Francis et Jacky Croizet à Aujac conduisent leurs vinifications en ayant une réflexion globale intégrant les performances de leurs chais, les différences de maturité des terroirs et la climatologie durant les vendanges. L’alimentation en vendange des chais est raisonnée en ayant pour objectif d’anticiper et de maîtriser qualitativement toutes les phases d’élaboration des vins. L’approche technique mise en œuvre repose avant tout sur des efforts d’organisation qui permettent d’utiliser à bon escient les performances de l’installation vinaire. Ces deux viticulteurs reconnaissent qu’au cours des dernières années, ils se sont beaucoup investis dans la conduite des vinifications pour répondre aux attentes qualitatives de leurs acheteurs. Les efforts d’organisation concernent tous les maillons de la chaîne technologique pour à la fois ne jamais faire attendre de la vendange et aussi ne jamais sous-alimenter les divers équipements. Jacky Croizet gère la récolte et le transport de la vendange et son frère Francis s’occupe de la vinification.
Des séquences de 5-6 jours de vendange chez chacun
Le vignoble de 42 hectares est implanté pour les 2/3 dans des sols de pays bas et pour le reste sur des terres de groie. La diversité de nature des sols se matérialise par des écarts de précocité qui sont pris en compte dans la mise en place du calendrier de récolte. Une semaine avant le début des vendanges, des contrôles de maturité sont effectués dans les différents îlots pour construire le calendrier de récolte (avoir une idée juste de l’état sanitaire et de la maturité). Depuis de nombreuses années, les vendanges sont réalisées en utilisant une machine à vendanger en commun avec un autre viticulteur dont le vignoble est situé à proximité. Un agrandissement de surface de 15 ha en 2005-2006 a remis en cause l’organisation du chantier de récolte et de pressurage des deux exploitations qui fonctionnent désormais sur une soixantaine d’hectares.
F. et J. Croizet souhaitaient récolter cette surface nettement plus importante dans un délai n’excédant pas 16 à 17 jours : « L’intégration de 15 ha de vignes supplémentaires nous a obligés à repenser notre installation et l’organisation du travail. On est passé d’une machine tractée à une automotrice et le débit de nos deux pressoirs de 30 hl est devenu insuffisant. Nous avons donc acheté en commun avec notre collègue un pressoir pneumatique de 80 h l mobile que l’on déplace dans les deux chais. Auparavant, la machine alimentait tous les jours les deux chais, ce qui générait certaines pertes de temps liés aux déplacements. D’un commun accord avec notre voisin, nous avons décidé de travailler par séquence de 5-6 jours sur chaque propriété. Les vendanges se déroulent en trois phases : une première chez nous pour récolter le secteur des sols plus précoces des groies, puis nous partons chez notre voisin et terminons par les îlots plus tardifs de pays bas. Le fait de travailler pendant plusieurs jours dans le même chai est beaucoup mieux adapté au volume important de vin que nous traitons chaque jour. Cela permet d’être pendant presque une semaine totalement concentré sur le traitement de la vendange que l’on rentre. »
Une certaine souplesse au niveau du planning de récolte
La nouvelle organisation du chantier de récolte et pressurage permet de traiter en moyenne 450 hl de moût par jour en quatre pressées. Le conquet de réception a été remplacé par des bennes de 60 hl à pompes (des pompes à ogives) pour ne pas stocker de vendange. Une fois que le pressoir est plein, la récolte est parfois arrêtée un moment pour laisser le cycle de pressurage avancer. F. Croizet ne cache pas qu’en 2009, la nouvelle organisation a apporté un confort de travail qui s’est révélé particulièrement intéressant :
« En réalisant 4 cycles de pressurage par jour, nous traitons 450 hl sans faire des horaires de travail démesurés. On ne souhaite pas en faire plus pour bien maîtriser la qualité. La nouvelle organisation nous permet de gérer plus facilement toute la chaîne de vinification sans avoir la pression de rentrer un certain volume chaque jour. Cette année, quand il faisait trop chaud l’après-midi, on arrêtait aussitôt le repas. A l’inverse, lors du petit de coup de froid des derniers jours de vendange, on a attendu que le thermomètre remonte pour rentrer dans les vignes. Nous sommes en mesure de pouvoir vendanger les 42 hectares en 10 à 12 jours, ce qui nous permet d’avoir une certaine souplesse dans le déroulement du planning de récolte. »
Des petits agencements qui nous rendent plus disponibles pour « s’occuper » de nos vins
Le déroulement des vendanges en deux phases distinctes permet d’organiser les fermentations des vins en deux temps. F. et J. Croizet ont fait l’effort d’acheter une douzaine de cuves en inox et en fibre de verre (de 300 et 400 hl) qui ont été implantées à l’extérieur dans le prolongement de l’ancien chai. Ces nouveaux contenants sont beaucoup plus faciles à entretenir et mieux adaptés aux volumes de moûts rentrés quotidiennement. Toutes les fermentations se déroulent dans cette cuverie extérieure et ensuite les vins sont soutirés dans des cuves ciment revêtues d’époxy (récemment rénovées). L’agencement de la cuverie et l’ensemble de l’installation ont été pensés pour faciliter toutes les interventions durant les vendanges : « On a fait de nombreux agencements qui sont peu coûteux et très pratiques. Par exemple, on a des arrivées d’eaux partout, à proximité du pressoir, à côté des bennes, sur les passerelles des cuves extérieures pour n’avoir jamais besoin de dérouler un tuyau souple. Une commande à distance nous permet d’utiliser le laveur haute pression sans avoir besoin d’actionner l’interrupteur car l’appareil reste en permanence branché. Toutes ces petites astuces nous permettent de gagner du temps et facilitent considérablement le travail. Par exemple, cela permet entre chaque cycle de pressurage, de rincer la cage ajourée du pressoir en 5 minutes. Les bennes sont également rincées après chaque remplissage. On a également installé de nombreuses pompes et tuyaux qui restent branchés en permanence pour assurer le transfert des moûts vers la cuverie de fermentation. Notre objectif est de n’avoir rien à démonter pendant les vendanges sauf bien sûr en cas d’incident ou de panne. Tous ces petits agencements nous libèrent de gestes fastidieux, répétitifs, et nous rendent plus disponibles pour s’occuper des tâches essentielles à la qualité des moûts et des vins. »
Un tank à lait de 300 l utilisé comme bac de préparation des levains
La mise en fermentation rapide des moûts est également un sujet de préoccupation important pour ces viticulteurs. Cette année, en l’absence de moyens de maîtrise thermique, les moûts frais du matin étaient mélangés à ceux plus chauds de l’après-midi pour avoir des cuves qui démarrent les fermentations entre 16 à 18 °C. Des apports d’azote ont aussi été effectués en tenant compte du titre alcoolique potentiel des vins. F. Croizet pratique le levurage direct au niveau de l’ensemble de sa production de vins de distillation (en utilisant deux souches de LSA différentes) et la préparation des levains est abordée avec astuce et un sens avisé de la productivité : « Dès que les premiers 50 hl d’une cuve de 400 hl sont pompés, le levain préalablement préparé est immédiatement incorporé. C’est l’assurance pour nous d’avoir un départ en fermentation rapide dans les cuves de grandes contenances. On essaie d’organiser la préparation des levures dans les meilleures conditions en n’oubliant pas la phase intermédiaire de ré-acclimatation. L’ensemble des levures pour 300 ou 400 hl sont préparées dans un petit tank à lait de 300 l de réforme dont la base possède une vanne de 40. A l’aide d’une petite canne chauffante installée dans le bac, l’eau est rapidement montée à 35 °C. Ensuite, les sachets de LSA sont incorporés et on laisse prendre le levain pendant un gros quart d’heure. Un apport de moût d’environ 150 l permet de faire redescendre la température autour de 20 °C et ensuite une pompe installée à poste fixe permet de transférer le levain acclimaté dans la cuve de fermentation. La préparation des levures s’effectue très facilement et sans aucune manipulation délicate de transport de seaux au niveau des passerelles des cuves. Une fois le tank à lait vide, il est immédiatement lavé à grande eau. »
Des fiches de vinifications informatisées « maison »
Un suivi attentif des fermentations alcooliques est réalisé quotidiennement et parfois deux fois par jour si la situation le justifie. L’utilisation de cuves de grandes capacités nécessite une surveillance accrue car leur contenu rassemble la production de plus de 3 à 4 ha de vignes. Au cours de la première semaine des vendanges, la chaleur en pleine journée a rendu nécessaire le refroidissement des cuves par un ruissellement d’eau sur les parois extérieures. Cela a donné des résultats intéressants quand le ruissellement a été enclenché suffisamment tôt avant que les températures ne dépassent 22 à 23 °C. Dès que les cuves atteignaient une densité de 1020, le refroidissement était arrêté pour laisser les fermentations se terminer normalement.
F. Croizet tient un cahier d’entrée de pressurage sur lequel des observations sur la qualité de la vendange, le TAV potentiel, l’état sanitaire sont enregistrées. Ensuite, il établit une fiche de vinification informatisée intégrant la traçabilité de l’origine de la production, les caractéristiques de la récolte et les relevés quotidiens des densités et des températures. Cela lui permet de visualiser le déroulement des fermentations très rapidement et surtout d’avoir un historique complet de l’itinéraire technique de chaque cuve.
Ce travail, qui peut paraître lourd, est pourtant très riche d’enseignements pour ce viticulteur : « L’importance du volume de chaque cuve, 350 ou 400 hl, nous oblige à être très vigilants. La surveillance des fermentations alcooliques mobilise beaucoup notre attention. Le fait de reprendre sur le graphique chaque jour les densités et les températures me permet d’avoir une vision immédiate du déroulement de la fermentation. On indique aussi les apports de levures et d’azote que l’on réalise. Dès qu’une cuve semble avoir un rythme de fermentation plus ralenti, on n’hésite pas à prendre les densités deux fois par jour. Une année de forte maturité comme 2009, la visualisation des courbes de fermentations nous a permis d’intervenir préventivement pour stimuler l’activité des levures au bon moment en apportant parfois un peu d’azote en cours de fermentation. En reportant les données écrites prises sur mon carnet de chai sur l’ordinateur, j’ai l’impression d’avoir une lecture plus approfondie du déroulement des vinifications. »
A l’issue des vendanges, les résultats analytiques complets de chaque cuve sont aussi reportés sur les fiches de vinification.