Tempête Xynthia – Agriculture rétaise

20 avril 2010

Dans la nuit du 27 au 28 février 2010, une catastrophe a touché l’agriculture rétaise : la submersion d’une partie de ses terres agricoles par l’eau salée. Depuis, l’eau s’est retirée mais reste les interrogations. Quels effets peut avoir un excès de salinité sur une plante comme la vigne ? Et quels dédommagements attendre de la collectivité pour l’ensemble des cultures atteintes ?

Le cataclysme, Jean-Jacques Enet, président d’Uniré, l’a vécu en première ligne. D’abord parce que, habitant Saint-Clément-des-Baleines, dans ce nord-est de l’île durement « taclé » par les vents et la montée des eaux, il était à l’épicentre du phénomène (même si c’est la commune de La Couarde, commune de Michel Pelletier, qui fut le plus durement meurtrie). Et ensuite, parce qu’en tant que président de la coopérative, il a dû très vite « monter au créneau ». La première, la coopérative a organisé une réunion sur les conséquences agricoles de la tempête. Aujourd’hui, des sentiments contradictoires assaillent Jean-Jacques Enet. L’émotion tout d’abord. Lui et ses collègues ont reçu dès l’annonce de la catastrophe des témoignages de solidarité de toute la famille professionnelle charentaise, insulaire comme du continent (Bernard Guionnet, président du BNIC, leurs confrères du Pineau, ceux des vins de pays…). Le président d’Uniré dit et redit également combien le soutien de la Chambre d’agriculture 17 fut précieux en ces temps de souffrance, soutien moral autant que technique. « Les gens de la Chambre ont été formidables, je ne le répéterais jamais assez. » Les clients de la coopérative – acheteurs de la grande distribution… – se sont aussi manifestés : « On ne vous laissera pas tomber. »

enet.jpgCependant, un mois et demi après la tempête, J.-J. Enet s’avoue inquiet. « Dans les premiers jours, nous étions submergés de promesses. L’Etat, les collectivités territoriales s’engageaient à prendre en charge le manque à gagner agricole. Et puis le temps est passé et rien de précis se dessine, notamment de la part de la DDTM 17* (ex DDA). Nous sommes déçus. » Même les analyses de sols, annoncées comme gratuites, sont comptées au plus juste : 26 pour toute l’île ! Le manque à gagner, les agriculteurs rétais l’évaluent, en l’état actuel, à 1,3 million d’€, toutes cultures confondues (vignes, pommes de terre, céréales). Certes, à la mi-mars, un mois avant le débourrement, difficile de pronostiquer l’évolution des vignes. Si « le pire n’est pas le plus sûr », on ne peut pas non plus exclure un scénario plus sombre où l’absence de pluie de printemps ferait courir un risque aux vignes, compte tenu du niveau de salinité résiduelle des sols.

un quart du vignoble touché

Sur les 600 ha de vignes de l’île de Ré, un comptage précis donne 147 ha touchés par la submersion. En ce qui concerne les autres cultures, l’eau salée a « fusillé » dans les trois heures suivant le sinistre 12 ha de pommes de terre déjà implantés (sur les 140 consacrés à cette culture). De même, 120 ha de céréales – pour la rotation des pommes de terre – ont subi les dégâts de l’eau salée. En tout, les séquelles de la tempête atteindraient quelque 300 ha sur les 1 000 ha de surface agricole utilisée (et non utile) de l’île. « Nous nous apprêtons à passer une année difficile, commente J.-J. Enet. Malgré les conditions insulaires spécifiques, notre agriculture ne roule pas sur l’or. L’année 2009 avait déjà été compliquée. Si nous avions connu pire, on avait aussi connu nettement mieux. » Dans ce contexte, certains agriculteurs sinistrés expriment leur désarroi : « Si une prise en charge de nos frais ne se produit pas, nous n’aurons d’autre choix que de mettre la clé sous la porte. On cessera notre activité. »

une culture pérenne « résiliente »

Conseiller viticole à la Chambre d’agriculture 17, Lionel Dumas-Lattaque intervient depuis au moins vingt ans sur l’île de Ré, aux côtés de Francis Bourriau, technicien agricole d’Uniré, rejoint récemment par Jérôme Poulard. Le technicien viticole de la Chambre 17 connaît bien l’île, ses caractéristiques agronomiques et ses viticulteurs. Immédiatement alerté sur les dangers de l’immersion du patrimoine viticole, il s’est lancé dans une recherche tous azimuts : bibliographie, contacts avec la communauté technique et scientifique… De cette approche, en ressort un certain nombre de repères. Globalement, « la vigne est une culture pérenne, qui a des ressources, une capacité de résilience ». C’est ainsi que, « sans être d’un optimisme béat, il ne faut pas non plus plonger dans le catastrophisme. » Pour la vigne, quel risque engendre un excès de sel ? Une salinité trop importante dans les sols peut provoquer des brûlures du « chevelu racinaire », entraînant un risque de dépérissement foliaire. Les feuilles se rabougrissent, la photosynthèse ne se fait pas ou mal. Si des symptômes doivent se manifester, ils apparaîtront plutôt cet l’été. Maintenant, tout dépend du taux de sel présent dans les sols (c’est pour cela que les analyses de sols sont si importantes. Elles constituent la base de tout). Dans certains cas, l’eau salée n’est restée sur le sol que l’espace de 48 heures. Mais, dans d’autres circonstances, la submersion s’est prolongée au moins deux semaines et demie. En vigne, le seul « traitement » connu contre le sel demeure l’eau, eau de pluie ou eau d’irrigation. L’irrigation est difficilement concevable. Non seulement il faut trouver la source mais la mise en œuvre est compliquée. Reste donc à espérer que « l’eau du ciel » tombe sur l’île de Ré, avec de « vraies » précipitations de 60 à 80 mm et non des ersatz de pluie d’1 mm. La chance de Ré, c’est d’abord que la tempête soit survenue en période de repos végétatif et qu’ensuite son sous-sol soit constitué de groies, structure peu propice à la salinité, contrairement aux sables. Ainsi, avant cet épisode, l’île de Ré n’avait jamais connu de problème de salinité. Il n’en demeure pas moins que les pluies du printemps – avant le débourrement – vont être déterminantes. Un facteur décisif dont, malheureusement, personne n’a la maîtrise. Pour les vignerons rétais, le plus mauvais scénario serait que la sécheresse sévisse au moment du débourrement.

réactivité

xynthia.jpgSi le protocole d’aides à l’indemnisation des agriculteurs tarde à émerger, il faut avouer que, pour le reste, tout a été mis en œuvre. Pour évacuer l’eau des cuvettes, dans un premier temps, les maires avaient pensé faire appel aux pompiers. Insuffisant ! La SAUR – qui gère l’eau potable sur l’île – est arrivée avec des pompes de 1 000 m3/h. La Couarde a même bénéficié d’une grosse pompe venue du sud de la France, au débit de 8 000 m3/h. Malgré « quelques retards à l’allumage » et défauts d’organisation, l’évacuation des eaux s’est plutôt bien passée. Depuis le début du mois de mars, une noria de camions – des dizaines et des dizaines – se relaie sur l’île pour colmater les brèches, consolider les digues. Mobilisé, le corps du génie de l’armée de terre est intervenu sur Loix, La Couarde. « Je ne sais pas trop ce que ça peut coûter – et après tout, ce n’est pas notre problème – mais tout a été fait et très sérieusement fait pour sécuriser l’île » constate le président d’Uniré. D’importants travaux sont encore à venir. Un plan de 100 millions d’euros sur 5 ans est prévu, la moitié pour remettre en état les digues et l’autre moitié pour l’entretien des dunes et des levées. » A propos de ces digues, dunes et levées, le président d’Uniré a tenu des propos sans concession lors de l’AG de la coopérative « Les vignerons d’Oléron », qui s’est tenu le 5 mars. « Nous en avons assez de ces défenseurs de l’environnement, de ces protecteurs de sites qui ont toujours lutté contre l’entretien des digues, au nom de la nature. Aujourd’hui, ces gens sont confortablement installés dans leurs appartements parisiens. Le problème de l’île de Ré n’est pas le leur. » Emotion et colère à fleur de peau. Avec des mots simples, sans emphase, J.-J. Enet a évoqué l’excès des médias – « l’île coupée en trois » – la dramatisation excessive mais aussi l’effroi bien réel qui a saisi les personnes les plus solides. « En fait, nous avons enduré un raz-de-marée qui a trouvé sa source dans la conjonction de deux phénomènes, un coefficient de grande marée et des vents soufflant à 160 km. » Le président de la coopérative a terminé son intervention sur un message positif, ancré dans le réel. Une façon pragmatique d’aborder les choses qui représente, pour l’agriculture rétaise, le meilleur gage d’avenir. « Nous espérons que les consommateurs en général ne vont pas croire que nous n’existons plus. Notre seule façon de rebondir d’un tel cataclysme, c’est de vendre correctement nos produits et de garder notre clientèle. »
* DDTM 17 : Direction départementale des territoires et de la mer de Charente-Maritime, ex DDAF 17.

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