Conduite du vignoble : Comment aborder la taille des vignes grêlées ?

7 janvier 2015

Les chambres d’agriculture de Charente et de Charente-Maritime ont conduit à la fin du mois de novembre une action commune pour apporter des informations sur les pratiques de taille à mettre en œuvre dans les vignes très touchées par la grêle. Les techniciens viticoles ont effectué un travail de fond sur la mise en œuvre de différentes alternatives de taille tenant compte de l’état des sarments parfois très abîmés. Six réunions bout de vigne ont été organisées fin novembre et début décembre dans l’ensemble de la région
délimitée pour dialoguer avec les viticulteurs. La finalité était de réfléchir aux moyens de reconstruire la structure des ceps dans les parcelles. Une grosse centaine de viticulteurs a participé à ces actions de terrain.

 

 

L’importance géographique et l’intensité des dégâts des grêles des orages du prin-temps dernier ont eu une conséquence immédiate sur la productivité de nombreu-ses exploitations en 2014 qui a été faible. L’incidence de ces orages est également forte au niveau de la taille qui s’avère délicate à aborder dans de nombreuses parcelles. La présence de sarments meurtris et très fragile, une végétation très mal répartie sur les bras de ceps et les bois de taille de l’année dernière rendent la sélection des coursons et des lattes beaucoup plus difficile. Pourtant, le redémarrage du cycle végétatif des vignes est intervenu dans les meilleures conditions possibles à partir du 25 juin. Le climat chaud de juillet et humide en août a favorisé une croissance végétative régulière. Cette végétation frêle et tendre a été très réceptive au mildiou et la moindre faille dans le dispositif de lutte a engendré des dégâts spectaculaires au niveau de la surface foliaire. En fin de saison, les conditions climatiques ensoleillées de septembre et d’octobre ont permis un bon aoûtement des bois et dans les vignes possédant un feuillage fonctionnel, les mises en réserves se sont effectuées correctement. La présence de beaucoup d’entre-cœurs dans certaines parcelles atteste du bon fonctionnement de la plante.

Des bois de taille d’une qualité très incertaine

L’état des lieux des parcelles les plus grêlées en cette fin de mois de décembre reste bien sûr préoccupant car les beaux bois de taille sont rares. Toute l’architecture de l’établissement des bras de ceps, des courants de sève et des coursons qui permettent d’assurer la pérennité des sou-ches a été fortement malmenée. Beaucoup de sarments sont marqués par des blessures profondes et denses qui les rendent très fragiles. Les rameaux cassés à 15- 20 cm de longueur ont souvent repris leur croissance par le biais d’entre-cœurs qui sont restés frêles. Ensuite, les repousses sur les bras et les têtes de souches se sont développées de façon anarchique et le potentiel de bois aptes à être taillé est maigre. Dans ces conditions, sera-t-il possible de tailler en Guyot ou en arcure double les vignes fortement touchées ? Les impacts de grêlons ne vont-ils pas perturber la circulation de la sève lors du prochain cycle végétatif. L’apparente bonne cicatrisation des bois aura-t-elle été suffisante pour assurer une bonne mise en réserve au cours de l’automne ? Toutes ces interrogations taraudent l’esprit de beaucoup de viticulteurs qui se demandent comment ils doivent aborder la taille et la reconstruction des souches. Durant les réunions bout de vigne, ces questions ont fait l’objet de débats entre les viticulteurs et les techniciens. L’autre difficulté de la taille des parcelles grêlées réside dans les temps de travaux bien supérieurs car les tailleurs devront observer attentivement l’état de chaque cep avant de sélectionner les bois. Le savoir-faire du tailleur sera aussi capital pour conserver les bois les mieux placés et anticiper la taille de 2016.

Les blessures les plus profondes ont touché les tissus véhiculant la sève

p13.jpgJean-Christophe Gérardin, l’un des conseillers viticoles de la chambre d’agriculture de la Charente, considère que la juste appréciation de l’intensité des dégâts n’est pas toujours simple à appréhender. Les bonnes conditions climatiques des mois de juin et juillet ont favorisé la cicatrisation des blessures sans pour autant minimiser leur profondeur dans les tissus. Le technicien estime que l’on peut visuellement différencier deux types de blessures, celles qui ont touché l’écorce et les autres plus profondes qui ont touché le liber et le xylème. Dans le premier cas de figure, la dégradation de l’écorce des bois n’est pas grave même si, visuellement, la blessure peut paraître spectaculaire. Par contre, lorsque des dégâts profonds ont affecté des tissus comme le liber et le xylème, la circulation de la sève brute et de la sève élaborée peut avoir été affectée. La sève brute circule des racines vers les feuilles dans le xylème. Ce flux d’alimentation transporte les éléments minéraux et de nombreux autres composés intervenant dans la croissance végétative. La sève élaborée circule des feuilles vers les racines dans le liber et ce flux devient prépondérant pendant la phase d’aoûtement des bois qui contribue à accumuler les réserves indispensables au bon déroulement du débourrement 2015. Suite à des blessures profondes affectant le liber et le xylème, la plante développe une capacité de réaction. Des tissus végétaux comme le liber et xylème peuvent se dédoubler et la circulation de la sève reprend mais peut-être pas avec l’efficacité. La forte profondeur des blessures est une cause majeure de la fragilisation des sarments lors de l’attachage. Dans les plantations de deuxième et troisième feuilles, la dégradation des tissus conducteurs des flux de sève s’avère beaucoup problématique vis-à-vis de la fonctionnalité future des jeunes troncs et bras de ceps.

La retaille peu conseillée après des sinistres proches de la floraison

p14a.jpgLes initiatives de retaille dans les jours suivant la grêle ont été rares dans la région cette année car le sinistre est intervenu tard en saison. Ces interventions sont souvent controversées et les techniciens des chambres d’agriculture restent mesurés sur ce sujet. Les opérations de retaille après une grêle sont conseillées quand le sinistre intervient tôt en saison, c’est-à-dire bien avant la floraison. À l’approche de ce stade, les retailles sont contre-productives. J-C. Gérardin estime que le contexte des ora-ges de grêles en 2014 était différent de celui de 2009 : « En 2009, l’orage de grêle s’était produit en tout début de cycle végétatif (le 9 mai). Cette année, les événements les plus importants se sont déroulés les 8 et 9 juin (à quelques jours de la floraison). La chambre d’agriculture a suivi cette année le développement végétatif d’une parcelle qui a été retaillée et d’un témoin laissé en l’état. La retaille a engendré la sortie de beaucoup de pampres qui sont restés chétifs durant toute la saison. Les rameaux de petits diamètres ont eu plus de mal à aoûter. Une retaille peut donner de bons résultats si elle s’accompagne d’un épamprage en vert qui favorise le développement des rameaux les mieux placés. Cette intervention supplémentaire engendre des temps de travaux importants qui rendent sa mise en place rare dans la région. Nous estimons que seulement 5 % des surfaces grêlées ont été retaillées en 2014. »

p14c.jpgAdapter la méthode de taille à l’intensité des dégâts de grêles

La véritable interrogation de beaucoup de viticulteurs se situe au niveau du choix de la méthode de taille qu’ils vont devoir mettre en œuvre dans les vignes grêlées. Les méthodes de taille doivent à la fois assurer la production de raisins de la récolte à venir et aussi la pérennité de la souche. Ces deux objectifs sont indissociables mais, dans une vigne grêlée, sélectionner deux lattes généreuses et des coursons biens placés devient une mission presque impossible. La priorité est bien sûr de reconstruire les ceps pour qu’ils retrouvent toutes leurs potentialités de production d’ici un à deux ans. Les techniciens des chambres d’agriculture de Charente et de Charente-Maritime ont essayé de s’appuyer sur les retours d’expérience d’autres vignobles plus ou moins fortement touchés par la grêle pour proposer plusieurs alternatives. Leurs réflexions sur la stratégie de taille à mettre en œuvre sont corrélées à l’intensité des dégâts. J.-C. Gérardin ne cache pas que ces éléments ne sont pas toujours faciles à appréhender : « Avec mes collègues, nous avons essayé d’aborder les choses de manière simple et en ayant le souci de créer de bonnes conditions de reconstruction des ceps qui ne pénalise pas trop la productivité pour la récolte 2015. Nous avons différencié deux types de situations, les vignes peu et moyennement grêlées et les parcelles fortement touchées. Dans le premier cas de figure, les souches portent des sarments certes abîmés mais encore solides et l’architecture des courants de sèves n’est pas détruite. La présence de coursons permettra de retrouver une taille assez équilibrée dès l’hiver prochain. Dans les vignes fortement grêlées, la rareté et la fragilité des bois représentent un gros handicap pour envisager de tailler en Guyot double ou en arcure double. La priorité sera de favoriser la pousse de rameaux bien placés au printemps sur lesquels les viticulteurs pourront s’appuyer pour commencer de reconstruire les souches au cours de l’hiver 2015-2016. Cet objectif doit intégrer une recherche de productivité pour la récolte 2015. La taille cordon de type pyramide, qui favorise la ressortie au cœur de la souche, nous paraît présenter un véritable intérêt. »

La taille en cordon pyramide, un bon compromis dans les vignes très touchées

p15.jpgLa taille en cordon de type pyramide présente de nombreux intérêts dans les vignes fortement touchées par la grêle.
J.-C. Gérardin estime que ce principe de taille représente un bon compromis à la fois pour reconstruire des ceps très abîmés et pour espérer avoir une charge de bourgeons fructifères et un niveau de productivité correct en 2015 : « En premier lieu, la taille en cordon de type pyramide favorise la ressortie de bois au cœur de la souche et au niveau des bras de ceps. Le fait de remplacer une latte de 10 à 12 bourgeons par plusieurs demi-lattes courtes freine au moment du débourrement la poussée de sève vers l’extrémité des bois et supprime les risques de casse lors de l’attachage. Les demi-lattes les plus longues doivent être situées près de la tête des ceps et les plus courts à l’extrémité du bois de taille de l’année dernière. Cela permet aussi de laisser une charge d’environ 10 bourgeons fructifères par côté de souche, ce qui est équivalent à la charge des tailles en Guyot ou en arcure. C’est à notre avis un compromis pour espérer bien reconstruire les ceps et assurer un niveau de production correct. Nous sommes conscients que les bourgeons d’ugni blanc les plus fructifères se situent aux 7e et 8e mais, dans les vignes très affectées, laisser des longues lattes serait une hérésie. Cela favoriserait un allongement des souches et engendrerait de nombreuses mutilations pour essayer de les raccourcir dans les années à venir. En laissant trois ½ lattes de 3 à 4 bourgeons maximum en pyramide, les phénomènes de ressorties des bois au niveau de la base des têtes de souches seront favorisés. Ces bois mieux placés à l’issue du cycle végétatif 2015 constitueront des supports de reconstruction pour la sélection des coursons respectant le principe des courants de sève. » Les techniciens pensent aussi que, compte tenu de l’état des souches, laisser des coursons bien placés, même si les bois sont porteurs de gros impacts de gros grêlons, est toujours une bonne chose. Un arasement systématique des bois très abîmés qui sont situés sous les bois de taille de l’année dernière ne se justifie pas. Le fait de laisser quelques « ergots » à un bourgeon bien placés par exemple sous les bois de taille peut contribuer à la reconstruction du cep. Cette pratique devra s’accompagner au printemps d’un épamprage sérieux pour sélectionner les rameaux les plus intéressants et limiter la réalisation de nouvelles plaies de taille l’hiver prochain.

Des temps de travaux d’hiver nettement inférieurs avec la taille en cordons

p16a.jpgL’autre avantage de cette taille en cordon se situe au niveau des temps de travaux qui sont nettement inférieurs à ceux des méthodes de type Guyot ou arcure. La réalisation d’un prétaillage à 30 cm au-dessus du fil d’attachage supprime l’opération de tirage des bois qui se limitera à un nettoyage de finition effectué par le tailleur. La végétation très dégagée permettra au tailleur d’avoir une meilleure vision sur l’état des souches, ce qui facilitera son travail. Le temps de taille des cordons sera moindre et, en plus, l’opération d’attachage se limitera à une consolidation des lattes de l’année dernière. Une étude de la chambre d’agriculture de la Charente met en évidence que les économies de temps de travaux pour les travaux d’hiver sont importantes. Pour la modalité Guyot, le coût total de la taille, du tirage des bois, de l’attachage et du broyage se situe autour de 800 € HT/ha dans des vignes larges à 3 m d’écartement. Avec la taille en cordon, les opérations de tirage des bois et de broyage n’existent plus. L’attachage se limitera à une consolidation des lattes de l’année dernière. L’ensemble de toutes ces interventions (prétaillage inclus) revient à environ à 400 € HT/ha, soit un niveau de coût très inférieur au mode de taille Guyot. Ces données chiffrées très compétitives de la taille en cordon doivent tout de même être tempérées par une surcharge de travail au printemps. Un travail d’épamprage rigoureux devra être effectué au prin-temps pour éliminer les rameaux mal placés qui vont se développer sur les têtes de souches.

La taille en Guyot double adaptée aux parcelles moins grêlées

p16b.jpgDans les vignes faiblement ou moyenne-ment touchées par la grêle, la mise en œuvre d’une taille en Guyot est parfaitement envisageable. Elle présente l’avantage d’être bien adaptée aux spécificités de l’ugni blanc et permet de laisser une charge de bourgeons fructifère suffisante qui laisse espérer des niveaux de productivité normaux pour la prochaine récolte. La mise en œuvre de la taille Guyot nécessitera des compétences et un peu plus de temps car la sélection des plus beaux bois de taille sera plus délicate. Les tailleurs devront prendre le temps d’observer l’état de chaque souche qui s’avère souvent fluctuant au sein des parcelles. Les priorités seront de sélectionner des lattes positionnées dans l’axe des rangs et des coursons susceptibles de respecter les courants de sève. Ces éléments sont essentiels pour bien « tenir les souches ». Les techniciens pensent qu’il serait intéressant de limiter la longueur des bois à 6 à 7 bourgeons pour favoriser les sorties de gourmands à proximité de la tête des souches. L’attachage des lattes devra être abordé avec beaucoup de précautions car un certain nombre de bois sont fragilisés. La réalisation de ce travail par temps humide et avec des mains expertes sera sans aucun doute déterminante.

Reconstruire les troncs dans les plantations de 2e année

p17.jpgDans les jeunes vignes, les conséquences de la grêle sont assez préoccupantes car les rameaux souvent vigoureux et tendres ont été fortement marqués par les impacts des grêlons. Dans les vignes de 2 ans, qui étaient montées au fil, la sélection du sarment devant faire office de tronc avait été effectuée dans les semaines précédant les orages de grêle. Ces sarments sont actuellement porteurs de grosses blessures qui ont pu affecter les tissus végétaux (le liber et le xylème en profondeur). Les techniciens estiment qu’il faut reconstruire le futur tronc en rabattant le bois à 2 à 5 bourgeons selon sa vigueur. Cette pratique va retarder la jeune vigne d’une année mais la priorité est de construire des troncs de ceps pleinement fonctionnels vis-à-vis de l’alimentation des souches dans les décennies à venir. La taille des jeunes parcelles de deuxième et troisième feuilles devra intervenir de préférence en fin d’hiver pour limiter les risques de gel. L’idéal est de tailler ni trop tôt et ni trop tard non plus. Malgré leur bon redémarrage, ces parcelles n’ont peut-être pas accumulé des niveaux de réserves très importants.

Laisser une fourche courte dans les plantations de troisième année

p18.jpgL’état de vignes de trois ans est encore plus préoccupant car l’établissement des ceps avait été effectué. Les rameaux qui étaient censés devenir les deux bras des jeunes ceps ont été profondément abîmés. Les techniciens estiment qu’il faut conserver les troncs et essayer de laisser une fourche courte avec seulement 4 à 5 bourgeons qui permette l’attachage de l’extrémité des bois au fil porteur. Le fait de laisser des bois plus longs de chaque côté des troncs aurait de grandes chances d’amplifier les risques de mauvais débourrement au sein des fourches du cep. Or, la phase d’établissement en 3e et 4e année construit la charpente et l’architecture des souches pour les 20, 30 ou 40 ans à venir. Une mauvaise sélection de bois aura à terme de grosses conséquences sur les conditions de circulation de la sève. La notion des courants de sève représente un enjeu majeur au moment de la formation des ceps. La grêle a souvent abîmé les bourgeons du dessus des bois mais pas ceux en dessous, d’où l’importance de favoriser leur sortie au printemps 2015. Dans les situations les plus préoccupantes où la sélection d’une fourche de deux bois n’est pas possible, le recours à un ou plusieurs bourgeons sur un courson à la base du tronc peut être une « roue de secours » si le débourrement se passe mal.

 

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