Autorisations de plantation 2016 : la dimension patrimoniale en question

2 septembre 2015

Les autorisations de plantation qui, dès le 1er janvier 2016, remplaceront les droits de plantations seront « incessibles, attachées à l’exploitant et sans valeur patrimoniale ». Les instances européennes en ont décidé ainsi. D’un point de vue patrimonial, la face du monde s’en trouvera-t-elle changée ? Pas sûr. Car les droits de plantations actuels présentent déjà certaines de ces caractéristiques. Reste que le nouveau régime « en rajoute une couche ». Pour que « chacun retrouve ses petits », que l’équilibre soit préservé entre exploitant et non exploitant, entre propriétaire et fermier, il faudra certainement revisiter les fondamentaux (état des lieux, autorisations…) et accorder une place importante aux clauses contractuelles. Bruno Braud et Martine Gris, tous deux juristes en droit rural au CER Poitou-Charentes pour la région viticole 16-17, ont accepté de s’interroger sur le futur régime, à partir de leur profonde connaissance des aspects patrimoniaux du régime des droits de plantation.

 

 

Parmi les termes qui qualifient les autorisations de plantation, il y a celui « d’incessibilité ». D’un point de vue patrimonial, qu’est-ce que cela signifie ?

Classiquement, le concept d’incessibilité renvoie à ce qui ne peut pas être transmis, ce qui ne peut pas être vendu ou donné. Concernant le régime des droits de plantations, quelle est la situation actuelle ? Comme toujours dans la région viticole de Cognac, la question de la cessibilité est un peu compliquée. Il y a le cas du Pineau ou des Vins de pays charentais qui, de tout temps, comme IGP, eurent accès à des possibilités de transferts. En ce sens, leurs droits étaient cessibles. Et puis il y a le cas du Cognac, pour lequel, en temps que Vin sans IG, il n’a jamais existé de bourse des droits. On ne pouvait ni acheter ni vendre des droits Cognac. Ainsi ces droits étaient-ils potentiellement incessibles, comme le seront demain les autorisations de plantation. Sauf qu’il existait des exceptions, transversales à tous les types de vins. Ces exceptions, au nombre de trois, étaient assez bien répertoriées.

• Première exception : quand un viticulteur vendait sa dernière parcelle de vigne, il pouvait également céder les droits en portefeuille qui lui restaient. Cette cession prenait la forme d’une transmission gratuite et non d’une vente.

• Deuxième exception : quand une personne vendait une parcelle de terre, elle pouvait y attacher une surface identique de droits en portefeuille.

• Enfin, la troisième exception s’exerçait à travers le bail rural. Un propriétaire louait des vignes à un fermier et pouvait se mettre d’accord avec lui sur une clause dite de « dévolution des droits ». Cette clause de dévolution pouvait prévoir qu’à terme le fermier puisse arracher la parcelle du propriétaire pour la replanter chez lui, effectuant par là même un transfert de droit. Cette opération se devait d’être également non monnayable, non valorisable.

Ainsi, par l’intermédiaire de ces trois exceptions, une cessibilité partielle existait mais encadrée, limitée et, de plus, suivie par les Douanes et le Casier viticole informatisé (CVI).

Demain ?

Demain, l’autorisation de plantation posera plus fermement le principe de l’incessibilité. Bien évidemment quand la transmission portera sur une vigne plantée, cela ne changera rien à la situation actuelle. Attachée au terrain, la vigne suivra le détenteur du sol. Mais quid des droits en portefeuille qui deviendront des autorisations de plantation (à réaliser désormais dans un délai de 3 ans au lieu des 8 ans précédemment) ? Quel sort leur réservera-t-on en cas de décès, de donation, de mise en société, de dissolution de société, d’achat d’exploitation, de bail, tous épisodes normaux de la vie d’une entreprise ?. Seront-elles strictement intransmissibles ? Question ouverte.

C’est vrai qu’aujourd’hui, dans la région délimitée Cognac, on raisonne davantage en termes de plantations anticipées que de droits en portefeuille, mais rien n’est figé dans le marbre. Et autant il est possible d’anticiper une mise en société ou une cessation d’activité, autant l’exercice est vain en cas de décès… Des exceptions à ce principe d’incessibilité seraient éminemment souhaitables. Lors de la réunion de l’UGVC, au printemps dernier, la représentante de FranceAgriMer (Anne Haller NDLR) l’aurait laissé entendre – « Même si des positions très fermes s’expriment au sein de l’UE pour empêcher toute cessibilité, la Commission n’est pas totalement hostile à une certaine souplesse d’interprétation. Il pourrait y avoir une liste positive de cas où la transmission des droits en portefeuille s’exercerait, mais certainement dans un nombre limité de situations. C’est un vrai sujet de fond sur lequel la Commission n’est pas encore allée jusqu’au bout du raisonnement. »

Le nouveau régime prévoit que les autorisations de plantations soient attachées à l’exploitant, c’est-à-dire à la personne physique ou morale titulaire du CVI. Comment analysez-vous cette disposition ?

Ce point nous entraîne sur le terrain de la dissociation entre droit de propriété et droit d’exploiter ; entre l’aspect patrimonial d’un côté et l’outil de travail de l’autre. Quand les deux éléments sont réunis, on parle d’un propriétaire exploitant. Le cas le plus simple. Mais le statut du fermage existe, avec un preneur exploitant et un bailleur non exploitant.

On peut aussi évoquer la mise à disposition de terres au sein d’une société. C’est la faculté, pour un associé, de mettre à disposition de la société des biens dont il est propriétaire ou fermier. Demain, les propriétaires non exploitants se retrouveront-ils démunis de leurs autorisations de plantations au bénéfice des exploitants ? A priori, la réponse est non.

Pourquoi ?

Parce que la question s’est déjà posée mais dans le sens inverse. Et qu’une solution a été trouvée. Expliquons-nous. En 1999, la Cour de cassation juge que les droits de plantation en provenance du preneur mais qui sont plantés sur les terres du bailleur s’incorporent immédiatement à la propriété du bailleur. C’est la mise en œuvre de la théorie dite de « l’accession immédiate », fondée sur l’article 552 du Code civil – « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous ». Par une interprétation stricte de ce principe, les magistrats rattachent donc les droits de planter « exclusivement au fond supportant l’exploitation viticole » et non à la personne de l’exploitant bénéficiaire du droit. Petite révolution dans le Landerneau viticole. Cette position de la jurisprudence, plusieurs fois confirmée par les juges, allait-elle entraîner la fin du fermage viticole ou de la mise à disposition ? Le salut est trouvé à travers la « clause de dévolution des droits en fin du bail ou de la mise à disposition ». Contractuellement, par cette clause de dévolution, il va être possible de prévoir à l’avance le sort des droits de plantation en fin de bail. Le législateur a transcrit cette évolution jurisprudentielle. Depuis 2002, le Code rural (article R 665-10) impose que bailleur et preneur se mettent d’accord à l’avance sur la manière de répartir la propriété des plantations et des droits à planter. D’ailleurs, depuis 2015, les droits de plantation ne sont délivrés qu’à la condition d’une clause de dévolution dans les baux ruraux. Ainsi, sans contrevenir au caractère d’ordre public du statut des baux ruraux, les clauses contractuelles ont-elles permis de répondre à la volonté des parties.

Cela valait pour les droits de plantation. Mais quid des prochaines autorisations ?

Concernant les autorisations de plantation (à solliciter même pour une replantation N.D.L.R.), la règle sera effectivement que celles-ci soient délivrées à l’exploitant fermier. Mais, juridiquement, les contrats de baux et mise à disposition pourront et devront régler le sort des plantations ! En clair, il paraît assez probable que, comme ce qui s’est passé après 1999, des clauses de dévolution puissent être mobilisées afin de préserver les bons équilibres entre propriétaires et exploitants. Par contre, cela signifie que le contenu des baux ruraux (baux à ferme ou convention de mise à disposition) va redoubler d’importance.

Par ailleurs, il faudra revenir aux fondamentaux : rédiger des états des lieux en début et en fin de bail pour constater la surface plantée sur chacun des fonds ; ne pas oublier de demander l’autorisation d’arracher au propriétaire… Objectif : qu’en fin de bail, chacun retrouve sa surface initiale, ni plus ni moins. Il faudra pouvoir répondre à l’attente du bailleur qui dit : « Je souhaite retrouver mes vignes à la fin du bail ».

Parallèlement aux baux établis sous seing privé et aux baux à long terme rédigés devant notaires, il existe encore des baux verbaux.

A ce titre, les baux types départementaux revêtent un intérêt majeur. Ils permettent de pallier l’absence de baux écrits voire, quand les baux existent, de remédier aux imprécisions de nature viticole. En Charente-Maritime, le bail type date de 1984, en Charente de 1991. A la veille d’un changement de taille comme la mise en place des autorisations de plantation, ces baux types viticoles vont devoir évoluer. Or, avant le 1er janvier 2016, il reste peu de temps aux professionnels et aux administrations (DDT, Douanes…) pour avancer leur réflexion sur une réglementation dont on ne connaît pas encore les éventuels assouplissements. Dans ce contexte, on peut comprendre la réticence des deux commissions consultatives paritaires départementales des baux ruraux à se lancer dans la réécriture des baux types. A notre niveau, si nous pouvons formuler un vœu, c’est qu’à l’occasion de cette réécriture, une harmonisation s’opère entre les baux types de cette même région viticole, et ce malgré le poids de l’histoire.

Concrètement, après le 1er janvier 2016, qu’adviendra-t-il des baux en cours ?
A cette date, on ne parlera plus de droits de plantation, mais d’autorisations administratives.

Les baux vont devenir caducs dans leur rédaction. Il faudra certainement rédiger des avenants. Les questions de dévolution en fin de bail, de créances pour amélioration ou d’indemnités pour dégradation de fond seront évoquées à cette occasion. Les exploitations ne s’arrêtant pas de vivre sous prétexte d’un changement réglementaire, il est souhaitable de connaître rapidement tous les prolongements de cette nouvelle réglementation. Cette période de transition un peu compliquée à gérer devra être la plus courte possible. Mais l’avènement des DPB début 2015 nous a un peu instruits du contraire : la réglementation se construit au fil de l’eau, avec des réponses arrivant souvent en décalé, pour raisons diverses et variées (négociations avec Bruxelles, etc.). Ce n’est pas confortable pour les viticulteurs qui ont besoin d’anticipation.

Les caractères de gratuité et d’incessibilité des autorisations de plantation risquent-ils de changer quelque chose dans le traitement comptable et fiscal de la vigne au moment de sa transmission, vente ou donation ?

Une doctrine constante veut que les éléments incorporels comme les droits de replantation n’aient pas de valeur vénale. Conséquence : si une parcelle de vigne se vend 50 000 €, le montant des plus-values immobilières pour le propriétaire non exploitant se calculera eu égard à deux valorisations : la valeur de la terre d’une part et celle de la plante d’autre part. Dans la perspective de terres ou plantations inscrites au bilan (l’immense majorité des cas), d’un côté le bien sera non amortissable (la terre) et de l’autre il sera amortissable (la plante). Bien sûr, le bien amortissable génère dans un premier temps une déduction fiscale… qui peut se retourner contre l’exploitant s’il est taxé sur les plus-values professionnelles.

Comment déterminer la quote-part de chacun de ces deux éléments, terre et vigne ? Aujourd’hui, cette clé de répartition est toujours d’appréciation délicate pour un comptable. Avec les autorisations de plantation, gardera-t-on la même analyse ? Pas sûr car, au niveau juridique, il y a quand même quelque chose qui va changer : la notion d’incessibilité des autorisations de plantation. Or, d’un point de vue comptable, pour qu’un élément soit inscrit à l’actif du bilan, il doit être cessible. Est-ce que ce point technique sera de nature à engendrer des répercussions fiscales ? A minima, la question mériterait sans doute d’être posée à l’ANC, l’Agence nationale de comptabilité. D’autant que le même type d’interrogation concerne les DPB… Déjà sollicitée sur le sujet sur ce type de probématique il y a une dizaine d’années, l’Administration fiscale avait remis à plus tard son projet d’instruction. Ne pourrait-on pas profiter de l’avènement des autorisations de (re)plantation pour clarifier certains aspects juridiques, comptables et fiscaux ?

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Viticulture, un système régulé depuis l’aube du monde

Depuis l’Antiquité, avec des alternances de libéralisme et de rigueur, la production de vin a été placée sous la haute surveillance du pouvoir étatique. La tentative européenne de totalement libéralisé le secteur a partiellement échoué. Pour l’heure, l’autodiscipline professionnelle continuera de s’exercer, sous contrôle des pouvoirs publiques.

• An 92 – L’empereur romain Domitien édicte « que personne ne plante de nouvelles vignes en Italie ». Il s’agit, entre autres, de permettre le développement des cultures vivrières.

• 1395 – Le duc Philippe II de Bourgogne, dit le Hardi, proscrit l’utilisation du cépage Gamay pour préserver l’exclusitié du cépage Pinot à la production de vin rouge.

• 1622 – Une déclaration royale ordonne que tout terrain soit destiné au moins aux deux tiers à la culture du blé et au maximum un tiers à la culture de la vigne.

• 1725 – Montesquieu, alors président du Parlement de Guyenne, rédige un écrit « portant défenses de faire des plantations nouvelles en vignes dans la généralité de Guyenne ».

• 1931 – Loi sur la viticulture et le commerce des vins / Décret de 1953 n° 53-977 : ces textes sont les véritables actes fondateurs des « droits de plantation » en France et en Europe. Le principe de base des droits de plantation ! L’interdiction de plantation nouvelle. Comme tout principe, il comporte des exceptions qui sont les droits de plantation nouvelle octroyés par les pouvoirs publics et les droits de plantation prélevés sur la Réserve nationale. Quant au droit de replantation, il est lié à l’arrachage. Le droit de replantation, « c’est le droit de planter des vignes sur une superficie équivalente aux vignes arrachées ou qui doivent l’être (plantations anticipées) ».

• 1970 – La première OCM vin reprend le système de la limitation des plantations, inspiré de la réglementation française. Mais ce n’est qu’en 1987 que le régime d’interdiction de toute plantation nouvelle – sauf octroi exprès de l’autorité publique – devient contraignant pour les Etats membres.

Les droits de planter relèvent de la grande catégorie des autorisations administratives. Pour autant, appartiennent-ils à la famille des « droits à produire », comme les quotas laitiers, les quotas betteraviers ? Pour différentes raisons, les commentateurs du droit ne les assimilent pas entièrement aux droits à produire. Par contre, ils font bien partie des biens incorporels de l’exploitation, à l’instar des DPU (droit à paiement unique), DPB (droit à paiement de base).

• 2008 – L’OCM Vin annonce la fin du principe d’interdiction des plantations, à partir du 1er janvier 2016. Cela signifie que le régime des droits de plantation – une des plus anciennes mesures d’équilibre – va céder la place à une libéralisation historique. La Commission européenne estime que les droits de plantation représentent un frein au développement des exportations et donc de la viticulture européenne. Quant aux risques de surproduction ou d’extension sans limite, l’Europe compte sur le respect des « cahiers des charges » pour les canaliser.

• 2014 – La résistance de la viticulture européenne à cette complète libéralisation aboutira à l’émergence d’un système composite, celui des autorisations de plantation. Le principe posé par le nouveau régime est bien celui de l’obligation de planter mais contingentée à un plafond annuel de 1 %, assortie de cliquets.

Sources : « Les droits de planter, analyse juridique et perspectives », par Domenico Cavallo, université de Reims Champagne-Ardenne, sous la direction du professeur P. Berlioz.

 

 

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