La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2014 vient d’élargir l’assiette des cotisations sociales agricoles à deux nouveaux revenus. Pour les sociétés soumises à l’IS (impôt sur les sociétés), sont désormais soumis à cotisation les versements aux associés de dividendes et intérêts de comptes courants associés excédant 10 % des capitaux propres. Et pour les sociétés soumises à l’IR (impôt sur le revenu), le revenu des associés non exploitants (sauf exceptions). Une réforme qui s’inscrit dans une tendance de fond : taxer au même niveau revenu du capital et revenu du travail. Sans parler de la volonté de contenir le champ de l’optimisation sociale et fiscale. Pascal Rousseau, fiscaliste chez CER France Poitou-Charentes, détaille les modalités de la mesure.
Bio express
En 1986, Pascal Rousseau intègre l’agence CER de Mansle en tant que comptable. Il y restera 5 ans. Il rejoint ensuite l’agence du Gond-Pontouvre, où il se forme à la fiscalité aux côtés de Gilles Gault. Progressivement, il devient juriste fiscaliste. Aujourd’hui, il intervient en soutien à ses collègues ou directement auprès des clients sur tout le département de la Charente, excepté à Barbezieux (agence rattachée à Jonzac) ainsi que sur le Montmorillonnais et le territoire de Chasseneuil du Poitou/Châtellerault. Plusieurs fois par an, il organise des formations à destination des collaborateurs du CER France Poitou-Charentes.
Objectif officiel et « politiquement correct » : il s’agit de faire rentrer de l’argent pour financer les petites retraites agricoles. Le Gouvernement a l’intention de porter ces petites retraites agricoles à hauteur, a minima, de 75 % du SMIC à l’horizon 2017. Mais, de manière plus générale, on peut dire que cette réforme porte le sceau d’une volonté d’aligner la taxation du capital à celle du travail. La fin de l’année 2012 (discussion de la loi de finances pour 2013) avait connu un épisode hautement médiatique, celui des « pigeons », ces entrepreneurs vent debout contre la taxation des plus-values de cession d’entreprise selon le barème progressif de l’impôt. In extremis, ils avaient obtenu des aménagements.
Rien de tel pour les dispositions de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2014 modifiant l’article du Code rural relatif à l’assiette des cotisations sociales agricoles. Un grand silence a marqué l’adoption de ces mesures. No comment. Ce qui ne les empêche pas de porter en elles-mêmes une charge symbolique forte (et pas que symbolique).
De quoi s’agit-il ? Pascal Rousseau, fiscaliste chez CER France Poitou-Charentes, détaille les modalités de la LFSS pour 2014 relatives au financement du régime social agricole.
Distribution de dividendes
Première disposition, celle concernant les sociétés à l’IS affiliées à la MSA. « Jusqu’à maintenant, souligne le fiscaliste, les revenus que les associés tiraient de la distribution de dividendes et d’intérêts de comptes courants associés supportaient, en plus de l’impôt sur le revenu, des « prélèvements sociaux ». En clair, ils étaient taxés à la CSG (contribution sociale généralisée) au taux de 15,5 %, de la même façon que les revenus fonciers.
Désormais, au-delà d’une certaine somme (voir plus loin) ces revenus ne sont plus soumis à la CSG mais ren-
trent dans l’assiette des cotisations so-ciales MSA, comme n’importe quel revenu professionnel.
Pour rappel, le taux de cotisation sociale MSA applicable équivaut à 32 % du revenu brut en dessous du plafond de la Sécurité sociale et à 25 % au-dessus.
A noter que les cotisations MSA ne portent que sur les revenus dont le montant excède 10 % des capitaux propres de la société. En deçà, c’est toujours la taxation CSG à 15,5 % qui s’exerce.
Par capitaux propres, il faut entendre le capital social, les primes d’émission et les comptes courants associés de la société à l’IS. Avec cette franchise des 10 %, tout se passe comme si l’administration fiscale considérait qu’en deçà des 10 %, il s’agissait vraiment d’un revenu mobilier alors qu’au-delà, cela s’assimilerait plutôt à un revenu du travail déguisé.
P. Rousseau fait remarquer que ce dispositif de « requalification » des revenus pour la détermination de l’assiette de cotisation sociale est déjà à l’œuvre depuis un an dans le régime général et depuis 2009 chez les professions libérales. « Le dernier bastion est tombé le 1er janvier 2014 » constate-t-il. On pourrait ajouter que c’est un coup porté au particularisme agricole. Sera-t-il le dernier ?
Le nouveau mécanisme a pris effet le 1er janvier 2014. Pour les sociétés à l’IS, il va s’appliquer aux dividendes versés en 2013. Concernant les appels de cotisation 2014, un régime transitoire est prévu de jouer. Sur cette année, le supplément de revenu qui résultera du changement de base ne sera pris en compte qu’à hauteur de 75 % (1). Un effet de lissage qui se justifie amplement.
Ainsi, par exemple, si la structure a opté pour la moyenne triennale, en 2014, les nouveaux revenus 2013 résultant du changement de base de calcul vont venir s’ajouter aux revenus 2013, 2012, 2011. Même chose pour l’assiette N-1 (nouveaux revenus 2013 + revenus 2013). A la limite, on pourrait presque parler d’une application rétroactive du texte de loi.
Par ailleurs, en attente d’une circulaire MSA pas encore sortie, des questions demeurent, notamment celle du cumul des prélèvements, entre prélèvements sociaux (CSG) déjà payés au cours de l’année 2013 et nouvelle cotisation sociale agricole à payer sur la même année 2013. Sur une assiette identique, n’aurait-on pas à faire à un double prélèvement ? En tout cas, un geste est attendu du ministère de l’Agriculture.
Pour les assujettis à l’IS, quel va être l’impact financier de la réforme ? Pascal Rousseau revient sur l’ergnomie du système fiscal. « Les prélèvements sociaux (CSG), très partiellement déductibles du revenu, vont se transformer en cotisations sociales, elles totalement déductibles du revenu en tant que charges. On peut donc s’attendre à un effet de vague, d’amortisseur. Quant à dire que l’impact sera totalement neutralisé ? Je n’irai pas jusque-là. Ce sera au cas par cas. Tout va dépendre de la position de l’assujetti vis-à-vis du plafond de sécurité sociale –en dessous, au-dessus – ainsi que de l’importance de ses fonds propres (pour la règle des 10 %). Les viticulteurs disposent en général de fonds propres élevés, compte tenu de leurs besoins en fonds de roulement : financement d’un stock à long terme, replantation. C’est moins le cas des céréaliers. De toute manière, même si les cotisations sociales ne devaient augmenter que de 1 000 ou 2 000 €, il y aura toujours un effet psychologique. »
Revenu des associés non exploitants
Deuxième disposition, celle concernant le revenu des associés non exploitants dans les sociétés à l’IR (Impôt sur le revenu).
Dorénavant, vont rentrer dans l’assiette des cotisations sociales les revenus professionnels des associés non exploitants (conjoint, partenaire pacsé, enfants mineurs non émancipés si associés de la société), dès lors que ces associés non exploitants partagent le même foyer fiscal que l’associé exploitant.
Quand ce n’est pas le cas – frère, sœur, enfants majeurs, parents de l’associé exploitant – les revenus continueront à être exemptés de cotisations sociales agricoles. Ces revenus peuvent être tout aussi bien des BA (bénéfices agricoles), des BIC (bénéfices industriels et commerciaux) pour un entrepreneur de travaux agricoles par exemple ou encore des BNC (bénéfices non commerciaux). Le critère est qu’ils soient « affiliés MSA ».
Volonté manifeste du ministère de l’Agriculture ! S’attaquer aux stratégies d’optimisation sociale et fiscale. Sur 2014, la taxation des revenus des associés non exploitants va connaître un mécanisme transitoire identique à celui de l’IS (voir commentaires plus haut).
Le fiscaliste du CER France Poitou-Charentes voit dans cette réforme tout sauf une réforme anodine. Il n’est pas loin de la considérer comme un virage important. « Elle remet en question certains éléments de notre pratique de conseiller fiscal. En quelque sorte, elle nous oblige à revenir aux fondamentaux du métier : quelle structure sociétaire, pour quels besoins ? »
L’intérêt de la société à l’IS en ressort-il minoré ? « Pas forcément, répond P. Rousseau. Deux critères me semblent essentiels pour justifier le passage à l’IS : une entreprise fortement capitalistique et surtout la problématique de la transmission familiale. Cette réforme pourrait marquer un coup d’arrêt à des montages un peu artificiels, qui vont à l’encontre d’une cohérence, d’une stratégie du devenir de l’entreprise. »
(1) Régime transitoire 2014 (moyenne triennale) : (R 2011 + R 2012 + R 2013) : 3 + 75 % fraction 2013.
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