Nicolas Ozanam, Délégué Général de la FEVS

5 avril 2011

La FEVS est la structure créée par le négoce du vin et des spiritueux pour lutter contre les entraves au commerce international. Son activité est aujourd’hui très centrée sur la Commission européenne, entité compétente à l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Nicolas Ozanam est le délégué général de la FEVS. Benoît Stenne a intégré l’équipe en 2010.

ozanam.jpg« Le Paysan Vigneron » – Qui est la FEVS et que fait-elle ?

Nicolas Ozanam – C’est très simple. D’un côté vous avez la Fédération française des spiritueux, dirigée par Marie-Delphine Benech, qui regroupe l’ensemble des entreprises productrices de spiritueux. De l’autre, il y a l’AGEV, l’Association générale des entreprises vinicoles, le pendant de la FFS, qui rassemble les entreprises de négoce en vin. Ces deux fédérations ont confié à la FEVS le soin de traiter toutes les questions relatives à l’export. Je raccourcis car, historiquement, la FEVS a été créée avant la FFS et l’AGEV. L’immense majorité des adhérents de la FFS se retrouvent à la Fédération des exportateurs. C’est un peu moins vrai côté AGEV, pour des raisons qui se comprennent aisément : dans certaines régions, l’exportation est moins prégnante.

La FEVS, c’est d’abord et avant tout des entreprises de négoce mais, depuis quelques années, la frontière est devenue plus poreuse. Des filiales de coopératives ont le statut de négociant. Cela se vérifie surtout en vallée du Rhône ou en Languedoc. C’est un peu moins vrai en Champagne ou en Bourgogne, où les choses restent encore bien tranchées.

« L.P.V. » – La FEVS s’assimile-t-elle à un syndicat ?

N.O. – Non, pas du tout, d’abord parce qu’elle n’en a pas le statut juridique. C’est une association loi 1901. Et ensuite parce qu’elle n’est absolument pas dans le corporatisme, dans la défense des intérêts catégoriels d’une frange d’opérateurs. Son rôle est de contribuer à une plus grande facilité, une meilleure fluidité du commerce sur les différents marchés.

« L.P.V. » – De quelle manière ?

N.O. – Nous ne nous occupons pas de la réglementation commerciale proprement dite mais de ce qui concerne l’accès au marché. Notre tâche consiste à faire la chasse aux obstacles au commerce, à tout ce qui freine les échanges. En l’occurrence, on peut dire que tout est entrave. Les entraves, c’est l’imagination au pouvoir ! Cela va du plus visible comme le droit de douane ou la taxe d’importation au plus caché, comme les normes analytiques ou l’étiquetage. L’étiquetage, un véritable nid à barrières ! Vous n’imaginez pas le nombre d’entraves potentielles. C’est absolument extravagant.

« L.P.V. » – Sur quoi – ou sur qui – vous appuyez-vous ?

stenne.jpgN.O. – Nous intervenons très directement auprès des autorités françaises ainsi qu’auprès de la Commission européenne. C’est elle qui négocie à l’OMC, tout en sachant qu’elle doit obtenir la validation des Etats membres. Même chose pour le Parlement européen qui ratifie (ou non) ce qui a été décidé. C’est pourquoi l’échelon européen est si déterminant pour nos activités. Le négoce vins et spiritueux européen dispose de deux organismes de représentation à Bruxelles : Le Comité vin (Comité européen des entreprises vins – CEEV) et la Confédération européenne des producteurs de spiritueux (CEPS). Ces deux groupes sont très actifs, même si ce sont des micro-structures : 5 personnes au Comité vin, 8 personnes à la Ceps. La France est très présente au Comité vin. Côté spiritueux, nos amis britanniques sont très actifs, ce qui n’empêche pas que nous soyons totalement en phase avec leurs initiatives. D’ailleurs, dans le domaine du commerce extérieur, c’est un peu une constante : au nom de l’efficacité, les frontières tombent assez facilement. C’est évidemment le cas entre les vins et spiritueux français. Les associations « sœurs » partagent facilement les informations, coordonnent leurs actions. C’est vrai à l’intérieur de l’Europe, où le secteur V & S représente 12 milliards d’€ de chiffre d’affaires. Et nous travaillons en bonne intelligence avec les associations de producteurs et d’importateurs américaine, canadienne, japonaise. Dans un secteur très internationalisé comme le nôtre, nous avons intérêt à jouer collectif.

« L.P.V. » – Vous, à la FEVS et vos collègues de Bruxelles, exercez donc un travail de lobbyste.

N.O. – Effectivement. Notre travail consiste à faire circuler l’information, dans les deux sens : la faire descendre vers nos membres et la faire remonter vers les négociateurs, pour les alerter sur les conséquences de tel ou tel changement réglementaire ou législatif. En toute logique, nous cherchons à ce que les évolutions soient positives pour nos secteurs ; n’entraînent pas de difficultés supplémentaires. Ainsi, certaines fois, pouvons-nous soutenir la Commission et, d’autres fois, lui dire que ses prises de position ne nous paraissent pas opportunes.

« L.P.V. » – Au strict plan de la lutte contre les entraves au commerce, quels sont les dossiers en cours ?

N.O. – Un très gros dossier nous mobilise actuellement, celui de l’Inde. Un accord de libre-échange est dans les tuyaux à l’OMC (Organisation mondiale du commerce à Genève). En ce qui concerne les droits de douanes, l’accord viserait à les réduire très fortement (ils sont aujourd’hui de 150 %), à condition de donner des contreparties en échange. Les négociations sont complexes. Pour pouvoir s’asseoir à la table des négociations, il faut déjà accepter que la libéralisation du commerce couvre au moins 90 % des échanges, en sachant que les V & S ne représentent qu’une toute petite part. La négociation n’est par une négociation sectorielle. Elle recouvre un périmètre extrêmement large, qui englobe l’automobile, les services… Si les V & S sont une « goutte d’eau dans la mer », ils présentent néanmoins l’avantage d’être, par essence, des produits d’exportation. En outre, il s’agit d’une des rares filières agricoles offensives à l’export.

« L.P.V. » – Qui négocie avec l’Inde ?

N.O. – Comme déjà dit, c’est l’Union européenne qui négocie pour les 27. Par contre les Etats membres, réunis en Conseil des ministres de l’UE, votent pour savoir s’ils acceptent ou rejettent l’accord. La décision passe également par le filtre du Parlement européen.

Avec l’Inde, voilà trois ans que la négociation a démarré. Nous allons voir si elle se conclut au 1er semestre de cette année. Toute une série d’autres négociations bilatérales sont ouvertes. Elles le furent d’abord de façon multilatérale à l’OMC puis reprise en bilatérale entre l’UE et les pays concernés. Il y a déjà eu l’Afrique du sud, le Chili, le Canada, il y a actuellement la Malaisie, le Vietnam, le Mercosur… La négociation avec le Mercosur a démarré en 2000, a marqué une pause en 2004 puis est repartie. Cela fait maintenant 11 ans que les négociations sont enclenchées. Avec la Corée du sud, les échanges ont commencé en 2004 et se sont finalisés en 2010. Voilà l’exemple type d’une négociation réussie. Au départ, sur la Corée, la France dominait le marché du vin, en valeur et en volume. Et puis elle s’est fait dépasser par les vins chiliens, qui négocièrent un accord bilatéral avec la Corée leur concédant un droit de douanes 0. Le différentiel de droits de douane installé entre les vins chiliens et nos propres vins s’élevait à 15 %. Bonne nouvelle ! L’accord avec la Corée, ratifié en février par les Etats membres, vient d’effacer ce différentiel qui nous séparait.

« L.P.V. » – Avez-vous d’autres exemples de ce type ?

N.O. – Je cite toujours le cas de la Chine. On s’extasie régulièrement sur l’explosion des ventes en Chine. Mas ce succès n’aurait pas eu lieu si la Chine n’avait pas intégré l’OMC en 2001. Jusqu’en 2000, la Chine n’était pas un marché pour nous. A l’époque des négociations, la FEVS se montra très attentive au traitement des vins et spiritueux. Au départ, en Chine, les droits de douanes s’élevaient à 65 % de la valeur des produits. Et puis ils sont descendus à 14 % sur les vins et à 10 % sur les spiritueux. La courbe ascendante des expéditions, que nous avons connue entre 2003 et 2010, ne se serait pas produite sans cet accord. Et je
n’évoque que le cadre douanier. En matière de distribution, des avancées ont aussi eu lieu. Les sociétés étrangères ont pu créer des filiales majoritaires en Chine, ce qui leur a permis de prendre pied dans le tissu économique chinois. L’adhésion de la Chine à l’OMC a débloqué un ensemble de verrous. Ces progrès, mis bout à bout, ont permis de développer le business dans l’empire du milieu.

« L.P.V. » – Pensez-vous que l’abaissement des entraves au commerce gagne du terrain ?

N.O. – Nous sommes, me semble-t-il, bien mieux armés aujourd’hui qu’hier. Je pense notamment aux panels, qui sont des procédures contentieuses introduites auprès de l’OMC pour lutter contre des taxations discriminatoires entre produits importés et produits locaux. A trois reprises, au Japon, à Taïwan, en Corée, nous avons obtenu gain de cause. Il s’agit d’une base extrêmement forte pour débloquer des phénomènes de discriminations fiscales.

Sur des points un peu plus délicats comme les questions d’étiquetage ou de normes sanitaires – sujet à interprétation – nous avançons aussi. Citons une procédure interne à l’OMC, appelée « examen des politiques commerciales ». En fait, tous les ans, le secrétariat de l’OMC lance auprès d’une dizaine de pays, choisis dans toutes les catégories – pays en développement, pays avancés – une sorte d’audit de l’ensemble de leurs politiques commerciales. Une photographie, à un instant T. A partir de là, les Etats membres de l’OMC peuvent poser tout type de questions aux pays sur la sellette. Cette procédure crée un véritable effet cliquet. C’est assez extraordinaire.

« L.P.V. » – Qui vous informe des barrières au commerce ?

N.O. – Nous avons deux sources privilégiées : les entreprises elles-mêmes qui, après tout, sont les meilleures observatrices du marché et le réseau des missions économiques à l’étranger, qui dépendent du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie. Nous nous appuyons beaucoup sur ce réseau, qui peut vérifier un certain nombre d’éléments.

« L.P.V. » – Les membres de la FEVS pilotent-ils vos interventions.

N.O. – En effet les opérateurs, via le conseil d’administration, nous demandent de travailler sur tels ou tels sujets. Mais notre rôle consiste aussi, à travers une veille active, à identifier par nous-mêmes les sujets potentiellement importants. Reste ensuite à vérifier nos intuitions auprès des entreprises. Il faut bien voir que la FEVS n’est absolument pas « une structure de sénateurs ». Les produits, les marchés… il y a un côté très réaliste, très pragmatique à notre métier.

« L.P.V. » – N’est-ce pas compliqué de représenter dans une même structure grands groupes et PME ?

N.O. – Il est vrai que parmi nos 550 membres, nous avons, aux deux extrémités, Pernod-Ricard, deuxième groupe mondial de V & S et la petite distillerie d’eaux-de-vie de fruits, à quelques millions d’€ de chiffre d’affaires. Les gros opérateurs possèdent une excellente connaissance des marchés. A ce titre, ils représentent une mine d’informations. Mais, sur un certain nombre de sujets, ils ont aussi besoin du soutien de la collectivité. Pour arriver à dégager des priorités, un travail de consensus doit se faire entre grands groupes et PME. Mais cet échange fait notre force.

« L.P.V. » – Qui compose le « staff » de la FEVS ?

N.O. – Aujourd’hui nous sommes trois cadres pour la FEVS et l’AGEV et il y a un back-office de deux personnes. Si l’implantation à Paris est indispensable, pour rencontrer les ministères, nous sommes aussi très souvent à Bruxelles, au moins une fois par semaine. Nous nous rendons également de temps en temps à l’étranger : aux Etats-Unis, pour faire un point avec les entreprises américaines ou encore en Inde, comme l’an dernier.

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