Les chambres d’agriculture de Charente et de Charente-Maritime ont conduit à la fin du mois de novembre une action commune pour apporter des informations sur les pratiques de taille à mettre en œuvre dans les vignes très touchées par la grêle. Les techniciens viticoles ont effectué un travail de fond sur la mise en œuvre de différentes alternatives de taille tenant compte de l’état des sarments parfois très abîmés. Six réunions bout de vigne ont été organisées fin novembre et début décembre dans l’ensemble de la région
délimitée pour dialoguer avec les viticulteurs. La finalité était de réfléchir aux moyens de reconstruire la structure des ceps dans les parcelles. Une grosse centaine de viticulteurs a participé à ces actions de terrain.
L’importance géographique et l’intensité des dégâts des grêles des orages du prin-temps dernier ont eu une conséquence immédiate sur la productivité de nombreu-ses exploitations en 2014 qui a été faible. L’incidence de ces orages est également forte au niveau de la taille qui s’avère délicate à aborder dans de nombreuses parcelles. La présence de sarments meurtris et très fragile, une végétation très mal répartie sur les bras de ceps et les bois de taille de l’année dernière rendent la sélection des coursons et des lattes beaucoup plus difficile. Pourtant, le redémarrage du cycle végétatif des vignes est intervenu dans les meilleures conditions possibles à partir du 25 juin. Le climat chaud de juillet et humide en août a favorisé une croissance végétative régulière. Cette végétation frêle et tendre a été très réceptive au mildiou et la moindre faille dans le dispositif de lutte a engendré des dégâts spectaculaires au niveau de la surface foliaire. En fin de saison, les conditions climatiques ensoleillées de septembre et d’octobre ont permis un bon aoûtement des bois et dans les vignes possédant un feuillage fonctionnel, les mises en réserves se sont effectuées correctement. La présence de beaucoup d’entre-cœurs dans certaines parcelles atteste du bon fonctionnement de la plante.
Des bois de taille d’une qualité très incertaine
L’état des lieux des parcelles les plus grêlées en cette fin de mois de décembre reste bien sûr préoccupant car les beaux bois de taille sont rares. Toute l’architecture de l’établissement des bras de ceps, des courants de sève et des coursons qui permettent d’assurer la pérennité des sou-ches a été fortement malmenée. Beaucoup de sarments sont marqués par des blessures profondes et denses qui les rendent très fragiles. Les rameaux cassés à 15- 20 cm de longueur ont souvent repris leur croissance par le biais d’entre-cœurs qui sont restés frêles. Ensuite, les repousses sur les bras et les têtes de souches se sont développées de façon anarchique et le potentiel de bois aptes à être taillé est maigre. Dans ces conditions, sera-t-il possible de tailler en Guyot ou en arcure double les vignes fortement touchées ? Les impacts de grêlons ne vont-ils pas perturber la circulation de la sève lors du prochain cycle végétatif. L’apparente bonne cicatrisation des bois aura-t-elle été suffisante pour assurer une bonne mise en réserve au cours de l’automne ? Toutes ces interrogations taraudent l’esprit de beaucoup de viticulteurs qui se demandent comment ils doivent aborder la taille et la reconstruction des souches. Durant les réunions bout de vigne, ces questions ont fait l’objet de débats entre les viticulteurs et les techniciens. L’autre difficulté de la taille des parcelles grêlées réside dans les temps de travaux bien supérieurs car les tailleurs devront observer attentivement l’état de chaque cep avant de sélectionner les bois. Le savoir-faire du tailleur sera aussi capital pour conserver les bois les mieux placés et anticiper la taille de 2016.
Les blessures les plus profondes ont touché les tissus véhiculant la sève
Jean-Christophe Gérardin, l’un des conseillers viticoles de la chambre d’agriculture de la Charente, considère que la juste appréciation de l’intensité des dégâts n’est pas toujours simple à appréhender. Les bonnes conditions climatiques des mois de juin et juillet ont favorisé la cicatrisation des blessures sans pour autant minimiser leur profondeur dans les tissus. Le technicien estime que l’on peut visuellement différencier deux types de blessures, celles qui ont touché l’écorce et les autres plus profondes qui ont touché le liber et le xylème. Dans le premier cas de figure, la dégradation de l’écorce des bois n’est pas grave même si, visuellement, la blessure peut paraître spectaculaire. Par contre, lorsque des dégâts profonds ont affecté des tissus comme le liber et le xylème, la circulation de la sève brute et de la sève élaborée peut avoir été affectée. La sève brute circule des racines vers les feuilles dans le xylème. Ce flux d’alimentation transporte les éléments minéraux et de nombreux autres composés intervenant dans la croissance végétative. La sève élaborée circule des feuilles vers les racines dans le liber et ce flux devient prépondérant pendant la phase d’aoûtement des bois qui contribue à accumuler les réserves indispensables au bon déroulement du débourrement 2015. Suite à des blessures profondes affectant le liber et le xylème, la plante développe une capacité de réaction. Des tissus végétaux comme le liber et xylème peuvent se dédoubler et la circulation de la sève reprend mais peut-être pas avec l’efficacité. La forte profondeur des blessures est une cause majeure de la fragilisation des sarments lors de l’attachage. Dans les plantations de deuxième et troisième feuilles, la dégradation des tissus conducteurs des flux de sève s’avère beaucoup problématique vis-à-vis de la fonctionnalité future des jeunes troncs et bras de ceps.
La retaille peu conseillée après des sinistres proches de la floraison
La véritable interrogation de beaucoup de viticulteurs se situe au niveau du choix de la méthode de taille qu’ils vont devoir mettre en œuvre dans les vignes grêlées. Les méthodes de taille doivent à la fois assurer la production de raisins de la récolte à venir et aussi la pérennité de la souche. Ces deux objectifs sont indissociables mais, dans une vigne grêlée, sélectionner deux lattes généreuses et des coursons biens placés devient une mission presque impossible. La priorité est bien sûr de reconstruire les ceps pour qu’ils retrouvent toutes leurs potentialités de production d’ici un à deux ans. Les techniciens des chambres d’agriculture de Charente et de Charente-Maritime ont essayé de s’appuyer sur les retours d’expérience d’autres vignobles plus ou moins fortement touchés par la grêle pour proposer plusieurs alternatives. Leurs réflexions sur la stratégie de taille à mettre en œuvre sont corrélées à l’intensité des dégâts. J.-C. Gérardin ne cache pas que ces éléments ne sont pas toujours faciles à appréhender : « Avec mes collègues, nous avons essayé d’aborder les choses de manière simple et en ayant le souci de créer de bonnes conditions de reconstruction des ceps qui ne pénalise pas trop la productivité pour la récolte 2015. Nous avons différencié deux types de situations, les vignes peu et moyennement grêlées et les parcelles fortement touchées. Dans le premier cas de figure, les souches portent des sarments certes abîmés mais encore solides et l’architecture des courants de sèves n’est pas détruite. La présence de coursons permettra de retrouver une taille assez équilibrée dès l’hiver prochain. Dans les vignes fortement grêlées, la rareté et la fragilité des bois représentent un gros handicap pour envisager de tailler en Guyot double ou en arcure double. La priorité sera de favoriser la pousse de rameaux bien placés au printemps sur lesquels les viticulteurs pourront s’appuyer pour commencer de reconstruire les souches au cours de l’hiver 2015-2016. Cet objectif doit intégrer une recherche de productivité pour la récolte 2015. La taille cordon de type pyramide, qui favorise la ressortie au cœur de la souche, nous paraît présenter un véritable intérêt. »
La taille en cordon pyramide, un bon compromis dans les vignes très touchées
J.-C. Gérardin estime que ce principe de taille représente un bon compromis à la fois pour reconstruire des ceps très abîmés et pour espérer avoir une charge de bourgeons fructifères et un niveau de productivité correct en 2015 : « En premier lieu, la taille en cordon de type pyramide favorise la ressortie de bois au cœur de la souche et au niveau des bras de ceps. Le fait de remplacer une latte de 10 à 12 bourgeons par plusieurs demi-lattes courtes freine au moment du débourrement la poussée de sève vers l’extrémité des bois et supprime les risques de casse lors de l’attachage. Les demi-lattes les plus longues doivent être situées près de la tête des ceps et les plus courts à l’extrémité du bois de taille de l’année dernière. Cela permet aussi de laisser une charge d’environ 10 bourgeons fructifères par côté de souche, ce qui est équivalent à la charge des tailles en Guyot ou en arcure. C’est à notre avis un compromis pour espérer bien reconstruire les ceps et assurer un niveau de production correct. Nous sommes conscients que les bourgeons d’ugni blanc les plus fructifères se situent aux 7e et 8e mais, dans les vignes très affectées, laisser des longues lattes serait une hérésie. Cela favoriserait un allongement des souches et engendrerait de nombreuses mutilations pour essayer de les raccourcir dans les années à venir. En laissant trois ½ lattes de 3 à 4 bourgeons maximum en pyramide, les phénomènes de ressorties des bois au niveau de la base des têtes de souches seront favorisés. Ces bois mieux placés à l’issue du cycle végétatif 2015 constitueront des supports de reconstruction pour la sélection des coursons respectant le principe des courants de sève. » Les techniciens pensent aussi que, compte tenu de l’état des souches, laisser des coursons bien placés, même si les bois sont porteurs de gros impacts de gros grêlons, est toujours une bonne chose. Un arasement systématique des bois très abîmés qui sont situés sous les bois de taille de l’année dernière ne se justifie pas. Le fait de laisser quelques « ergots » à un bourgeon bien placés par exemple sous les bois de taille peut contribuer à la reconstruction du cep. Cette pratique devra s’accompagner au printemps d’un épamprage sérieux pour sélectionner les rameaux les plus intéressants et limiter la réalisation de nouvelles plaies de taille l’hiver prochain.
Des temps de travaux d’hiver nettement inférieurs avec la taille en cordons
La taille en Guyot double adaptée aux parcelles moins grêlées
Reconstruire les troncs dans les plantations de 2e année
Laisser une fourche courte dans les plantations de troisième année