Alain Rigaud, président de l’ANPAA : « Le lobby viticole veut contrôler les campagnes de prévention »

18 novembre 2011

Association fondée en 1872 par Claude Bernard et Louis Pasteur, l’ANPAA (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie) est un acteur de poids dans le dispositif de lutte contre la dépendance alcoolique. Pourtant, elle a boycotté le Conseil de modération et de prévention créé en 2006 par le Gouvernement. Explications par son président, Alain Rigaud.

p47.jpgDocteur, pouvez-vous resituer en quelques mots l’ANPAA et son action ?

Créée il y a presque 140 ans par Claude Bernard et Louis Pasteur, l’association a fédéré en 1905 toutes les associations qui, à l’époque, luttaient contre le développement de l’alcoolisme. Depuis un siècle, elle est reconnue d’utilité publique. L’ANPAA mobilise aujourd’hui environ 2 000 adhérents qui œuvrent dans les comités départementaux et régionaux. Elle se déploie sur l’ensemble du territoire national. L’ANPAA intervient dans les domaines de la prévention, de l’éducation à la santé, de l’accompagnement médico-psychologique des personnes dépendantes. Nous nous préoccupons aussi d’améliorer et de faire appliquer la législation. Si le risque alcool est au cœur du dispositif de l’ANPAA, l’association vise aussi les drogues illicites et le tabac.

Qui adhèrent à l’ANPAA ?

On y retrouve un tas de gens. Il y a des consommateurs de boissons alcoolisées (dont je fais partie), des médecins, des urgentistes, des personnes qui, par leur expérience de vie, leur entourage, leur travail sont conscientes que la consommation d’alcool peut avoir des effets nocifs.

Prônez-vous l’abstinence ?

Nous prônons l’abstinence pour le malade devenu dépendant, qui a besoin de passer par cette étape. Par contre, à l’égard de l’ensemble de la population, nous ne véhiculons pas de message prohibitionniste. Ce qui ne nous empêche pas de considérer que l’alcool recèle des molécules toxiques, dont la toxicité s’accroît avec la dose consommée. C’est d’ailleurs une règle bien connue de la toxicologie : la dose fait le poison. Quand je parle de « dose », je fais allusion à la quantité consommée et à la fréquence de consommation.

Votre association a boycotté le Conseil de modération et de prévention créé en 2006 par le gouvernement Raffarin. Pourquoi ?

Dès 2005, nous avons été sollicités pour y participer. Après examen de la question, nous avons refusé. Un bref rappel historique s’impose. Le Conseil de modération et de prévention a été mis en place à la demande des parlementaires, à la suite d’une pression exercée par le lobby viticole. Ce même lobby avait été offusqué d’une campagne de prévention de l’INPES (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé). Cette agence, sous l’autorité de la direction générale de la Santé, conçoit des campagnes nationales de prévention, contre le tabac, le sida, les dangers liés à l’alcool. Lors d’une campagne télé, s’affichait l’image d’un sablier barré des couleurs du vin, rouge, rosé, blanc. Ce visuel soulignait de façon explicite les dangers du vin. Dans un contexte de lutte contre la loi Evin, la viticulture en a pris ombrage. Elle a voulu se donner les moyens de contrôler les campagnes médias de l’INPES, sachant que l’une des missions principales du Conseil de modération et de prévention consiste à donner un avis sur les campagnes de prévention mises en place par l’Etat. Par ailleurs, le conseil présentait à nos yeux un double défaut : un fonctionnement par trop déséquilibré et la présence de parlementaires en son sein.

Qu’entendez-vous par « fonctionnement déséquilibré » ?

Le conseil se compose de quatre collèges, de huit personnes chacun : collège des professionnels de la santé publique, collège des producteurs, collèges de représentants de l’Etat et collège des parlementaires. Dans le collège des parlementaires, sept parlementaires sur huit ont des liens avec les producteurs d’alcool. Du coup, cette composition léonine entache de suspicion tout débat, toute discussion. En général, cela se termine par un vote favorable au lobby vin ou, dans le meilleur des cas, par une position 50/50. Dans ces conditions, le président est obligé de rédiger un avis tout en nuance. Nous n’avons pas voulu cautionner un tel système, clairement placé sous obédience viticole. A ce titre, le nom du conseil est révélateur. Le vocable « modération » est directement inspiré du monde viticole. Il fait référence à des notions subjectives qui ne veulent rien dire.

Pourquoi contester la présence de parlementaires au sein de la structure ?

Il s’agit à nos yeux d’un défaut congénital, qui justifie à lui seul de ne pas participer au conseil. Les parlementaires, qui rédigent et votent les lois, n’ont pas à siéger dans une instance consultative. Dans ce cas, ils deviennent juges et parties. Ils orientent aujourd’hui les textes qu’ils voteront demain. Dans ces conditions, les acteurs de la santé publique se retrouvent pris au piège d’une « chambre d’enregistrement ». Les décisions se prennent « à l’insu de leur plein gré ». Chantal Perrichon, présidente de la ligue contre la violence routière, a déjà claqué la porte. Nous-mêmes et d’autres demandons l’abrogation pure et simple de ce Conseil de modération et de prévention.

Cela signifie-t-il que vous refusiez tout dialogue avec la filière de production alcool ?

Pas du tout. Nous ne sommes pas opposés aux échanges. C’est d’ailleurs ce qui se passe périodiquement, à l’occasion de rendez-vous avec Mme Tarby et d’autres personnes. Au plan collectif, il serait possible d’imaginer une autre manière de fonctionner. A l’échelon européen, la DG Sanco (direction générale de la Santé communautaire) a mis en place un forum alcool qui recueille les avis des ONG agissant dans le champ de la santé publique. Mais les parlementaires européens n’y siègent pas. Même chose au Canada, dans le cadre du plan Educ’alcool.

Plus globalement, défendez-vous une baisse du volume d’alcool consommé en France ?

En matière d’alcool, c’est imparable. Plus il y a d’alcool consommé, plus les conséquences dommageables augmentent. C’est comme le nombre de voitures circulant sur la surface du globe. Plus vous aurez de véhicules, plus les accidents seront nombreux. Tous les pays qui visent une diminution des risques liés à l’alcool visent une diminution moyenne de la consommation d’alcool par habitant. Après, comment s’y prend-on ? Existe deux grandes catégories de moyens : les mesures qui s’attaquent à la demande et les mesures qui jouent sur l’offre. Pour un Etat, les mesures tendant à réduire l’offre sont bien plus faciles à prendre. Il s’agira d’interdire la vente aux mineurs, de contingenter la vente à certains commerces, à certaines heures…Les mesures de taxation appartiennent à cette panoplie. Je profite de l’occasion pour dire que nous sommes favorables à ce que l’augmentation des taxes frappe toutes les boissons alcoolisées de manière proportionnelle à la quantité d’alcool pur contenu. Il n’y a pas de discrimination à faire entre les boissons alcoolisées. C’est l’alcool qui est toxique, quelles que soient les boissons où on le retrouve.

Côté demande, on va trouver les stratégies qualifiées « d’éducatives », c’est-à-dire tout ce qui fait appel au comportement, au développement des compétences psychologiques, sociétales. C’est la dimension « éducation à la santé » : aider les gens à trouver leur équilibre, dans le respect des limites.

Le risque lié à l’alcool n’est pas un vain mot

Les risques se jouent sur 10-20 ans. Ils concernent majoritairement la cirrhose alcoolique, certains cancers, l’hypertension, les accidents cardiaques, les psychoses alcooliques. Aujourd’hui, il est possible de dire qu’au-dessus d’un verre par jour, les risques augmentent.

Les publications les plus couramment citées parlent plutôt de deux verres maximum par jour pour les femmes, trois verres pour les hommes.

J’entends bien les repères auxquels vous faites allusion : 2/3/4/0 – deux verres maximum pour les femmes, trois pour les hommes, 4 verres maximum en une seule occasion, un jour d’abstinence par semaine. Ces chiffres furent avancés en France, à une certaine époque, comme « seuils de consommation à risque ». Mais, au fil des connaissances scientifiques, les seuils évoluent. En matière de cancer, l’on cerne de mieux en mieux les dommages induits par l’alcool. Les travaux actuels permettent de dire que, à partir de la consommation d’un verre quotidien, des cancers commencent à apparaître sur certains organismes. Bien entendu, vous aurez des tas de gens qui consommeront deux verres par jour et ne développeront aucun cancer. Mais, encore une fois, on peut dire qu’un risque apparaît à cette dose. Plus que la quantité, c’est la fréquence de consommation qui augmente le risque. A juste titre Educ’alcool, au Canada, raisonne par semaine. Ses « limites de sécurité » se baladent entre 9 et 15 verres par semaine alors qu’en France, avec les repères cités plus haut, elles seraient plutôt entre 14 et 21.

Que préconisez-vous ?

Très simplement, je voudrais dire qu’il n’est pas indispensable de boire du vin tous les jours. Comme en toute chose, le plaisir naît de l’exception. Croyez-en mon expérience de Champenois. Vous pouvez très bien vous passer de vin pendant quelque temps et vous faire plaisir avec un ou deux verres lors d’une occasion. Et n’oubliez pas non plus que déguster, c’est cracher. Je le répète. En matière d’alcool, la quotidienneté est un facteur aggravant.

Né à Châlons-sur-Marne en 1952, Alain Rigaud est médecin psychiatre, spécialiste des conduites addictives. Il préside l’ANPAA (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie) depuis 2003.

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