Le prix des vignes évolue, les jeunes reviennent sur les exploitations, plusieurs milliers d’ha vont changer de main dans les dix ans à venir. Comment accompagner ces changements, défendre l’installation, faciliter les transmissions, apporter un service aux associés ? La coopérative Alliance Fine Champagne, partenaire de Rémy Martin, se propose de pouvoir devenir, sur certains dossiers, co-investisseur ou, dit autrement, actionnaire. Le gage d’une bouffée d’oxygène en termes de trésorerie, sans que soit aliénée la liberté du viticulteur, toujours à même de racheter les parts. Sans être directement impliquée, la maison Rémy Martin soutient le projet. « L’important, c’est que nous grandissions ensemble. »
Le projet a été présenté aux délégués d’Alliance Fine Champagne lors de l’assemblée générale de février 2014 ; allusion en a été faite lors des réunions de sections. Mais la réflexion ne sort pas de nulle part. Elle a longuement « maturé » au sein de la coopérative. « C’est le fruit de beaucoup d’heures de travail, de réflexions, de simulations » confirme Alain Bodin, président d’Alliance. Pour les acteurs de la coopérative, le constat est simple : « Dans les 10 ans à venir, 4 à 6 000 ha de vignes risquent de changer de main en Grande et Petite Champagne. Comment fait-on ? » La question mérite d’être posée. Car, face à un prix du foncier viticole en forte mutation, on peut légitimement se demander qui va acheter ces hectares, quels en seront les destinataires, où va aller la production ?
Soutenir l’installation
A Alliance Fine Champagne, l’idée générale est de vouloir soutenir l’installation, aider aux versements des soultes dans le cadre des transmissions, apporter un service aux associés ou aux primo-accédants. Bref, répondre à un besoin. Mais aussi, bien sûr, contribuer au développement de la coopérative. « Si des jeunes veulent s’installer, autant qu’ils viennent conforter nos rangs » énonce le président de la coopérative. L’expression d’un légitime souci de pérennité.
Ainsi a germé l’intention d’accompagner les viticulteurs dans leurs projets d’acquisition ou de transmission du foncier viticole. Comment ? En devenant co-investisseur, autrement dit en investissant ensemble – coopérative et associé – dans l’achat du foncier.
Alain Bodin prend un exemple très simple : « Admettons que vous vouliez acquérir 10 ha de vignes à 40 000 € l’ha soit 400 000 €. Pour simplifiez, on va dire que vous apporterez 200 000 € et Alliance Fine Champagne 200 000 €. » « L’intérêt d’un tel système, dit-il, est de conférer une bouffée d’oxygène en termes de trésorerie. Certes, vous payez un intérêt à l’actionnaire. Mais vous ne remboursez pas en même temps la dette, comme dans un financement classique auprès d’une banque. Or la trésorerie, c’est bien le nerf de la guerre des exploitations. »
Une logique de partenaire
Et Rémy Martin dans tout ça ? Nicolas Hériard-Dubreuil (voir encadré) est très clair sur le sujet. « Nous ne sommes pas directement impliqués. Bien sûr, nous avons participé à la réflexion, nous avons pu apporter notre contribution sur des points juridiques : quels types de pacte d’actionnaires, de statut, de société ? Ce projet, nous le soutenons très fort mais nous ne participons pas financièrement à l’opération. Ce ne serait pas sain. » Et de préciser : « Nous nous situons dans notre logique de partenaire. Notre objectif commun, c’est que nous grandissions ensemble. C’est l’ADN des relations entre la maison Rémy Martin et la coopérative Alliance Fine Champagne. »
Pour prendre des participations financières, la coopérative va donc devoir « lever des fonds », en clair trouver de l’argent. Alain Bodin indique qu’Alliance Fine Champagne, par l’intermédiaire de sa filiale FCI (Fiche Champagne Investissements), est directement actionnaire de Rémy Cointreau. « Nous avons pu très bien vendre nos participations, dit-il. Cela nous permet d’avoir un bilan FCI extrêmement favorable pour lever des capitaux auprès de nos banques. »
Pour le viticulteur, cela se traduira par des intérêts à payer un peu supérieurs à ce qu’il aurait dû verser s’il avait souscrit un emprunt à long terme. « Pas question d’amputer la rentabilité d’Alliance Fine Champagne qui rémunère les parts sociales de ses adhérents » note son président. Du début à la fin de l’opération, la coopérative ne doit rien gagner mais ne rien perdre non plus. « Il faut que le système s’auto-équilibre. Il s’agit d’un jeu à somme nulle. »
Un référent viticulteur
Pour suivre le volet foncier, le conseil d’administration a désigné un référent, Michel Renoux. « C’est lui qui sera en première ligne. Nous le remercions d’avoir accepté cette mission » note chaleureusement Alain Bodin. Viticulteur à Gimeux (Grande Champagne), la cinquantaine pondérée et solide, investi de valeurs humanistes, M. Renoux participe à la gestion de la coopérative depuis de nombreuses années. Il sera, entre autres, chargé d’examiner les projets, au sein d’un groupe très restreint composé, en plus de lui-même, du président et du vice-président de la coopérative. « Et si je peux me dispenser de cette information, je le ferai » précise A. Bodin.
Car la confidentialité est l’un des critères fortement revendiqués. Un autre a trait à la liberté de mouvement du viticulteur. Ici, l’on ne parle pas de contrats à 25 ans. « Chacun doit pouvoir redevenir maître chez lui, à tout moment. » Cela signifie que l’associé pourra activer son option de rachat des parts détenues par Alliance à sa guise, quand il le souhaitera. « Et ce sera même son intérêt de le faire quand il aura amélioré sa rentabilité, au bout d’un certain nombre d’années. L’idée n’est pas de poursuivre le financement sur du très long terme » souligne Michel Renoux.
Par rapport à l’engagement contractuel, rien ne change. Il est précisé que les hectares concernés bénéficieront « du même type de commande de marchandise que les autres surfaces dans le périmètre d’Alliance ». En d’autres termes, du même type de contrats.
« Qu’elles soient individuelles ou collectives, les relations contractuelles avec la maison Rémy Martin sont déjà suffisamment solides. Il n’y a aucune raison d’en modifier la teneur » glisse Nicolas Hériard-Dubreuil. Juste Alain Bodin précise-t-il que le contrat à six ans proposé depuis 2013 s’inscrit bien dans ce projet. « Un jeune va pouvoir investir avec une véritable visibilité et un risque calculé. A notre époque, nous n’avions pas tous ces outils. »
A qui va s’adresser ce système d’actionnariat ? Potentiellement à tout le monde même si une inflexion existe sur les jeunes. Explication de Michel Renoux : « Nous avons certes l’objectif d’aider la génération montante mais ce n’est en rien une attitude dogmatique. Un associé est venu récemment à la pêche aux infos. Il est fermier et son propriétaire veut vendre un gros morceau de l’exploitation. »
Viabilité du projet
Avant de s’engager auprès du viticulteur, la coopérative vérifiera la viabilité du projet. « Pas question de soutenir une opération non rentable. » Si l’avis d’experts financiers sera sollicité, cela ne se limitera pas à ce seul aspect. Pour Nicolas Hériard-Dubreuil, la coopérative constitue à cet égard un actionnaire de choix. « Elle est capable de savoir si l’on peut faire confiance à la personne. »
Michel Renoux insiste beaucoup sur un point : « La surenchère des prix ne passera pas par nous, c’est certain. Au contraire, nous entendons bien jouer un rôle de modérateur. » Ainsi les dossiers à 90 000 € l’ha (s’il en existe) sont priés de se tenir à distance. A la question du « contingent finançable », la réponse ne tarde pas : « Nous ne nous sommes pas fixés d’objectif. » D’ailleurs, le projet est à peine rendu public. Avant de rentrer dans sa phase opérationnelle, il aura besoin d’être encore et encore expliqué. « Le sujet, complexe, engendre une certaine inertie. C’est compliqué de faire bouger les choses. »
Pour l’approche juridique, la coopérative s’est entourée des conseils d’un avocat spécialisé, Arnaud Agostini (Cabinet Landwell, à Bordeaux). Est évoquée la piste d’une SCI (Société civile immobilière) créée entre Alliance Fine Champagne et le viticulteur, en son nom propre ou au nom de sa société. Mais Michel Renoux demande ne pas trop s’arrêter à la forme. « Nous avons imaginé un montage possible mais il n’y a rien d’imposer. A la limite, le conseiller patrimonial du viticulteur pourra nous faire une proposition. »
« Dans les années 60 souligne Nicolas Hériard-Dubreuil, notre maison et les coopératives associées Champaco et Prochacoop ont fait preuve d’innovation en matière de financement du stock. Aujourd’hui, nous essayons de nous montrer aussi créatif pour accompagner la problématique du foncier, plus en amont mais tout aussi
déterminante. »
Fils de François Hériard-Dubreuil, président de Rémy-Cointreau, Nicolas Hériard-Dubreuil travaille dans le groupe depuis quatre ans. Voilà un an, il a intégré la maison Rémy Martin. Il s’occupe de toute la Direction Produits et Domaines Rémy Martin, qui recouvre à la fois les départements achats, maître de chai, élaboration, R & D et propriétés. Il représente la maison Rémy Martin au BNIC ainsi qu’au Syndicat des Maisons de Cognac (SMC). Ingénieur de formation, il a effectué toute sa première partie de carrière dans un domaine bien différent, celui du conseil en stratégie. « A un moment, dit-il, je me suis posé la question : comment est-ce que je veux me positionner par rapport à cette maison qui représente une partie de moi-même, en termes de souvenirs, d’ambition pour la marque. Je suis donc rentré dans le groupe et, depuis, je me dis tous les matins que j’ai pris la bonne décision. Je fais un métier passionnant ! » « Un jour, poursuit-il, quelqu’un m’a demandé si je n’avais pas le sentiment de porter “tout le poids des générations passées sur les épaules.” J’ai répondu que j’avais plutôt l’impression d’être sur les épaules de toutes les générations qui m’avaient précédé. »
Agé de 34 ans, Nicolas Hériard-Dubreuil est marié et père de trois enfants.
0 commentaires