Droits de plantation : Les élus lancés à l’assaut de la commission

17 novembre 2011

En fait, tout se joue à Bruxelles mais Bruxelles n’est que l’émanation des Etats membres. Dans son âpre combat pour sauver les droits de plantation, la filière viticole mobilise les élus des régions viticoles, pour qu’ils agissent eux-mêmes sur leurs gouvernements. L’opération, d’envergure européenne, a été lancée le 13 octobre dernier à Bordeaux. Elle se poursuivra jusqu’au 15 février 2012 en France, Italie et Espagne. Objectif : faire bouger la Commission, afin qu’elle revienne sur la libéralisation des droits de plantation.

p16.jpgBordeaux, deuxième région viticole européenne à mobiliser ses élus pour qu’ils signent une motion de défense des droits de plantation. La première fut les Charentes mais dans un autre cadre (voir encadré). Le jeudi 13 octobre, une rencontre était organisée entre la filière vin (1) et les élus girondins, députés, sénateurs, conseillers généraux, conseillers régionaux, association de maires… En fin de matinée, le Bar à Vin du CIVB (l’interprofession bordelaise) a accueilli la signature du document. Cela s’est fait sans distinction politique. Elus de gauche, de droite, du centre, Europe Ecologie les Verts… tous, ils ont paraphé la motion, au nom de la défense des territoires, de la petite viticulture, du patrimoine viticole… Cette initiative a sonné le coup d’envoi d’une opération de plus large envergure. Elle va courir sur plusieurs mois (jusqu’au 15 février) et jouera aussi bien en France qu’en l’Italie ou en Espagne. Il s’agit, d’une part, de « mettre sur la place publique » la question de la libéralisation des droits de plantation et, d’autre part, de pousser les élus à agir sur leurs gouvernements respectifs. Pourquoi faire ? Pour que ces mêmes gouvernements travaillent d’arrache-pied à la constitution d’une majorité qualifiée au Conseil des ministres de l’Agriculture des 27. Cette étape semble en effet fondamentale. Dacian Ciolos, le commissaire européen à l’Agriculture, n’a-t-il pas clairement dit « qu’il mettrait un texte sur la table le jour où il y aurait une majorité qualifiée au Conseil des ministres de l’Agriculture. » La filière viticole européenne l’a pris au mot. Rappelons que la Commission européenne a seule droit d’initiative en matière de proposition de texte européen. Elle peut revenir sur le texte prévoyant le démantèlement des droits de plantation. Mais faut-il encore que les politiques le décident. En 2008, ce sont ces mêmes « politiques », réunis en Conseil des ministres de l’Agriculture des 27, qui décidèrent, au terme d’un vaste marchandage, d’abroger les droits de plantation au-delà du 1er janvier 2016. Ce que le Conseil a fait, il n’y a aujourd’hui que le Conseil pour le défaire. Cette majorité qualifiée au Conseil, qui obligerait la Commission à retricoter un projet de texte autour du maintien des droits de plantation, n’est pas acquise. Au 13 octobre, manquaient encore 66 voix pour l’accrocher. Si 12 pays membres (2) sur les 27 ont déjà pris position en faveur des droits de plantation, quatre pays viticoles ne se sont pas encore prononcés sur le sujet : Grèce, Slovénie, Malte et Bulgarie. A l’évidence, il s’agit d’une cible de choix. D’ailleurs, un bon espoir existe de les faire bouger. Malgré tout, cela ne suffira pas à boucler le tour de table. Pour aller chercher les voix manquantes, il faudra « taper dans le dur », c’est-à-dire s’adresser aux pays non producteurs de vin. Les regards se tournent vers des pays agricoles, réputés plutôt sensibles à la régulation, Irlande, Finlande, Belgique, Lituanie. Mais, là encore, ce ne sera pas suffisant. Le décompte donne 6 voix manquantes. Ne pourra plus jouer alors que la « pure » diplomatie, d’Etat à Etat. D’où la réflexion de Bernard Farges, secrétaire général de la CNAOC, par ailleurs président du Syndicat des bordeaux et bordeaux supérieurs : « A l’heure où nous parlons, le dossier des droits de plantation est devenu éminemment politique. Il n’est plus technique mais politique. »

Le responsable viticole s’est employé à démontrer l’inanité de la suppression des droits de plantation. L’exemple lui est venu de tout près, de sa région. « Entre 1995 et 2002, Bordeaux a planté 10 000 ha de vignes, sur la base d’un besoin de croissance identifié à la fin des années 90. Mais la hausse du potentiel viticole de 10 % a provoqué un déséquilibre structurel, dévastateur tant sur les marchés que sur les prix. Un delta de 2 à 3 000 ha en trop a suffi à inverser la tendance. En matière viticole, nous sommes confrontés à des ajustements très très fins. » La crainte, avec la dérégulation des droits de plantation ! Que ce que n’a pas pu empêcher un encadrement de la production devienne la norme en situation de dérégulation. Avec, en prime, les avatars du « tout libéral ». « Que les vignes descendent dans la plaine, car il est plus simple de produire dans la plaine que sur les coteaux ; que des parcelles de 50 ha d’un seul tenant se constituent, comme en Australie. » Bernard Farges a évoqué le risque de délocalisation d’une partie du vignoble dans les grandes plaines de l’Europe de l’Est, là où la main-d’œuvre est moins chère ainsi que la perte de valorisation des vignobles. « Les vignerons alsaciens ont déjà anticipé ce risque pour leurs cépages. »

Plutôt que de vouloir s’interposer à une suppression des droits de plantation, déjà inscrite dans le texte de l’OCM vin, ne serait-il pas plus astucieux de prendre acte de cette disparition et de travailler à un nouveau mécanisme d’encadrement ? Une idée qui court en Charentes (voir encadré). Réponse sans ambiguïté du secrétaire général de la CNAOC. « Nous ne sommes pas en train de définir un plan B. Il faut faire simple et remettre en place un outil qui fonctionne. Evidemment que cet outil n’est pas parfait et qu’il conviendra de le rénover. Mais ce sera dans un second temps. L’urgence, aujourd’hui, c’est de maintenir le système. Des discussions autour de l’amélioration nous feraient perdre trop de temps. »

Car, pour la filière viticole, il y a urgence à réagir et cette urgence a un nom. Elle s’appelle « négociation de la PAC ». Les accords sur la PAC doivent intervenir fin 2012. Jusqu’à la fin programmée des droits de plantation en 2016, la Commission n’a pas d’autres rendez-vous législatifs. D’où la nécessité, pour la viticulture européenne, de « mettre un pied dans la porte ». « Un rapport d’étape sur l’OCM vin est bien prévu en 2013 mais aucune obligation n’est faite à la Commission d’émettre une proposition législative sur le vin » énoncent les défenseurs des droits de plantation. Le 12 octobre 2011, la Commission européenne a publié sa proposition législative sur la réforme de la PAC post 2014. Comme prévu, les droits de plantation n’y figuraient pas. La Commission reste sourde à la demande de la filière viticole. « On s’y attendait » déclare le lobby viticole. Pour lui, la voie politique reste plus que jamais d’actualité, comme le seul recours possible. « Le Conseil doit peser sur la Commission, afin de l’amener à légiférer sur le vin à l’intérieur de la PAC. C’est la priorité des priorités. Et d’autant plus que l’objectif est atteignable. »

(1) Etaient présents à Bordeaux les représentants de la Fédération européenne des vins à origine (EFOW), la CNAOC, la Fédération des grands vins de bordeaux.
(2) Allemagne, France, Italie, Espagne, Autriche, Hongrie, Portugal, Roumanie, Luxembourg, Chypre, République tchèque, Slovaquie.

 

Droits de plantation : repères
l 2006 – La Commission, dirigée par
Mariann Fischer-Boel, propose de supprimer les droits de plantation.
l 2008 – Le Conseil des ministres de l’Agriculture de l’UE vote la nouvelle OCM vin. Elle prévoit la disparition des droits de plantation le 1er janvier 2016 (1er janvier 2019 pour ceux qui demanderaient une « rallonge »).
l 2009-2010 – La CNAOC s’affirme comme le chef de fil de la résistance à la libéralisation.
l 24 mars 2010 – Sous l’impulsion de la viticulture des Landers, la chancelière allemande Angela Merkel annonce à Stuttgart son opposition à la libéralisation des droits de plantation.
l 18 janvier 2011 – Nicolas Sarkozy lui emboîte le pas, lors des vœux au monde rural en Alsace.
l 4 avril 2011 – Colloque au Sénat sur les droits de plantation, en présence du ministre de l’Agriculture Bruno Le Maire.
l 10 juin 2011 – La Slovaquie, 12e Etat membre à se prononcer contre la libéralisation.
l 23 juin 2011 – Les députés européens adoptent le rapport Dess. Il demande le maintien des droits de plantation au-delà de 2015. Il réclame que la question soit traitée dans le rapport d’étape de 2012, avec amendement sur les droits de plantation.
l 13 octobre 2011 – les régions viticoles lancent l’opération « mobilisation des élus ». Coup d’envoi à Bordeaux.

En soutien aux régions
Dans cette opération de sensibilisation des politiques, les Fédérations nationale et européenne – CNAOC, EFOW – se placent volontiers en retrait. « Nous intervenons en soutien aux régions » indique-t-on. Il s’agit de « créer le buzz », « mettre le sujet sur la place publique » afin qu’il ne se confine pas « à un débat d’initiés ». Accessoirement, la volonté consiste à canaliser les initiatives. « Que tout le monde se retrouve sous une même bannière » afin de créer un effet de masse. L’action lancée à Bordeaux a vocation à perdurer, au moins jusqu’à la mi-février. Un premier bilan sera alors tiré. S’adressant essentiellement aux élus, le message ne fera pas l’objet d’une mise en ligne sur un site dédié. Par contre, il sera visible sur Facebook. La plupart des collectivités locales utilisent les réseaux sociaux. Quant aux viticulteurs, on fera certainement appelle à eux mais plus tard. « Nos viticulteurs seront facilement mobilisables quand on aura besoin d’eux. » Toute bonne stratégie se conçoit crescendo.

PAPE : faire du Cognac un laboratoire
A Cognac, certains considèrent que la région des Charentes serait un bon « laboratoire » pour tester, « grandeur nature », un encadrement de la production basé non plus sur les droits de plantation mais sur les volumes. C’est la déclinaison du Pape (Production annuelle par exploitation), système modélisé et soutenu par le SVBC.
« Nous sommes une région extrêmement structurée, où viticulture et négoce s’entendent plutôt bien et où l’interprofession est puissante. Nous avons le profil pour tester un système proposant une alternative aux droits de plantation. » Qui dit cela ? Des membres du SVBC (Syndicat des viticulteurs bouilleurs de cru), à la veille de voir leur syndicat se fondre dans une structure commune partagée avec le SGV, l’UGVC (l’Union générale des viticulteurs pour l’AOC Cognac). Envie de poser des jalons avant de perdre – un peu – de son identité ? Envie de rassurer les adhérents de la première heure ? Envie de pousser son « bébé », tant qu’il a les coudées franches pour le faire ? Quoi qu’il en soit, le SVBC ne désarme pas. Il soutient avec foi son Pape. Décomplexé et sans état d’âme.
Europe – « Nous avons la conviction que le maintien des droits de la plantation sera indéfendable face à l’Europe. Prétendre que les droits de plantation ne coûtent rien est faux. Il n’y a qu’à voir ce qu’a coûté la distillation obligatoire, rien qu’en Charentes. C’est pour cela que Bernard Guionnet avait insisté pour que nous proposions un système dérogatoire, qui puisse s’interposer à la libéralisation totale, “au n’importe où, n’importe comment”. »
Négociation – « La négociation sur les droits de plantation s’est retrouvée dans un “paquet” où figuraient des tas de sujets. On ne peut pas revenir en arrière, sauf à rouvrir le “paquet” dans sa globalité. Une négociation est réussie si personne ne perd la face. »
Droits de plantation – « Souvenez-vous. En 2008, Cognac fut à deux doigts de demander des droits de plantation. Si un système souple permet de continuer à contrôler le volume total produit dans la région, c’est extrêmement positif. »
Dans les deux sens – « Le Pape peut jouer dans les deux sens. Il peut permettre de dégraisser la surface pour faire l’économie de coûts de production. Il peut aussi permettre d’augmenter un peu la surface, pour accompagner le marché. Avec le niveau de besoin actuel, nous touchons aux limites de production du vignoble. Il faut se donner les outils de la progression. Par contre, l’essentiel est de savoir que, le jour où je souhaiterais vendre mon droit à produire, suivra un hectare de vigne et pas autre chose ; pas 0,70 ha ou 1,20 ha. Un hectare = un droit à produire. C’est l’idée de ne pas pouvoir déconnecter le droit à produire du sol. Ce rattachement du droit de plantation au sol résout beaucoup de problèmes : transferts de cru à cru, vis-à-vis du fermier… »
Dans toutes les régions viticoles – « Le pape peut fonctionner dans toutes les régions viticoles. Il ne présente pas forcément les mêmes vertus mais il fonctionne. Il marche bien en Charentes car les rendements sont élevés. A Bordeaux, si les rendements sont de 60 hl vol./ha et le besoin économique de 40, rien n’empêche d’arracher des vignes. Quand le rendement économique se situe au-dessous du rendement qualitatif, le Pape prend tout son sens. S’il se situe au dessus, ce n’est pas grave. » Laboratoire – « Les Charentes pourraient cons-
tituer un très bon laboratoire pour tester le Pape “grandeur nature”. »

Majorité qualifiée au Conseil : 255 voix et 14 Etats membres.
Aujourd’hui : 189 voix et 12 Etats membres.

Elus charentais
Pionniers dans la dénonciation de la libéralisation
Vote des conseils généraux 16 et 17, des deux principales communautés de communes, collecte de 100 000 signatures, motion de censure portée à l’assemblée nationale par les élus régionaux…Très tôt, début 2011, les élus des Charentes se sont mobilisés sur le dossier des droits de plantation. Ils ont soutenu le collectif « Non à la libéralisation des droits de plantation » emmené par les partenaires suivants : SGV, Syndicat du Pineau, Syndicat des Vins de pays charentais, Vignerons indépendants, Fédération des coopératives vinicoles.

 

 

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