« Peut-on à la fois mener une politique haut de gamme et augmenter la volumétrie ? » Pour Christophe Juarez, président du directoire de H. Mounier et à ce titre responsable des destinées de Reynac, marque historique du Pineau, c’est l’une des questions fondamentales qui se posent aujourd’hui à la filière. Membre du Comité national du Pineau des Charentes, Christophe Juarez participe à la réflexion collective autour de l’avenir du produit.
L’avenir du Pineau fait actuellement l’objet d’un véritable « brainstorming ». Qu’en pensez-vous ?
En effet, depuis l’arrivée de Patrick Rague-naud à la tête du comité, un certain nombre de réflexions collectives sur l’avenir de la filière Pineau ont été engagées. Chacun d’entre nous est en train de se positionner, de construire par rapport à ce futur.
Quel regard portez-vous sur la filière ?
La difficulté, avec le Pineau, c’est que nous n’avons pas à faire à un univers homogène mais à trois marchés bien distincts, aux modes de fonctionnement totalement différent. Il y a le marché des Pineaux de viticulteurs ou de domaines. Par nature, il reflète le caractère particulier, l’image de ses producteurs. En règle générale, la commercialisation s’effectue plutôt dans la région de production. Evidemment, Château de Beaulon constitue, à cet égard, l’exemple le plus emblématique. Il s’agit du modèle le plus abouti. Je citerai ensuite le marché dit « de marque », dont Reynac est le leader de la catégorie, à la fois par son histoire, sa présence sur le territoire français et dans un certain nombre d’enseignes de la grande distribution. Dans la mesure où, en France, 90 % des ventes de spiritueux passent par ce canal, nous nous devons d’y être. La grande distribution légitimise des marques comme les nôtres. Enfin, il y a le marché des MDD, des marques distributeurs, là où nos confrères et nous-mêmes assurons une partie importante de la volumétrie du Pineau. On estime que ce réseau absorbe au bas mot la moitié des ventes de Pineau. C’est le cas en France mais
aussi Belgique, où les MDD sont massivement implantées.
Comment la marque Reynac se positionne-t-elle aujourd’hui sur le marché du Pineau ?
Nous sommes dans une phase de premiumisation de Reynac. C’est à la fois la conséquence de l’augmentation des coûts de production mais aussi de la stratégie de Reynac, comme fer de lance d’un certain positionnement de la marque.
Est-ce compliqué de faire passer le message à la grande distribution ?
Cela passe forcément par d’âpres négociations et la nécessité de trouver des méthodes positives – je dirais « soft » – permettant d’activer le marché. Malgré tout, nous sommes plutôt dans une spirale vertueuse que je résumerais ainsi : « vendre moins mais vendre mieux ». Cette ambition me semble partagée par l’ensemble des opérateurs. Faire en sorte que le Pineau, petit à petit, accède à un statut d’apéritif de haut niveau, attaché à sa région et à sa gastronomie, pour tout dire « artisanal », au sens noble du terme.
Revenons à la grande distribution. Est-elle prête à vous entendre ?
Vis-à-vis de la grande distribution, notre première responsabilité, je crois, est de lui faire prendre conscience de l’importance du Pineau dans son portefeuille produits. Ses équipes n’en sont pas toujours convaincues. En tout cas, ce n’est pas la ligne de vente qu’elles regardent le plus au quotidien. Pourtant, il est très important pour nous de rester dans les référentiels nationaux, en démontrant que le Pineau peut contribuer à la rentabilité du rayon alcool.
En tant qu’opérateur Pineau, quel objectif visez-vous ?
Nous avons pour objectif d’augmenter le « panier moyen » consacrer au Pineau. Il s’agit d’un travail de longue haleine, de petits pas. Notre argumentaire s’appuie sur la raréfaction du produit mais aussi sur les caractéristiques organoleptiques du Pi-neau.
Quid de la concurrence au sein de la catégorie.
Il y a toujours des francs-tireurs. Dieu merci, nous ne sommes pas dans une économie régulée. Mais les choses évoluent plutôt dans le bon sens. La grande question qui se pose aujourd’hui à la filière me semble-t-il, c’est de savoir si nous serons capables à la fois de mener une politique haut de gamme et d’augmenter les volumes. Pour moi, il s’agit vraiment de la question essentielle. Le danger de la premiumisation, c’est de se marginaliser et, dans le pire des cas, de disparaître. Ce serait quand même très dommage.
Par rapport aux volumes, où en est
Reynac aujourd’hui ?
Nous sommes plutôt dans une attitude de consolidation, pas d’expansion.
Innovation et exportation sont souvent citées comme des moyens d’évoluer
« par le haut ».
Avant d’innover, nous disons qu’il faut d’abord reconfigurer le cahier des charges de l’appellation. A l’intérieur du comité comme du syndicat, des professionnels s’y emploient. Ce n’est qu’après la réalisation de ce travail que nous pourrons enclencher des projets d’innovation. Aujourd’hui, trop d’incertitudes entourent les conditions de production. Je ne citerai qu’un exemple – les Pineaux rosés – qui représentent tout de même un maillon intéressant pour la filière. En matière de positionnement, il est aussi nécessaire de clarifier la référence au Cognac. Doit-on en parler plus, en parler moins ? Est-ce un avantage concurrentiel ? Les consommateurs y sont-ils réceptifs ? Des études sont en cours pour le savoir.
Et l’exportation ?
Pour l’instant, nous n’avons pas de projets spécifiques concernant l’international. Bien sûr, comme tout le monde, nous procédons à des dégustations et le Pineau est généralement apprécié.
Quelle place occupe le Pineau au sein de H. Mounier ?
Il s’agit d’un vecteur important de notre activité. C’est aussi un produit technique qui illustre bien notre savoir-faire.
Estimez-vous positive l’orientation prise par la filière Pineau ?
Absolument. Je pense qu’il faut évoluer et surtout prendre conscience du fait que nous sommes dans un univers concurrentiel mouvant. Pendant des années, nous avons connu la concurrence des apéritifs type Martini ou Porto. Aujourd’hui nous sommes titillés par les Cava (effervescents) mais aussi par les vins aromatisés, style « Rosé pamplemousse ». A mon avis, ce genre de produit nous fait beaucoup de tort. Se manifeste aussi la tendance actuelle à simplifier l’usage de l’alcool. En soirée, les gens consomment facilement du vin blanc puis du vin rouge. La notion d’apéritif tend à s’estomper. Le Pineau ne doit pas igno-rer ces changements de comportement. A cet égard, le comité se livre, je crois, à une remise en cause salutaire. Il a l’ambition de faire bouger les lignes. Surtout, il n’est pas dans une position dogmatique et ça, c’est essentiel.
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