hl AP. La valorisation moyenne, tous crus confondus, a atteint 854 € l’hl AP et même un peu plus – 863 € – si l’on y ajoute les primes qualité. « C’est 1 % de plus que lors de la campagne 1993-1994 » a relevé J.-B. de Larquier. Pour mémoire, en 2002-2003, la valorisation moyenne des eaux-de-vie ne dépassait pas 742 €. Un sérieux rattrapage s’est donc opéré ces dernières années. Cette politique de prix s’est doublée d’une hausse différenciée par cru, pour aller dans le sens d’un resserrement de l’échelle de valeur entre les crus. Aujourd’hui, l’écart entre Bons Bois et Grande Champagne n’excède pas 17 %. « C’est tout à fait acceptable » a noté le président de la sica. Patrick Raguenaud, directeur des sites de production de Bourg-Charente, Neauphle-le-Château et Gaillon, a évoqué la mise en place, en 2008, d’un groupe de travail sur les prix. Au départ, le groupe issu du conseil d’administration s’est attaché à cerner le prix de revient, avec tous les éléments de base s’y rattachant, puis a défini la marge de vieillissement. Aujourd’hui, ses membres continuent de travailler, avec une mission de suivi et de dialogue. « Nous souhaitons nous inscrire dans une politique de rémunération stable, surtout pas en dessous du prix de revient. »
un ajustement
Sur la campagne en cours, la maison Marnier-Lapostolle a décidé de diminuer ses achats de 5 %. Un ajustement dicté par les circonstances. « La crise ne nous a pas épargnés. Sur tous nos marchés, nous avons constaté une baisse des volumes. » Alors que l’industrie des spiritueux affichait une perte globale de marché de 12 % en 2009, le liquoriste de Bourg-Charente a souhaité limiter le recul de ses achats à – 5 % et espère reprendre le cours normal des choses « dès que les ventes repartiront ». Au sein de la sica, l’équilibre des crus se maintient. Par contre, sur la campagne 2008-2009, la livraison d’eaux-de-vie rassises de comptes 0 et 1 s’était un peu dégradée, passant de 1 900 hl AP à 1 640 hl AP. Les prévisions de la campagne en cours indiquent une remontée des apports d’eaux-de-vie rassises, de + 8 %. Reste encore un léger delta pour récupérer le terrain perdu. « C’est très important pour la qualité Grand-Marnier de pouvoir compter sur des eaux-de-vie rassises. Ces dernières doivent représenter chez nous environ 35 % des apports » a indiqué le directeur des sites de production.
Chargée du suivi qualité des fournisseurs et depuis peu maître de chai (suite au départ à la retraite de Christian Gaussem), Adeline Loizeau a présenté le rapport qualité de la campagne 2008-2009. La récolte 2008 fut un « bon millésime, très droit et intéressant aromatiquement ». Satisfecit donc, notamment pour les eaux-de-vie de Petite Champagne et de Bons Bois. Sur les Borderies et Fins Bois, la technicienne a noté quelques disparités, plus fréquentes sur les Borderies, un cru qui représente environ 40 % des apports à la sica. Sur les eaux-de-vie rassises, elle a mis en garde contre les défauts liés à un logement sous mauvais bois. D’où la recommandation d’un renouvellement modéré, mais d’un renouvellement tout de même, de la futaille. En ce qui concerne les eaux-de-vie de la récolte 2009, les commentaires d’A. Loizeau rejoignent ceux de ses collègues des autres maisons. « Les eaux-de-vie restent acceptables, ne présentent pas de défauts majeurs mais manquent de complexité aromatique et de typicité. » Ainsi, le millésime 2009 se classe un peu en deçà des millésimes précédents. Cela dit, Adeline Loizeau constate une qualité générale des apports à la sica qui va en s’améliorant. « C’est dû, dit-elle, à un meilleur suivi des vinifications, à une qualité supérieure des vins mis en œuvre pour la distillation. » En revanche, un effort est encore attendu sur les rassises, avec une prise en compte accrue de la futaille. Adeline Loizeau a rappelé sa disponibilité à l’égard des viticulteurs, pour tout conseil technique.
projet industriel
C’est en 1880 que Louis-Alexandre Marnier-Lapostolle crée la liqueur Grand-Marnier. Il implante son activité à Neauphle-le-Château, petite ville des Yvelines, à l’ouest de la capitale. Encore aujourd’hui, Neauphle est le haut lieu de l’élaboration du parfum d’orange amère, l’autre ingrédient de base de la liqueur Grand-Marnier à côté du Cognac. Les zestes en provenance d’Haïti sont réceptionnés, stockés ; ils macèrent et sont distillés sur place. Sauf que la distillerie se situe au cœur de la cité, avec les contraintes que cela engendre. C’est ainsi qu’un projet industriel a vu le jour : redéployer l’activité de la société sur les deux sites de Gaillon et de Bourg-Charente, afin de mieux respecter les règles de sécurité mais aussi rationaliser les tâches et réaliser des économies de coûts de fonctionnement. Le site de Gaillon, dans l’Eure, s’est toujours consacré à l’assemblage et à l’expédition de la liqueur (chaîne de mise en bouteille…). Il voit son rôle confirmé. Quant au site de Bourg, il va regrouper toute la production, la partie Cognacs bien sûr mais aussi la partie distillation des écorces d’orange amère. Une révolution sur les berges de la Charente ! En tant que directeur des trois sites de production, Patrick Raguenaud est chargé de piloter le projet. Il s’en réjouit pour Bourg et pour la région délimitée. « Cette initiative renforce l’ancrage local de Grand-Marnier. » Un architecte a été pressenti ainsi qu’un maître d’œuvre. Remise des clés prévue pour juin 2012. D’ici là, un bâtiment va être construit sur une parcelle de vigne arrachée derrière le château et quatre alambics seront installés. Le challenge ! Que l’ensemble soit beau à regarder et respecte l’environnement car, plus que jamais, le site de Bourg a vocation à être un vecteur d’image pour la société. « La famille y sera très attentive » confirme P. Raguenaud. Quant au process de production du parfum d’orange amère, on peut le résumer sommairement de la manière suivante : les écorces amères macèrent trois semaines dans des cuves inox de 600-700 l remplis d’alcool. Les appareils à distiller ne sont pas des alambics charentais mais des colonnes équipées chacune de six plateaux. Dans ce type d’appareil, le chauffage à la vapeur se substitue au chauffage à feu nu. Le distillat récupéré constituera « l’essence d’orange amère » qui, mélangé au Cognac, donnera la liqueur Grand-Marnier. Il est prévu que les distillateurs de Neauphle-le-Château s’installent en Charente « avec armes et bagages » à partir de 2012. Cette mobilité, discutée et plutôt bien vécue, n’a pas soulevé d’objections parmi le personnel.
Cette nouvelle organisation met en lumière la partie « écorce », souvent ignorée à Cognac. Dans un registre beaucoup plus dramatique, le tremblement de terre de Port-au-Prince, le 12 janvier dernier, a rappelé la contribution d’Haïti à la liqueur d’orange. Si la partie de l’île où se trouvent les plantations n’a pas été touchée, une migration de population s’est opérée. En signe de solidarité, le conseil d’administration de la sica Cognac a décidé d’effectuer un don de 5 000 v sur ses fonds propres pour aider la population haïtienne. Cette somme vient abonder le compte déjà ouvert à Saint-Domingue par la société Marnier en faveur des sinistrés. Les fonds sont gérés directement sur place par le représentant de la société.
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