Fabrication Cognac : Compétitivité de la distillation à façon : Un bouilleur de profession s’exprime

21 février 2013

Jean-Manuel Géral prend bien soin de signaler qu’il s’exprime au nom de son entreprise – distilleries Rémy Piron à Angeac-Champagne – et non au titre de ses pairs, qu’il n’a pas vocation à représenter. Cependant, il défend la compétitivité des bouilleurs de profession, sans contester aux bouilleurs de cru l’intérêt de distiller à domicile. Tout est affaire, selon lui, de circonstances et de priorité à donner aux investissements, dans une période où rénovation du vignoble et plus-value de vieillissement apparaissent comme deux axes forts.

p18.jpgQue vous inspire cette vague d’installations d’alambics à la viticulture ?

J’ai un peu l’impression qu’il s’agit, aujourd’hui, d’un « prêt à penser ». Tout se passe comme si monter une chaudière à la propriété devenait quasi une obligation. Pour s’accomplir totalement, un viticulteur se doit de posséder son alambic. Des organismes s’emploient à relayer cette idée. Après tout, pourquoi pas, quand tout est possible ; quand le besoin de calculer ne se fait pas sentir ; quand il n’y a pas d’arbitrage à faire entre différents choix d’investissements. Mais est-ce toujours la bonne solution ? Cela me semble dommage de monter un alambic en prenant le risque de sacrifier la rénovation de son vignoble, le chai de vinification voire le chai de vieillissement. La somme de 10 à 40 €/hl AP – l’économie sur le coût de la distillation à façon (1) – est-elle vraiment significative par rapport à la valorisation attachée à la vente d’eaux-de-vie rassises ? Il faut bien voir que la distillation à façon n’empêche en rien le vieillissement pour son propre compte. Les deux ne sont pas liés.

Constatez-vous une baisse d’activité des bouilleurs de profession ?

Je ne dirais pas vraiment cela. L’an dernier, les bouilleurs de profession ont passé en chaudière plus de 60 % des vins de la région. Une sorte de record, dû en partie à la hausse du rendement Cognac. Par contre, nous constatons forcément une évasion de certains de nos volumes. Tous les alambics qui s’installent induisent immanquablement une déperdition d’activité. En outre, cela exacerbe la concurrence entre bouilleurs de profession. Ce n’est pas la seule raison mais c’est sans doute l’une des explications de la hausse des prix des vins cette campagne. Je constate par ailleurs que depuis plusieurs années déjà, les bouilleurs de profession rognent sur leur marge de distillation pour compenser la hausse du prix du gaz. Pour 2012-2013, nos frais de distillation ont augmenté de 4 € alors que le gaz, au tuyau comme à la bonbonne, progressait de 6 à 7 € par hl AP. Dans le même temps, les eaux-de-vie 00 sous contrat gagnaient 100 €. C’est une bonne chose tant que l’activité est soutenue et que tout le monde s’en sort. Mais cela ne durera pas indéfiniment. A un moment donné, il faudra repréciser les choses.

Entre bouilleurs de cru à domicile et bouilleurs de profession, de quel côté penche le cœur du négoce ?

Je crois que les maisons de négoce observent une certaine neutralité. Peut-être, au cours du temps, ont-elles pu pencher plus dans un sens, plus dans l’autre. Mais, sur la durée, les choses s’équilibrent. Elles ont besoin de la diversité des bouilleurs de cru pour typer leurs assemblages. Mais elles ont aussi besoin de volumes conséquents pour apporter une qualité homogène. Au final, elles souhaitent sans doute que les deux parties fonctionnent bien. Les bouilleurs de profession ont profité de l’embellie pour entamer la mise à niveau de leurs installations. Ici, sur la distillerie, nous nous sommes équipés d’une structure innovante de traitement des effluents, en autonomie complète. Nous avons mis en place le process d’Agri-Environnement développé dans d’autres régions viticoles, en l’adaptant aux vinasses charentaises. Nos effluents finissent sur un lit de roseaux, à un niveau de DCO (Demande chimique en oxygène) très bas. Plus généralement, les bouilleurs de profession ont accompli un gros travail de mise aux normes. Ce travail, me semble-t-il, reste plus largement à faire du côté des bouilleurs de cru.

L’agrandissement des exploitations  représente-elle un facteur de risque à vos yeux ?

La première étape de la concentration peut en effet conduire des personnes à monter un alambic, pour des raisons plus ou moins justifiées. Après, si l’on arrive sur des structures plus importantes, nous aurons sans doute davantage affaire à des gestionnaires, qui pourront s’interroger sur l’intérêt de s’équiper individuellement. Des partenariats sont envisageables. Au plan administratif, il est moins coûteux de distiller un seul lot de 500 hl de pur que 50 lots de 10 de pur. On peut aussi imaginer des formules modulables comme celle de distiller chez soi le volume stocké en compte d’âge, en confiant au bouilleur de profession la part contractuelle en 00. Dans les années futures, je crois beaucoup à la déclinaison à la carte de nos prestations.

Dans le domaine des services à apporter à vos partenaires, avez-vous des efforts à accomplir ?

Si le marché continue de bien se porter – ce que j’espère – nous allons sans doute aller de plus en plus loin dans les propositions de stockage, individuel ou collectif, que ce soit comme bouilleur de profession ou comme marchand en gros. Ici, nous avons réagi assez vite pour permettre à une quarantaine de viticulteurs de loger des volumes assez conséquents de climatique. Cela dit, la capacité de répondre à de nouveaux besoins fait partie de l’ADN de la profession de distillateur. C’est un processus « gagnant/gagnant », basé sur une relation commerciale forte, où la confiance joue un grand rôle. Par ses conseils, en lien avec ceux du négoce, la profession a contribué à l’amélioration globale des vins. Elle participe aux débouchés, épaule ses clients dans le domaine administratif. Ce sera encore vrai avec la prochaine dématérialisation. Aux dernières nouvelles, elle s’annonce pour le 1er juillet 2014. C’est en tout cas la date qui flotte dans l’air. Cette réflexion sur les services innovants à apporter à nos clients viticulteurs, nous devons aussi l’avoir à l’adresse du négoce.

Une tendance se dessine aujourd’hui : l’acquisition de foncier viticole par les bouilleurs de profession. Qu’en pensez-vous ?

C’est une stratégie respectable, qui a du sens pour pérenniser l’outil. Maintenant, est-ce la raison d’être des bouilleurs de profession que d’acquérir du foncier ? Une des richesses de notre métier tient justement à la relation que nous entretenons avec les viticulteurs. Le fait d’avoir 100 ou 150 clients paraît tout de même plus intéressant que de compter sur 2 ou 3 clients – dont nous-mêmes – pour réaliser 50 % de notre approvisionnement. Ensuite, cela suppose quelques pré-requis comme celui de disposer de capitaux.

Par le passé, objectivement, cela s’est révélé une bonne stratégie, quand les vignes valaient 25 ou 30 000 € l’ha. A 50 ou 60 000 € l’ha, cette politique s’avérerait beaucoup plus compliquée à mettre en œuvre dans l’avenir.

A votre avis, pour un bouilleur de profession, quelle est la bonne taille de l’atelier de distillation ?

La question de la taille critique est une vraie interrogation, que je me pose tous les jours ou presque. De petites unités de 4 ou 6 alambics, conduits par un seul distillateur de profession – ça existe – s’en sortent bien. Les unités de 10-12 alambics supportent davantage de frais dans le suivi commercial, administratif. En contrepartie,
elles amortissent mieux leurs équipements. Il y a ensuite les grosses unités de 40-45 alambics et davantage encore. Souvent, elles tournent avec 3-4 distillateurs ou plus mais, en tout cas, leur nombre n’est pas proportionnel à celui des chaudières. Les unités moyennes ont presque autant de distillateurs, pour des questions de rotation, de temps de repos obligatoire, de respect de la législation du travail. Par contre, il faut alimenter les 40 chaudières. Au final, j’ai plutôt l’impression que les bouilleurs de profession cherchent à consolider leurs positions plutôt qu’à s’agrandir, exceptées peut-être les plus petites unités, qui tendent vers les 10-12 alambics.

A terme, le prix du gaz risque-t-il de représenter un butoir pour vos entreprises ?

Si l’évolution du prix du gaz est pénalisante, elle présente au moins un avantage, celui d’être la même pour tous, gros ou petit, bouilleurs de profession ou bouilleurs de cru. Le gaz n’introduit pas de distorsion de concurrence. A court terme, je ne vois pas d’alternative. Par contre, il y a certainement des économies à réaliser, avec le foyer fermé par exemple, qui réduit la consommation de 15 à 25 % ; ou avec des outils de gestion de l’ouverture des cheminées. En mesurant le CO2, ils permettent de piloter la combustion de manière bien plus fine. Après, il y a tout l’aspect régulation des températures et l’économie d’électricité par refroidissement naturel, dans des bassins. La facture peut s’en trouver réduite de moitié. Le bois est parfois présenté comme une solution de substitution au gaz. Mais outre le process technique à mettre au point, se posent des problèmes d’approvisionnement. Avant de se positionner, les fournisseurs de bois demanderaient probablement à la filière Cognac de s’engager. Elle-même attend des fournisseurs des assurances sur les volumes. C’est un peu le serpent qui se mord la queue. Mais pourquoi pas à terme. De toute façon, il faudra bien envisager le problème du bilan carbone. Nous y travaillons déjà.

(1) Les frais de distillation (les prix pratiqués communément par les bouilleurs de profession) jouent dans une fourchette de 120 à 160 E par hl AP, tarifs « tout compris » incluant le courtage, la dépollution, le transport des vins à l’aller, celui des eaux-de-vie au retour.

Distillation – Les chiffres

Sur la campagne 2011-2012, les bouilleurs de profession auront distillé 58,8 % des volumes d’eaux-de-vie, les bouilleurs de cru 39,6 % et les coopératives de distillation 1,6 %.

Au plan numérique, toujours sur la même période (récolte 2011), ont été recensés 114 bouilleurs de profession (possédant 1 015 alambics) – 4 105 bouilleurs de cru, à domicile et/ou à façon – 6 coopératives de distillation. Parmi elles, 3 coopératives sont assimilées aux bouilleurs de cru (Coopératives de Ré, Oléron, Union de Mosnac – 33 alambics) et 3 coopératives aux bouilleurs de profession (Jurignacaise, Montmoreau, Brossac – 6 alambics).

En ce qui concerne les bouilleurs de cru à domicile, leur population s’établissait en 2011 à 1 337 (pas de chiffres disponibles sur le nombre de chaudières). Quant à ceux qui recouraient aux deux méthodes* – à domicile et à façon – on en dénombrait 3 261.

A noter que la région délimitée Cognac compte 4 912 viticulteurs, producteurs de vins aptes à la distillation Cognac.

* A l’une, à l’autre, ou aux deux. Chiffres issus du Service statistiques du BNIC (base déclarative).

Président de la société, Jean-Manuel Géral a racheté avec son épouse Cécile l’entreprise familiale en 2007. La distillerie Rémy Piron possède 12 alambics. Elle traite 6 000 hl AP, dont une petite partie sous-traitée. L’entreprise travaille essentiellement pour Rémy Martin, depuis sa création, dans la foulée des partenariats mis en place par la maison de négoce avec la viticulture, à l’orée des années 60. La distillerie Rémy Piron compte environ 150 « clients », au sens charentais du terme.

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