Commission européenne : Un groupe de réflexion à « haut niveau »

1 mars 2012

Le 19 janvier 2012, à Berlin, Dacian Ciolos, le commissaire européen à l’Agriculture, a annoncé la nomination d’un groupe de réflexion à haut niveau sur les droits de plantation et, plus généralement, sur le secteur du vin. Bonne ou mauvaise nouvelle ?

p91.jpgC’est l’histoire du verre à moitié plein ou à moitié vide. L’initiative de la Commission de nommer un groupe de réflexion à haut niveau est diversement appréciée, selon la capacité de chacun à « positiver ». Les plus optimistes – où les plus politiques – diront que cette réaction prouve que le Commissaire a bien entendu la réprobation monter d’un peu partout en Europe. Pour une instance européenne qui déteste par-dessus tous les mouvements d’opinion, la nomination d’un groupe d’experts serait donc un signe d’apaisement, « une main tendue à la profession viticole ». « Rien que pour cela, nous ne pouvons que nous en réjouir » a indiqué Riccardo Ricci Curbastro, président de l’EFOW. Pourtant, mezzo vocce, les commentaires se font moins lénifiants : « Personne n’est dupe. Si cette décision ne visait qu’à gagner du temps pour ne pas traiter le sujet des droits de plantation dans la PAC, ce serait un mauvais coup porté au dossier des droits de plantation. »

Michel Dantin, député européen, confirme et signe. Il prend comme exemple le groupe de réflexion « à haut niveau » nommé par la Commission sur la filière laitière : « On voit où cela nous a mené : au démantèlement des quotas laitiers. » (voir page 10).

Le député européen, affilié au PPE (Parti populaire européen), membre de la Commission agricole du Parlement et rapporteur sur l’OCM vin, s’est rendu à Cognac le 13 janvier 2012. Accompagné de la députée européenne Nicole Morin-Chartier, il a rencontré la Fédération des interprofessions. Aux représentants charentais, il a dit en substance qu’il fallait à tout prix que le débat sur les droits de plantation est lieu dans le cadre de la PAC, « dans un paquet qui intègre autre chose que les droits de plantation. Car sinon, on courra le risque de rouvrir l’ensemble de l’OCM vin, des prestations viniques à l’enrichissement, en passant par les pratiques œnologiques. On assisterait alors à un vrai marchandage, d’où l’encadrement de la production viticole risquerait d’être laminé. »

Analyse strictement identique de la CNAOC : « En 2008, lors de la discussion de l’OCM vin, les Etats membres s’étaient divisés, chamaillés. Pourquoi en irait-il autrement aujourd’hui ? La régulation de la production se retrouverait à nouveau sacrifiée. » D’autant que la Commission, elle, reste toujours aussi ferme sur le sujet. Elle n’entend pas rouvrir le débat sur les droits de plantation et encore moins intégrer la négociation sur les droits de plantation dans la PAC. Dans ces conditions, comment faire « bouger les lignes » ? La voie politique apparaît comme la seule solution.

La viticulture européenne et le Parlement de Strasbourg – qui la soutient à 100 % sur le maintien d’un instrument de régulation – se sont donc engagés depuis près d’un an dans une intense entreprise de lobbying politique et une course contre la montre.

p92.jpgL’action politique, c’est d’amener la Commission à revoir sa copie sur les droits de plantation. Pour ce faire, la condition sine qua non consiste à obtenir une majorité qualifiée au Conseil des ministres de l’U.E, soit 255 voix. Cela suppose de ratisser large, non seulement les voix de tous les pays viticoles qui ne se sont pas encore déclarés (Bulgarie, Malte…) mais encore d’aller à la pêche aux voix de pays non viticoles mais potentiellement sensibles à l’argument de la régulation (Pologne, Belgique, Finlande, Lituanie).

« Cette majorité qualifiée au Conseil est à portée de main » martèle la CNAOC. Elle y travaille d’arrache pied, avec le concours de nombreux contributeurs : euro-députés, parlementaires nationaux… L’action se mène sur plusieurs fronts : le front politique (à cet égard les élections présidentielles en France représentent une belle opportunité), le front des relais d’opinion, avec la mobilisation des élus locaux… La course contre la montre, c’est fin 2012-début 2013 et le vote de la PAC.

Lors de son déplacement à Cognac, Michel Dantin a indiqué qu’en l’absence d’initiative de la Commission, le rapporteur de l’OCM vin qu’il était inclurait un amendement dans le texte de la PAC pour réintroduire le principe d’un instrument de régulation. « Ainsi, a-t-il dit, le Conseil sera conduit à s’exprimer sur le sujet. » Notons que depuis le traité de Lisbonne, le Parlement européen est devenu co-décisionnaire avec le Conseil. Par ailleurs, le ministère de l’Agriculture français semble décidé à soutenir l’idée d’un traitement des droits de plantation dans la PAC. Michel Dantin a affirmé à Cognac que « l’heure était aux politiques plus qu’à l’Administration. » « A cette étape des discussions, a-t-il dit, il faut laisser les politiques gérer le dossier, en évitant au maximum que les administrations se mettent trop vite d’accord entre elles. Là où l’Administration gagne, c’est quand le politique est absent. »

 

les quotas laitiers disparaissent en 2015

Le couperet est tombé en 2011. Les quotas laitiers disparaîtront à l’heure dite, le 1er avril 2015. A leur place, se profile une contractualisation de nature privée, tant proposée par le « Mini-paquet lait » européen que par la loi de modernisation agricole française (LMA).

Rien n’y aura fait. En 2003, quand la Commission a commencé à évoquer le démantèlement des quotas laitiers, elle s’est heurtée à une levée de boucliers, non du nord de l’Europe, partisan de leur suppression mais des autres Etats membres. En France, toutes les organisations furent unanimes à soutenir les quotas laitiers (FNSEA, Coordination rurale, Confédération paysanne, coopératives laitières). Leur souhait ! garder une maîtrise de la production. Aux dires des éleveurs, le ministre de l’Agriculture de l’époque, Hervé Gaymard, a « fait le job. » En pure perte. La Commission s’est révélée inflexible. Le train de l’économie libérale devait passer. Il est passé. Le 1er avril 2015, les quotas laitiers auront disparu. « Bruxelles a confirmé sa volonté de ne plus gérer les marchés ; de laisser les marchés s’organiser eux-mêmes. C’est un non-sens économique mais c’est ainsi » relate, avec pas mal d’amertume, Alain Lebret, président de la Chambre d’agriculture Charente et président du Glac (Groupements des laiteries coopératives Charentes-Poitou), rebaptisé récemment Terra Lacta (beurre Lescure, fromages de chèvre…).

Une privatisation complète

A la place des quotas laitiers, va se substituer une privatisation complète de la production. Les pouvoirs publics se retirent de la régulation. Enfin pas totalement. Anticipant la fin des quotas laitiers, la loi de modernisation agricole (LMA) de juillet 2010 impose aux entreprises de l’aval de proposer des contrats minimaux de 5 ans, avec régulation partielle du volume, voire possibilité de fixer des prix. Cet outil « à plusieurs battants » se double de la mise en place d’une organisation économique des producteurs, pour renforcer leur poids face aux industries laitières. Par ailleurs, toute l’année 2011 a été consacrée à la discussion d’un projet de Règlement européen dit « Mini paquet lait ». Lui aussi laisserait aux Etats membres la possibilité d’imposer à leurs entreprises un cadre contractuel. Validé par les différentes instances communautaires (Commission, Parlement, Conseil), le projet de Règlement a été soumis en première lecture au vote du Parlement européen le 13 février dernier. Alain Lebret se montre plus que dubitatif à l’égard de ce dispositif. « Une mauvaise décision a été prise. Maintenant, on essaie d’y appliquer un replâtrage. La contractualisation, c’est fait pour régler la relation entre un producteur et une entreprise. Cela ne régule pas le marché au plan européen, loin s’en faut. Notre souci, c’est la disparition du système de régulation de l’offre et de la demande. Le marché va devenir extrêmement dur. Les acheteurs iront là où les prix de revient seront les plus faibles. Sans doute des producteurs s’adapteront. Mais, au plan global, cela risque d’être terrible. » Le président de la Chambre d’agriculture de la Charente n’a pas manqué d’établir un parallèle avec les droits de plantation. « Nous devons nous battre pour les maintenir. Et autant défendre les vrais droits de plantation. De toute façon, Bruxelles n’acceptera pas davantage un système comme le PAPE qui s’assimile à un quota de production. »

En ce qui concerne les AOP laitières et fromagères, aujourd’hui aucun dispositif spécifique ne les concerne. Pas plus que le lait conventionnel, elles ne bénéficient de garde-fou, excepté la contractualisation. Pourtant le président du Glac confirme bien « qu’une porte semble s’entrouvrir pour contingenter le volume des AOP-IGP en fonction de l’offre et de la demande. » Cette idée de traitement différencié – qui demande confirmation – renvoie immédiatement à la segmentation des vins avec IG des vins sans IG. Dans certaines circonstances, le tri se révèle la pire des choses.

Références
Les quotas laitiers sont nés en 1983. A l’époque, la production laitière n’en voulait pas. Elle les voyait comme une entrave à la production. Auparavant, les volumes fluctuaient au gré de la demande (augmentations de 10 % certaines années). Puis les droits à produire sont arrivés et furent assez vite perçus comme un bon moyen de maîtriser la production. Mieux, ils ne la figèrent pas. Même si les références étaient fixées sur la base d’une production historique, les droits à produire ont évolué : priorité aux jeunes installés, reprise de quotas après abandons volontaires, abandons rémunérés, course au litrage pour certains… Vis-à-vis d’autres régions françaises (Bretagne, Normandie…), la région Charentes-Poitou* n’a pas fait la course en tête. Certes, ses références progressèrent (68 000 litres de lait par exploitation en 1981 – 300 000 litres aujourd’hui) mais surtout à cause de la déprise laitière. Beaucoup d’exploitations laitières se sont reconverties dans les céréales (c’était possible dans la région). Par contre, en reconnaissant à la production de référence une valeur, les quotas laitiers ont sans doute empêché une plus grande hémorragie. « Des éleveurs ont continué à produire du lait pour conserver leurs références. » Au final, les droits à produire ont joué un rôle tampon. Avec le contrat, les éleveurs espèrent conserver un semblant de régulation. Surtout, ils comptent sur la demande mondiale, en hausse. Chine, Russie découvrent les produits laitiers.
* Charentes-Poitou : les quatre départements de la région administrative + la Vendée.

 

 

 

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