Cahors Malbec : Mon identité, exactement

7 août 2009

La collective Cahors a créé le buzz au salon Vinexpo en installant un « corner Malbec » entre son stand et celui de l’Argentine. Depuis 2007, l’interprofession des vins de Cahors mène un vigoureux « marketing identitaire » qui « surinvestit » les éléments de différenciation, terroir, cépage, couleur du vin. Bénéfice associé : le vignoble espère bien « se mettre dans la roue de l’Argentine », qui a lancé la mode du cépage Malbec aux Etats-Unis.

stand_cahors.jpgA 2 h 45 de Bordeaux (2 h si l’on arrive par l’ouest du vignoble), Cahors fait partie de ses grands vins du Sud-Ouest qui plongent leurs racines très avant dans l’histoire. Le terroir abrite des vignes depuis l’époque romaine. Le règne d’Aliénor d’Aquitaine au 13e siècle marque le début de l’âge d’or avec la présence des marchands anglais, une période d’opulence qui perdurera jusqu’aux 18e-19e siècles. Avant la crise philloxérique, Cahors comptait 60 ou 80 000 ha de vigne. Aujourd’hui, sa surface de production ne dépasse pas 4 000 ha même si sa zone d’appellation s’étend sur 22 000 ha. Dans le concert des régions d’appellation, Cahors n’a pas la prétention d’être mieux lotie que les autres. Bien au contraire. A la crise générale des vins s’ajoute à Cahors le contrecoup d’un projet avorté de hiérarchisation des vins, projet qui a capoté pour de multiples raisons, dont celle de dissension syndicale. Ainsi la crise sévit à Cahors depuis 2004. En 2006, l’Union interprofessionnelle des vins de Cahors (IUVC) – l’une des plus petites interprofessions de France puisqu’elle ne compte que 2,5 salariés – décide d’investir dans le marketing. Elle recrute un spécialiste du domaine, Jérémy Arnaud, qui s’était déjà occupé des rosés de Provence pendant six ans. Le diagnostic du jeune directeur marketing de l’interprofession ne tarde pas. Il faut jouer à fond le « marketing identitaire ». Quésaco ? « C’est décliner son identité, exactement » répond derechef Jérémy Arnaud. Quelque part, il s’agit aussi de créer un rapport plus subjectif, plus affectif avec le produit. Dès 2007, une stratégie se met en place. Elle va consister à « sur-miser », « sur-réagir » sur les éléments de différenciation. Jérémy Arnaud en détecte trois : le terroir bien sûr, qualifié « d’exceptionnel », le cépage Malbec, qui occupe 85 % des surfaces et la couleur du vin transmise par le cépage teinturier qu’est le Malbec. « Plus les vins montent en gamme, plus ils sont noirs » relève le directeur marketing de l’IUVC. D’ailleurs, les acheteurs anglais ne s’y trompent pas, qui ont toujours nommé « Black Wine » les vins de Cahors, par opposition au « Bordeaux Claret », beaucoup plus clair. En 2007, l’interprofession de Cahors se livre à une « mise en lumière » de la couleur noire, avec force références aux travaux des sociologues et autres spécialistes des tendances. « Le noir draine un imaginaire très fort. » Un colloque savant pose le décor. Il s’intitule « Blackitude et Black Paradox ». Dans cette stratégie de la différenciation, reste à s’approprier le cépage. De but en blanc, ce n’est pas chose acquise. Le Malbec, les vignerons du Lot ne le connaissent pas ou très peu. Entre eux, ils parlent plus volontiers d’Auxerrois ou de Cot. Mais l’Auxerrois évoque sans coup férir la Bourgogne, ce qui est quand même dommage. Quant au Cot il s’assimile davantage au vocabulaire ampélographique. Surtout les spécialistes du marketing n’ignorent pas que, sur la scène internationale, quelque chose est en train de se jouer avec le Malbec. Outre-Atlantique, il surfe sur une puissante vague d’intérêt. Les Argentins ont développé ce goût pour le Malbec, eux dont le vignoble compte 25 000 ha de Malbec sur un total de 220 000 ha. Aux Etats-Unis, les ventes de Malbec argentin progressent de 50 % l’an. De là à avoir l’idée de se mettre « dans la roue des Argentins », il n’y a qu’un pas. Les vignerons de Cahors se sentent légitimes pour le faire. Après tout, si l’Argentine constitue, de loin, le plus gros réservoir de Malbec, chez eux le cépage mobilise 85 % des surfaces. Et puis, n’est-ce pas de Cahors que sont partis, au 19e siècle, les premiers clones de Malbec, pour encépager les terres fertiles au pied de la cordillère des Andes. En tout, de par le monde, on ne trouve pas plus de 35 à 40 000 ha de Malbec. « Nos Malbec sont différents et complémentaires. Nous n’avons pas peur des Argentins et les Argentins n’ont pas peur de nous » déclarent les Lotois. En décembre 2008, l’interprofession de Cahors s’envole pour l’Argentine chercher l’adoubement de ses lointains cousins sud-américains. Les Argentins lui disent en substance : « D’accord pour le tango Cahors/Argentine mais n’oubliez pas que le tango se danse à deux et non à trois. » Sur le terrain culturel, une coopération s’enclenche entre la ville de Cahors et Lujan de Cuyo, une des petites régions de la province de Mendoza où s’élaborent 30 % du Malbec argentin. En 2010, Cahors se prépare à accueillir un pôle d’expérimentation sur le Malbec (1,5 million d’€ d’investissement) ainsi que des Journées internationales consacrées au Malbec. Aux portes du Lot, la tour de Puy-Levêque supportera une bouteille géante de Cahors Malbec.

jeremy_arnaud.jpgC’est sur une telle toile de fond que s’inscrit le salon Vinexpo 2009. Pour Jérémy Arnaud, cela ne fait aucun doute. Il faut créer le « buzz » en s’extrayant de la bien-pensance institutionnelle, « la géo-politique des vignobles ». Première décision, le stand de Cahors ne sera pas dans le hall 2, avec les vins du Sud-Ouest mais dans le hall 1. Deuxième décision, Cahors et Argentine vont créer un « corner Malbec », histoire de frapper un grand coup et d’attirer l’attention. D’un point de vue esthétique, le stand de la collective Cahors sera noir, avec un affichage propre à réveiller un mort, « Cahors Malbec ». Le stand, échappant aux codes habituels, évoque les bars branchés de Picadilly circus, avec leurs ardoises proposant la vente de vins au verre, Grenache de Châteauneuf-du-Pape, Chardonnay d’Australie… « Vu la taille de mon vignoble, je ne valide que les actions qui me permetttent de surexister » confirme J. Arnaud. « Je me suis dit que nous étions dans un salon de crise. Pour offrir une visibilité à mes 60 m2, noyés dans les 41 000 m2 du salon, il fallait un signe fort, qui interpelle l’acheteur. Le cépage s’imposait. Dans une ambiance de crise, que recherchent les opérateurs ? Les appellations notoires, les valeurs sûres, ou bien les valeurs montantes. Aujourd’hui, les cépages sont en vogue. Il n’y a qu’à voir l’intérêt autour des Riesling, Pinot gris, Malbec. » Coup de chance qui ne gâte rien : les deux stands de Cahors et d’Argentine jouissent d’une position stratégique, à l’entrée du hall 1. Merci Vinexpo ! En quelques jours, la collective Cahors recueille une centaine de contacts commerciaux intéressants, accueille une cinquantaine de journalistes, dont un tiers jamais vus. Ces contacts, l’interprofession les mettra à dispositions des opérateurs juste après la fin du salon. Car, délibérément, Cahors a fait le choix de la promotion collective, sans producteurs sur son stand. Elle fut l’une des rares régions à procéder de la sorte.

Que va-t-il advenir de toute cette mobilisation autour du Malbec ? « Notre intention n’est pas de vendre du Malbec mais du Cahors » précise le directeur marketing de l’interprofession. Selon nous le Malbec joue le rôle d’un déclencheur d’achat. » Concrètement, Cahors Mlabec est en passe de devenir une marque collective, dotée d’un cahier des charges prévoyant, pour le vin, 85 % de cépage Malbec. Une évolution rendue possible par la réglementation car, jusqu’à une période récente, l’indication des cépages était réservée aux vins de pays, à l’exclusion des AOC, sauf exception pour les vins d’Alsace et quelques autres.

« cahors malbec tour »

Pour « battre le fer pendant qu’il est chaud », un « Cahors Malbec tour » co-financé par l’UE, est prévu en septembre. Il traversera les villes de Washington, New York, Chicago. Une vingtaine d’entreprises y participeront, accompagnée d’un journaliste des Echos. « Nous avons ouvert les tuyaux, commencé à les remplir. Maintenant il faut transformer l’essai. » Pour l’heure, rien de vraiment tangible ne se manifeste encore. A l’exportation, les ventes de Cahors indiquent un timide + 5,2 % (+ 3,7 % l’an dernier). Dans un marché des vins très déprimé, le signe est plutôt encourageant mais demande à être confirmé. Aux Etats-Unis, le marché du Malbec argentin équivaut à 150 000 hl vol., ce qui correspond peu ou prou à la production totale de l’appellation Cahors. Les producteurs du Lot rêvent de s’accrocher au wagon du Malbec, avec des prix positionnés autour de 10/16 $ la bouteille, un peu plus hauts que le Malbec argentin, déjà bien valorisé à 10 $ la bouteille. « Ce positionnement prix constitue notre seule chance. Car, vu notre taille, nous n’avons pas vocation à lutter sur le marché des vraqueurs ou celui de la grande distribution. » Avec ses 220 domaines et châteaux, ses 230 coopérateurs regroupés dans une coopérative représentant 20 % de la production, Cahors a pu être perçu comme une appellation qui cultivait un peu trop l’attachement au terroir. « On nous dit souvent que nous avons trop de domaines et châteaux. » Mais à l’expression de « repli identitaire, Cahors préfère celle de « rebond identitaire. » Cette propension à défendre haut ses couleurs n’est pas nouvelle. Les historiens racontent qu’après la capture de Vercingétorix la victoire complète de Jules César butta sur d’irréductibles Gaulois du Sud-Ouest, les Cadurques, qui donneront leur nom à la ville de Cahors. César envoya Caninius, un de ses fidèles lieutenants, pour mater la rebellion. Mais rien n’y fit. La résistance s’avérait tenace. Il y faudra une grande tour en bois, d’où étaient bombardés des projectiles et le détournement d’un cours d’eau qui alimentait la cité pour qu’enfin les Cadurques se rendent. Quant au Malbec, il a une origine anthroponymique. Il signifie littéralement « mauvaise langue ». Un tempérament de résistant associé à une lange bien pendue… Tous les espoirs sont permis aux vignerons de Cahors.

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