Claude Bourguigon, prophète du sol vivant

31 janvier 2010

Proche de la sphère bio – il prône la biodynamie – Claude Bourguignon donne à son approche scientifique une dimension quasi messianique. Il se pose en témoin d’une catastrophe annoncée, la destruction des sols, si rien n’est fait. En 2004, il avait accordé une interview à « Passerelle Eco », une revue du monde bio. Reprise de certains passages.

Claude Bourguignon – « Le sol est une matière vivante, complexe, plus complexe encore que l’eau ou l’atmosphère qui sont des milieux relativement simples. C’est le seul milieu qui provienne de la fusion du monde minéral des roches mères et du monde organique de la surface, les humus. Dans le sol, il y a beaucoup plus d’êtres vivants que sur le reste de la surface de la terre. Cela ne se voit pas car c’est un monde microbien. Les microbes sont fondamentaux pour la vie. Sans ces intermédiaires, les plantes ne peuvent pas se nourrir. Les bactéries du sol fixent l’azote de l’air pour faire des nitrates […] Lorsque j’ai mis au point ma méthode de mesure de l’activité biologique des sols, je me suis rendu compte que les agriculteurs biologiques ou biodynamiques avaient des sols beaucoup plus actifs que ceux qui travaillaient en conventionnel. Des sols vivants. Cela dit, il y a des gens en “bio” qui travaillent très mal. Certains d’entre eux ont simplement remplacé les engrais chimiques par des engrais organiques. Ce n’est pas cela l’agriculture.

L’INRA a rejeté en bloc l’agriculture biologique, biodynamique, sans l’avoir jamais étudiée ! C’est une faute professionnelle grave de la part de cet institut. Et il n’y a pas que l’INRA. L’ensemble des instituts mondiaux se sont finalement laissés dominés par les marchands […] Hier, les recherches favorisant l’environnement n’étaient pas un créneau porteur. Aujourd’hui elles le sont. Je pense que dans dix ans, l’INRA affirmera qu’il a toujours été pour l’agriculture biologique. Dans trente ans, il rappellera qu’il a toujours soutenu la biodynamie. Et tant mieux. Ce sera la preuve que nous serons enfin parvenus à travailler ensemble pour régler le vrai problème : la pollution de la planète.

J’ai essayé de comprendre pourquoi certains sols étaient plus vivants que d’autres. Cela varie en fonction des modes de cultures choisis. Traditionnellement, on fertilisait le sol avec de l’humus. L’argile était marnée et on utilisait un liant, le calcium souvent. On mélangeait l’ensemble au compost que l’on répandait sur le sol. Les engrais verts, eux, favorisaient les microbes minéralisateurs. Les microbes « intermédiaires » vivants près des racines des plantes étaient fertilisés par la rotation des espèces végétales cultivées. Enfin les microbes vivants près des roches mères étaient stimulés par les roches broyées. Aujourd’hui ces étapes n’existent plus. On donne dans la monoculture […] On ne pratique plus la fertilisation. Ce mode de production nie la vie microbienne. Et aujourd’hui la production stagne quand elle ne régresse pas. Mes relevés d’activité biologique indiquent que les sols cultivés avec les engrais chimiques meurent, peu à peu.

Curieusement, la grande majorité des agronomes ne connaissent rien à la microbiologie des sols, parce qu’il n’y a pas d’enseignement. Il n’y a aucune chaire officielle de microbiologie des sols en France, depuis la disparition du secteur microbiologie des sols à l’Institut Pasteur.

Faire de l’agriculture, c’est amender, restituer. C’est l’équivalent, pour l’agriculteur, de l’entretien du matériel productif. Il y a amendement par fabrication du compost et de l’engrais vert et amendement par la fertilisation des microbes. Les microbes vont nourrir les plantes, donc il faut les fertiliser. Le groupe de rhizosphère (les microbes qui vivent contre les racines des plantes et qui les nourrissent) est entretenu par la rotation des cultures. Et il y a le groupe des chimiolithotrophes, c’est-à-dire celui des roches mères. On les nourrit par les roches broyées.

Je connais aujourd’hui beaucoup de sols sur tous les continents de notre planète. La conclusion générale est la suivante : normalement, les sols en bon équilibre ont une activité biologique qui baisse avec la profondeur jusqu’à environ 30 centimètres, pour ensuite rester parallèle à la roche mère. On a deux grands groupes microbiens : en surface ceux de la matière organique. En présence de l’atmosphère, s’y déploient les groupes les plus actifs, le gros de l’énergie vivante. Ensuite la seconde couche, celle des profondeurs, aboutit à un substrat purement minéral jusqu’aux organismes dévoreurs de pierre, les chimio-lithotropes. Avec l’ensemble de cette approche physique, chimique et biologique, entre ce que fait l’agriculteur, ce qu’il a donné au sol, je peux déterminer le dynamisme du sol à venir. Si par exemple je vois de bonnes argiles au fond et que je ne retrouve que de mauvaises argiles en surface, le sol est en train de s’abîmer. Les humus (qui possèdent, soit dit en passant, la même racine lexicale que le mot humanité) sont de mauvaises qualités. Si mon activité biologique n’est pas plus forte en surface que dans la partie minérale, le sol est en train de minéraliser jusqu’à la surface. Ce sol est mort.

Tout le monde constate que la matière organique baisse dans les sols mais personne n’en tire de conclusions. On se refuse encore à comprendre que les sols sont en train de mourir en Occident, alors que ce sont eux qui nous nourrissent, ne l’oublions pas. Alors, si votre sol est déséquilibré, ce n’est pas en lui apportant les éléments NPK que vous allez le recharger. La plante prélève environ 28 éléments dans le sol.

Quand vous voyez l’Afrique, c’est affolant ! Les pays comme l’Ethiopie et le Soudan ont coupé 95 % de leurs surfaces forestières depuis 1960. Et maintenant c’est une marée humaine de crève-la-faim. On ne pourra pas faire face, surtout si on se limite à la peur, le rejet et la force. Allez en Indes, c’est le cauchemar l’Inde ! On a cru qu’en vendant des engrais aux Hindous et en mettant des variétés à haut rendement, on allait régler le problème. On a érodé des millions d’ha en Inde depuis les années 70 par les techniques dites de la « Révolution verte ». Mais le problème n’est pas technique. Le problème est bien plus subtil que cela. La Terre est quelque chose de très subtil. Nourrir les hommes, ce n’est pas simple.

La Terre a besoin de respect. La Terre manque de bras pour être cultivée avec le soin qu’elle demande mais, hélas, les hommes ne veulent plus la travailler, car être paysan est devenu dégradant. La destruction des sols agricoles est le problème majeur auquel l’humanité sera confrontée au siècle prochain. Il faut arrêter l’érosion des sols cultivés. L’urgence de l’urgence, c’est la vie des sols. »

« La destruction des sols agricoles est le problème majeur auquel l’humanité sera confrontée au siècle prochain. Il faut arrêter l’érosion des sols cultivés. L’urgence de l’urgence, c’est la vie des sols. »

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