Des modèles Nouveaux Apparaissent

10 mars 2009

S’adapter ou disparaître… Après cinq ans de crise, c’est parfois en ces termes que la question se pose. Ici comme ailleurs, la profession viticole étonne par sa capacité de résistance, surprend par sa réactivité.

Bordeaux, 12 000 viticulteurs, 125 000 ha de vignes, un des plus grands vignobles du monde. Aujourd’hui, en dehors des « pépites » lovées dans les terroirs d’exception, Bordeaux est un « grand corps malade ». La crise touche de manière transversale toutes les appellations, sans exception. Car même en Médoc et même à Saint-Estèphe, tout le monde ne s’appelle pas Cos d’Estournel, grand cru classé dont la bouteille se vend 100 €. Plus prosaïquement, un « paquet » de vins se classent dans la catégorie dite « des vins d’entrée de gamme », autour de 4 € la bouteille, prix consommateur. Par contamination, ces vins et leurs producteurs se sont retrouvés dans l’œil du cyclone, subissant de plein fouet la chute du prix du vrac. Mieux, on leur a souvent imputé la responsabilité partielle de la crise, incapables qu’ils auraient été de s’adapter pour produire le vin que réclamait le marché. « Les choses sont un peu plus compliquées que cela, corrige Eric Chadourne, conseiller agricole à l’URABLT (1) de Grézillac.

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Eric Chadourne, conseiller agricole à l’URABLT de Grézillac.

Tout le monde sait que pour obtenir du “très bon”, il faut aussi sortir du “moins bon”. C’est par la capacité de tri que se révèle l’excellence. Par ailleurs les marchés comme le hard-discount où les têtes de gondoles ne réclament pas forcémment des vins pleins, gras, séduisants, confiturés. Les acheteurs du négoce le disent : ils ont besoin des qualités d’entrée de gamme. S’il y avait un reproche à faire, ce serait plutôt dans la continuité de la dite qualité, qu’il faudrait s’attacher à reproduire tous les ans. » Le conseiller agricole insiste sur un autre aspect, qu’il identifie comme le véritable « déficit » de Bordeaux : « Les vignerons bordelais n’ont toujours pas la capacité financière de porter leur stock jusqu’au moment où le client a vraiment besoin de la marchandise. » « C’est culturel ici, explique E. Chadourne. Le viticulteur veut vendre vite, quitte à ce que le vin soit enlevé plus tard. En 97-98, il lâchait même sa récolte par anticipation au mois de juillet, à vrai dire sans dommage car les cours s’élevaient alors à 13 000 F le tonneau. Aujourd’hui, la tradition bordelaise perdure ô combien : le marché de la récolte précédente démarre à fond en janvier. C’est alors la course à l’échalote entre les viticulteurs. Les stocks des négociants se gonflent et les prix baissent. C’est le cycle infernal. Il faudrait pouvoir attendre que le négoce ait soif de la marchandise. » A quelle période se concentrent ses besoins ? « Dans la mesure où 70 % des Bordeaux sont vendus en France, à 75 % par la grande distribution, on peut dire que celle-ci absorbe 50 à 60 % des volumes de Bordeaux. Or ce créneau de distribution connaît deux pics de marché, les foires aux vins de printemps et les foires aux vins d’automne, de loin les plus importantes. Pour des mises en bouteilles en été, les vins devraient donc partir chez les négociants en mai-juin, alors que tout le monde souhaite vendre début janvier, soit avec 5-6 mois de décalage. » A ce problème de marché s’ajoute la restriction des rendements, décidée par la profession elle-même mais qui, conjuguée au tassement des prix, joue comme un accélérateur de paupérisation. Il faudrait aussi évoquer la faiblesse des structures d’exploitations – moyenne de 6 ha dans certaines appellations, limitant les gains de productivité ainsi que la monoculture vigne qui annihile pratiquement toute tentative de reconversion en une autre spéculation.

moins de 500 ­­­ € de l’hectare

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Evolution des surfaces en production en Gironde (en milliers d’hl) Une superficie proche de celle de 1960. En 2005, avec plus de 124 000 ha, la surface viticole en production en Gironde n’a gagné qu’un peu plus de 11 000 ha par rapport à ce qu’elle représentait en 1960.

 

 

 

 

 

 

 

Dans un tel contexte de morosité, « des gens s’en sortent », d’autres sont bien prêts de plonger. Les plus exposés sont naturellement ceux dont la production part en vrac, au négoce ou à la coopérative. Dans bien des cas reste sur l’exploitation moins de 500 € de l’ha, entre un Bordeaux générique vendu 850 € le tonneau, un rendement de 54 hl vol. et des frais de vinification entre 25 et 30 € l’hl. Des faillites dûment avérées devraient sanctionner de tels chiffres. Pourtant les observateurs décrivent une crise qui se vit à « bas bruit », une résistance hors du commun manifestée par les viticulteurs, et ce depuis plusieurs années. « Le premier phénomène, disent-ils, tient à la disparition d’exploitations sans que personne s’en aperçoive. Des structures de 10-15 ha voire plus disparaissent sans mot dire. Elles sont reprises dans leur entourage par des gens qui grossissent. Il y a très peu d’arrachage. Le second phénomène fait appel à la batterie bien connue de toutes les stratégies pour durer, à commencer par la mobilisation du bas de laine économisé pendant les années fastes, la solidarité familiale, qui se traduit par des fermages impayés, l’épouse qui travaille à l’extérieur. Un viticulteur qui exploitait 40 ha de vigne en a arraché 20. Il est parti comme chauffeur routier à Bordeaux. Un autre a abandonné la moitié de ses fermages pour devenir chef de culture dans un château. Flambée des prix aidant à la périphérie de l’agglomération bordelaise, beaucoup de viticulteurs en difficulté nourrissent le rêve de vendre un terrain à bâtir, rêve accessible si tant est que le terrain soit classé constructible. A la marge, le paysage ne sort pas indemne de ce délestage foncier. Pour ceux qui commercialisent en bouteilles, les choses se passent généralement un peu mieux. Mais à condition d’avoir su s’adapter. Le commerce de « papa-maman » a du plomb dans l’aile. Finie la vente au fourgon. Ce marché a bien du mal à se maintenir. Souvent il a vu ses ventes divisées par deux en l’espace de 3-4 ans. L’exploitation de 30 ha, qui vendait 250 000 bouteilles « tout en cartons de 12 » et réalisait 1,5 million de F de bénéfice, n’existe plus. Elle a encaissé des coups, sous l’assaut conjoint de la concurrence et des prix bas. Par contre des modèles nouveaux émergent, où la « commercialisation, la gestion et la mise en bouteilles » sont repensées. Souvent, c’est l’œuvre de personnes sur lesquelles personne n’aurait parié un iota. « La crise nous enseigne la modestie » note un responsable professionnel. Exemple de ce jeune diplômé de physique-chimie qui n’avait jamais vu un pied de vigne, qui hérite d’un vignoble de 30 ha « dans un état pitoyable ». Cinq ans plus tard, il vend tout son vin à la grande distribution, dégage de bonnes marges grâce à une structure très légère et des prix au rasoir. Un autre viticulteur pointait à Agridiff. Aujourd’hui, il est à la tête de 60 ha de vignes. Entre-temps, il est allé démarcher « les clients de ses clients », en France et à l’export proche. Il valorise son Bordeaux et Bordeaux supérieur à 1 300 € le tonneau. Telle fille de viticulteur, diplômée d’une école de commerce, a jeté son dévolu sur le Japon. Bien lui en a pris. Exit les solutions toutes faites, bonjours la débrouille mâtinée de rigueur. Certains poussent même le bouchon jusqu’à réussir leur relation de vraqueur travaillant avec le négoce. Il y faut cependant des conditions particulières. Souvent le partenariat est très étroit, frôlant l’intégration, la qualité supérieure et les volumes conséquents, pour que le négociant n’est pas besoin de « pipeter ». Une formule qui exige des nerfs d’acier. « Aujourd’hui, souligne E. Chadourne, les parcours linéaires n’ont plus vraiment cours. La réussite se forge au cas par cas. Ce qui rend d’autant plus difficile la résolution de la crise. »

 

(1) Union régionale agricole de Branne, Libourne, Targon.

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