CIMVC / Moûts de vinification : « Un revenu comparable à certains débouchés Cognac »

3 août 2011

Pour l’achat des moûts de vinification, les opérateurs vins régionaux annoncent une hausse de prix de 15 à 20 %, avec un maintien des conditions de paiement à 60 jours fin de mois. Face à une économie Cognac en pleine santé, la filière « Autres débouchés » espère ainsi sauver un seuil de visibilité d’au moins 500 000 hl vol. Interview à deux voix de Philippe Guélin, président du CIMVC (Comité interprofesionnel des moûts et vins du bassin viticole des Charentes), et d’Hervé Pogliani, vice-président du Comité, président du Syndicat charentais des négociants en vins.

 

 

guelin_pogliani.jpg« Le Paysan Vigneron » – Pourquoi avoir souhaité vous exprimer aujourd’hui ? (Interview réalisée le 15 juin 2011).

Hervé Pogliani – Au niveau du négoce vin, il nous semblait important de présenter à la viticulture nos intentions d’achat pour la campagne qui s’ouvre. Quant à l’interview à deux voix avec Philippe Guélin, elle témoigne bien de l’esprit filière de cette « troisième voie » représentée par les « Autres débouchés ».

« L.P.V. » – Ces conditions d’achat, quelles sont-elles ?

H.P. – Parlons des modalités de paiement et des prix. En ce qui concerne les conditions de paiement, le Syndicat charentais des négociants en vins a décidé de ne rien changer aux pratiques habituelles. Sur la prochaine campagne, la marchandise sera toujours réglée à 60 jours fin de mois, c’est-à-dire fin novembre, fin décembre voire fin octobre en cas d’enlèvements précoces.

« L.P.V. » – Pourquoi en irait-il autrement ?

H.P. – Au niveau national, l’interprofession des vins et moûts, l’ANIVIN de France (ex ANIVIT), a décidé, à la demande des professionnels, de proposer un avenant pour mieux encadrer les conditions de paiement. Cet avenant, étendu par les pouvoirs publics, prévoit que le délai maximal de paiement puisse courir jusqu’à une année (365 jours), avec des cadences régulières de versement. En Charentes, nous avons pris le parti d’en rester aux pratiques habituelles. Pour les viticulteurs, livrer des moûts de vinif. est souvent synonyme de trésorerie rapide même si, derrière, les entreprises de négoce doivent souvent gérer des décalages d’enlèvement, qui peuvent dépasser un an. Mais, après tout, cette partie de travail nous incombe. Dans un contexte charentais déjà tendu pour l’approvisionnement « autres débouchés », il ne s’agissait pas de trop brouiller la donne.

« L.P.V. » – Et les prix ?

H.P. – Les prix constituent en effet l’autre point important, je dirais même essentiel. Après un tour de table avec mes collègues négociants, nous avons estimé qu’à ce jour une hausse de 15 à 20 % était envisageable. Volontairement, je ne parlerai pas de prix mais d’un pourcentage indicatif de hausse, pour que le syndicat des négociants en vins ne soit pas accusé d’entente et aussi afin de respecter la liberté de chacun. Mais la tendance est là. Chacun connaît les prix pratiqués l’an dernier et peut donc estimer le prix à attendre. Que les viticulteurs intéressés se rapprochent de leurs négociants, s’ils travaillent en direct ou de leurs courtiers.

Si le président du syndicat des négociants en vins ne peut pas s’exprimer sur les prix, Hervé Pogliani, président de la Distillerie charentaise, a déjà une idée du prix auquel il va traiter les moûts. Je pense que cette hausse significative du prix des moûts peut apporter un revenu tout à fait comparable à celui de certains débouchés Cognac. Dans ce contexte, on peut imaginer que des viticulteurs affectent une petite partie de leur surface aux autres débouchés.

« L.P.V. » – Compte tenu des rendements, en auront-ils la possibilité ?

Philipe Guélin – Le potentiel est là. Maintenant, pour qu’il s’exprime, il doit pleuvoir. Dame nature, une fois de plus, dispose de nous. Certaines petites régions ont reçu deux fois 40 mm, voire deux fois 60 mm et d’autres moins de 2 mm. Une grande hétérogénéité caractérise cette année. Des vignes sont au stade « fermeture de la grappe » et d’autres au stade « petits pois », « plomb de fusil » (interview réalisée le 15 juin).

« L.P.V. » – Vos clients sont-ils déjà au courant de votre intention d’augmenter les prix ?

H.P. – Nous ne l’avons pas encore évoqué avec eux. Tout ce que l’on espère, c’est qu’ils suivront.

« L.P.V. » – Comment se passe le marché des vins sans IG aujourd’hui ?

H.P. – En France, deux régions possèdent encore des stocks à cette époque de l’année. C’est le cas du Muscadet, où les vins sans IG issus de cépages Muscadet se vendent 25-30 € l’hl vol. Les quantités ne sont pas énormes mais, en même temps, le marché des vins blanc est étroit. Existent aussi des disponibilités de vins de cépage dans le Gers. Ceci dit, pour envisager une progression des prix, nous nous sommes basés sur le prix de marché européen qui, lui, s’affiche plutôt en légère hausse. A priori, sur l’ensemble des vignobles européens, nous devrions finir l’année sans beaucoup de stock. C’est pour cela que nous pensons avoir une carte à jouer. L’idée, c’est d’essayer de sauver un peu de marchandise en Charentes.

« L.P.V. » – A combien estimez-vous vos besoins ?

H.P. – Pour être significatif, il ne faudrait pas descendre en dessous du volume de l’an dernier : 700 000 hl vol., soit 3 000 ha à 250 hl vol./ha. Au niveau européen, pour qu’un marché soit visible, il doit représenter au minimum 500 000 hl vol. En dessous, on n’en parle pas.

« L.P.V. » – Que pensez-vous du rendement de 250 hl vol./ha ?

P.G. – Ce rendement ne s’appuie sur aucun support juridique, pas plus d’ailleurs que 200 hl, 150 hl ou 300 hl vol. La seule limite admise, c’est le rendement physiologique de la vigne. Disons qu’il semble réaliste que quelques milliers d’ha, dans la région délimitée, puissent atteindre ce niveau de rendement. Sur la dernière récolte, cela s’est très bien passé. Tout le monde a respecté la norme. Cette année encore, la raison va l’emporter.

« L.P.V. » – Pour le calcul du rendement Cognac, quel niveau de besoin avez-vous communiqué à l’interprofession du Cognac ?

H.P. – Normalement, le chiffrage des besoins devrait se baser sur l’affectation. Mais comme elle arrive en juillet – alors que le rendement Cognac est déjà fixé – le calcul retient les volumes de l’an passé. En 2011, ce sont les 700 000 hl vol. réalisés en 2010 qui furent introduits dans la base de calcul. Il s’agit d’ailleurs d’un système un peu aberrant, que l’on pourrait qualifier « de la double peine ». Il prolonge des tendances alors que le renversement peut intervenir d’une année à l’autre, dans les deux sens d’ailleurs. A noter que cela n’empêche en rien les viticulteurs d’affecter ou de ne pas affecter aux autres débouchés. Ils conservent leur entière liberté.

« L.P.V. » – Un syndicat comme le SGV Cognac propose de pouvoir modifier, dans une proportion certes marginale, l’affectation au moment de la déclaration de récolte. Qu’en pensez-vous ?

H.P. – C’est une idée à double tranchant. Commençons par le côté négatif. Des viticulteurs pourraient se dire que ce n’est pas la peine d’affecter au 1er juillet, s’ils peuvent le faire plus tard. Le côté positif, c’est bien sûr de pouvoir revenir sur l’affectation, s’ils s’aperçoivent qu’ils ont trop affecté au Cognac.

P.G. – Cette clause de revoyure ne jouerait que dans une proportion minime, peut-être sur 5 % des volumes et uniquement dans un sens, du Cognac vers les autres débouchés. Car les cahiers des charges Cognac et Pineau font de l’affectation préalable une condition obligatoire.

« L.P.V. » – Aujourd’hui, les débouchés dits « industriels – vin sans IG, vins de base mousseux, jus de raisin… – absorbent environ 5 % des volumes de la région. A votre avis, est-ce suffisant, insuffisant ?

H.P. – La question n’appelle pas de commentaire particulier de ma part. C’est un état de fait, une donnée factuelle. Si j’ai des choses à dire, c’est plutôt sur les propos que ce sont permis de tenir certains viticulteurs à l’égard des négociants en vins de cette région. Je n’ai jamais manié la langue de bois et ce n’est pas à 57 ans que je vais commencer. Pour répondre à ces personnes, j’aimerai remonter un peu en arrière. Souvenez-vous. Quand on a commencé à parler d’affectation, au début des années 2000, certains préconisaient d’arracher 12 à 15 000 ha. Au final, l’arrachage s’est borné à 3-4 000 ha, en partie grâce aux « autres débouchés » qui jouèrent un rôle d’amortisseur. Et heureusement que l’arrachage ne porta pas sur 12 ou 15 000 ha. Où en serions-nous aujourd’hui ! Le Cognac ne disposerait pas du vignoble dont il a besoin. Je sais que l’on va me rétorquer : « A quel prix avez-vous acheté les vins ? ». Il n’empêche. Les grands équilibres sont là.

P.G. – Chacun conserve sa liberté d’entreprendre. Même pour la « maison Cognac », la possibilité de sauvegarder un potentiel de production est une bonne chose.

« L.P.V. » – Revenons-en aux prix. Concernant les débouchés vins, c’est toujours la pomme de discorde, là où le bat blesse.

Encore une fois, faisons appel à notre mémoire. Je me souviens d’être allé à Paris avec mes collègues pour rencontrer Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre. C’était en 2001-2002. A l’issue de cette réunion, nous avons réuni les représentants du Syndicat français des vins mousseux. Avec eux, nous étions tombés d’accord sur l’idée de jouer « la carte France » pour mieux valoriser les vins mousseux. La plus-value ainsi dégagée devait être partagée entre trois acteurs : les viticulteurs charentais, le négoce local et les élaborateurs français de mousseux. Mais, à la clé, il fallait s’engager sur 600 000 hl vol. Tout ceci est tombé à l’eau. L’année suivante, le président du Syndicat des élaborateurs de mousseux m’a relancé très sérieusement sur les 600 000 hl vol. en provenance des Charentes. Puis c’est devenu une boutade entre nous.

Vous souhaitez faire mieux, fidéliser un marché puis vous vous retrouvez coincés, sans possibilité de tenir des prix.

« L.P.V. » – Quelle part occupent les vins de base mousseux en Charentes et comment palliez-vous au manque de marchandise ?

H.P. – Je pense qu’en Charentes aujourd’hui, les vins de base mousseux représentent 60 % des volumes, pour 40 % aux vins de table. C’était en tout cas la tendance de la dernière récolte. L’année précédente, nous étions plus sur un 50/50 entre vins mousseux et vins tranquilles. Pour compenser le déficit de volume, personnellement je me tourne vers le Gers ou la Loire, certains collègues vers le Midi de la France et des vins étrangers se retrouvent régulièrement dans quelques-uns de nos assemblages.

« L.P.V. » – En terme d’approvisionnement, comment envisagez-vous l’avenir ?

H.P – Nous n’attendons pas de changement radical. A la marge, il serait sans doute bien, lors d’années pléthoriques, que les viticulteurs puissent nous envoyer du vin. C’est quand même aberrant de détruire des volumes alors que nous manquons de marchandise. Je sais que la région a décidé qu’il n’y aurait rien au-dessus des quantités Cognac. Mais une possibilité n’existerait-elle pas d’alimenter un marché de produits industriels, hors brandy s’entend (jus de raisin, vins de base mousseux, vin pour vinaigrerie…). Quelque chose qui pourrait être revue tous les ans, selon qu’il y ait ou non de l’affectation. Notre syndicat propose d’y réfléchir.

« L.P.V. » – Les prix n’en sortiraient-ils pas laminés ?

Si l’on veut qu’un marché se mette en place et perdure, les prix doivent être rémunérateurs. Pas question de dire à la viticulture : « nous allons vous débarrasser de vos vins pour rien ».

« L.P.V. » – Aux côtés du Cognac et du Pineau, le CIMVC est l’une des trois branches de la Fédération des interprofessions du bassin des Charentes. Il semblerait qu’une réflexion existe sur les statuts de la fédération. Qu’en est-il ?

En effet, une commission doit se mettre en place pour réfléchir à une nouvelle façon de faire fonctionner la fédération. Actuellement, le Cognac, le Pineau et les vins sont à égalité de traitement au sein de la structure. Ils disposent chacun de quatre sièges. Ce qui est en discussion, c’est une représentation au poids économique. Question : que veut-on faire de cette fédération ? Un fonctionnement à égalité oblige les gens à se mettre d’accord sur les sujets transversaux concernant l’outil de production. Maintenant, si l’un des membres de la fédération des interpro. devait représenter 80 % des voix, serait-ce bien utile d’avoir une fédération ?

Récemment, les négociants Cognac ont dit que les deux postes réservés aux Charentes à FranceAgriMer n’étaient pas acquis pour toujours à la viticulture. Et je suis en accord avec eux. Mais quel négoce doit occuper ce poste ? Sachant que FranceAgriMer traite principalement de problème de vins, il me semble qu’un représentant du CIMVC à FAM ne serait pas aberrant.

Affectation « Autres Débouchés »  : « Il n’Y Aura Pas Zéro »
Les courtiers sont formels. L’affectation aux « Autres débouchés » ne fera pas carton plein mais elle ne sera pas non plus réduite à zéro. « Dans certains secteurs, notre clientèle a une tradition d’affectation aux Débouchés autres ». Certes, l’augmentation de rendement qui, au plan global, passe de 9,50 hl AP/ha à 10,50, ne facilitera pas les choses. « Les gens sont un peu prudents. Ils ne savent pas exactement de quoi sera faite la récolte. Ils ne souhaitent pas engager des volumes qu’ils ne pourraient pas tenir. » Et le marché du Cognac est demandeur. Ce que confirment les courtiers : « Côté Cognac, une volonté d’achat assez ferme existe. Nous ne sommes pas inquiets sur l’écoulement ». En même temps, les « Débouchés autres » apportent de la trésorerie immédiate. Clairement, il s’agit d’une attractivité supplémentaire, surtout si elle s’associait, comme annoncé, avec une progression du prix des moûts. Parallèlement, aux yeux des courtiers, la « répulsion à détruire » des viticulteurs explique en grande partie le maintien de l’intérêt pour l’affectation. « A revenu égal, s’ils peuvent éviter de détruire, ils préfèrent. »

 

 

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