Francine Forgeron, militante du tourisme de terroir : « Jamais je n’abandonnerai Tara »

4 novembre 2016

Comme Scarlett O’Hara dans « Autant en emporte le vent », Francine Forgeron a décidé très tôt qu’elle n’abandonnerait jamais sa terre. Fière d’être issue d’une lignée de paysans, fière du produit Cognac et de sa région, la « dame de Segonzac » incarne un tourisme de terroir, chaleureux et festif. Voilà 22 ans qu’elle participe à la formidable aventure humaine des « Nuits blanches en Pays jaune d’or », balades animées dans les vignes de Grande-Champagne en Juillet.

« J’ai beaucoup regretté que Papa soit parti sans connaître les Nuits Blanches. Il est mort en 1992 (les Nuits Blanches débutèrent en 1994 NDLR), à l’âge de 77 ans. Il aurait adoré. » A ce père, F. Forgeron voue une sorte de culte. En tout cas, des liens ténus les unissent. Peut-être cette aptitude à penser de côté, hors des sentiers battus. Quand elle a l’âge d’entrer en 6 ème, son père préfère qu’elle reste à l’école du village pour préparer le certificat d’études, au grand dam de son institutrice. A 14 ans, c’est elle qui  ne veut pas partir au collège. Elle tient tête à sa mère qui la « chapitre », comme le fait sa cousine enseignante. « Très jeune explique-t-elle, j’avais vu Autant en emporte le vent et entendu Scarlett déclarait – « Jamais je n’abandonnerai Tara». Longtemps après, j’y est repensé – « Moi non plus, je n’abandonnerais jamais ma terre ». En quittant la ferme, que serais-je devenue, secrétaire, couturière, institutrice… Je voulais vivre près  de la nature. J’étais consciente que ma place était ici». Son père la comprend, la soutient. « Il m’a inculqué la fierté d’être paysan » dit-elle. « J’étais curieuse. Je me suis assez vite aperçu que je n’étais pas plus bête qu’une autre. Quand tu as des idées et de l’énergie pour les défendre, tu n’as rien à craindre. Je n’ai jamais regretté de ne pas avoir fait d’études. Bien plus tard, j’ai remercié mon père de ne pas avoir cédé au conformisme. Il en a pleuré. »

 

"Qu’irai-je faire en ville ?"

 

Pourtant, dans la hiérarchie familiale, ce n’est pas elle qui doit reprendre la ferme des parents, à Bouteville. C’est sa sœur aînée, mariée à un jeune agriculteur. Qu’importe ! Francine garde les vaches, fait les foins, les vendanges…va au bal le dimanche. Un garçon de Jarnac la fait danser. « Qu’irais-je faire à la ville ? » se demande-t-elle. Et puis Michel l’invite, au début pour prendre des nouvelles de sa sœur qui rentre à l’Ecole normale. « Et puis un jour, tu ne sais pas pourquoi, les choses basculent » raconte Francine en plissant des yeux. « Je me suis rendu compte bien plus tard que j’avais épousé un homme et un projet de vie. Lui avait besoin de quelqu’un pour l’épauler. Toute ma vie je l’ai entendu dire – « Francine, vient m’aider !». Cela ne me gênait pas. Mes parents vivaient de la sorte. Encore aujourd’hui, je considère que c’est normal de faire quelque chose à deux. »

 

Francine l’avoue. Elle se considère comme un tantinet philosophe, tendance humaniste. Elle dit par exemple que pour elle, les vacances c’est inutile, du temps perdu. « Ce que j’aime, c’est écouter mes clients (la famille Forgeron pratique la vente directe à la propriété depuis 1977 NDLR). Ils me racontent des trucs sensationnels. C’est tellement mieux que de voir défiler des paysages, derrière les vitres d’une voiture. Quelqu’un a dit – « Le plus bel endroit de la terre, c’est le village de l’homme. J’en ai fait un peu ma bible. » « On est bien dans ce métier poursuit-elle. Les gens sont souvent surpris qu’une vie si simple, sans vacances, sans les plaisirs de la ville, puisse rendre heureux. Mais le soleil brille et cela suffit. » La même avoue pourtant qu’elle a toujours eu besoin de contact humain. « Les femmes, ici, sont très occupées, à l’extérieur, à la maison. Avec les seuls rangs de vignes pour horizon, on se retrouve assez vite isolée. »

 

La vente à la propriété va lui apporter cette ouverture sur le monde, même si, au début, il s’agit d’un « commerce de cueillette ». « J’attendais que les gens viennent dans ma cour ». « Dès que nous nous sommes installés, nous savions que nous ferions de la vendre directe. Parce que cela rapportait plus d’argent mais aussi pour la fierté de vendre un produit fini » se souvient F. Forgeron. Et, surtout, ne vous hasardez par à remettre en cause devant elle la pertinence de la vente à la propriété. « Plus on vend de Cognac, plus le négoce en achètera derrière. » Quant à celui qui manifesterait un soupçon de jalousie, il serait vite tancé. « Personne ne t’empêche d’en faire autant et il faut voir ce que cela implique. Je ne passe pas mes week-ends à Royan !».

 

Laisser libre cours à ses aspirations

 

Après la vente directe, le second déclencheur vient…du Japon. En 1989, le couple Forgeron profite de l’euphorie des vieux Cognacs en Extrême-Orient pour réaliser un beau stock d’eaux-de-vie. « D’un coup, nous étions plus à l’aise et je pouvais me libérer un peu, laisser davantage court à mes envies, mes aspirations.» Son premier mandat, elle le tient du Crédit Agricole qui lui propose un poste d’administratrice à la Caisse locale. « Je n’ai aucune idée de qui a soufflé mon nom mais c’est la première porte qui s’est ouverte. » Dans la foulée, suit en 1989 le conseil municipal de Segonzac. Elle était déjà adhérente de l’association « Animation, tourisme, culture en Grande-Champagne », matrice du futur Office du tourisme. Son mari rechigne un peu. Francine tient bon. « J’étais trop scrupuleuse pour négliger mon travail. C’était les vignes le jour, le reste plus tard. » Et de « philosopher » – « Ce n’est pas tant une question de disponibilité que d’envies. Quand tu souhaites y arriver, tu t’organises pour. »

 

Pourquoi – déjà – le tourisme ? «Parce que le tourisme, c’est aussi un moyen de vendre, un prolongement de notre activité de bouilleur de cru. En la matière, précise-t-elle, un grand principe s’applique – Si, dans un lieu donné, tu accueilles 200 personnes, elles vont toutes chez le même. Si tu en accueilles 2 000, il y en a pour tout le monde. »  Cette vision réaliste des choses résume assez bien Francine Forgeron. Ne dit-elle pas d’elle-même – « Moi, je ne sais rien faire d’inutile. Toute mon action tend vers l’utile. »

 

En 1994, la Fête du Roy pourrait paraître inutile. Lancée par Animation, Culture en Grande Champagne, elle est censée célébrer la naissance de François 1er à Cognac, 500 ans plus tôt. Mais, surtout, elle va briser pour un temps le sacro-saint individualisme local. « Nous nous sommes rendu compte qu’il était possible de faire quelque chose ensemble. » Encore aujourd’hui, beaucoup des manifestations qui existent sur le territoire tire leurs origines de cette époque : Fête de la Carrière à Saint Même les Carrières, Fête de la Rouche à Gensac La Pallue, Nuits Blanches en Pays jaune d’or… 

 

Angela, géniale metteur en scène

 

Cela n’étonnera personne ! L’idée première de la Fête du Roy vient de…Paul Hosteing. Maire de Segonzac, fondateur avec d’autres de la coopérative Champaco, il fut un véritable incubateur pour cette petite région. Avec l’un de ses amis de la Datar (Délégation à l’aménagement du territoire) – un certain M. Maillard – ils échafaudent le projet. Mais c’est Angela Lagarde qui en sera la géniale metteur en scène et en musique. D’origine italienne, elle a connu dans son pays ces immenses fêtes historiques costumées. Parce qu’elle avait besoin d’une Charlotte Corday pour sa cavalcade de Bouteville, elle avait déjà enrôlé F. Forgeron dans ses rangs. Les deux femmes se découvrent, s’apprécient. Elles se retrouvent bientôt à la tête de l’énorme chantier de la Fête du Roy. Un pari fou que d’emmener tant de villages dans l’aventure. Le tandem fonctionne à fond. « C’est comme le TGV, s’amuse Paul Hosteing. L’une tire, l’autre pousse. » Francine Forgeron apprend sur le tas les lois du « management » culturel : comment encourager les gens à aller un plus loin ; comment les guider sans les braquer. A côté de la Fête du Roy, le SBAL (Saint Brice Animations Loisirs), initié par Frédéric Bonneau, avait lancé les illuminations du Château de Garde Epée. Cela donne l’idée à un viticulteur de Lignières-Sonnevilles – Jean-Luc Chevrou – de « faire parler les pierres » : raconter, à la lumière des étoiles, des histoires sur les  églises, monuments, sites remarquables. Il propose un nom – « Circuit nocturne en Grande-Champagne ». « Ce nom me faisait peur, il m’évoquait un hibou » se souvient en riant F. Forgeron. Si elle n’est pas à l’initiative du projet, elle revendique la « maternité » de l’appellation « Nuits Blanches en pays jaune d’or». « C’est important, la manière de nommer les choses. Honnêtement, je ne sais pas si les Nuits Blanches auraient connu un tel succès si elles s’étaient appelées Circuit nocturne. Pas sûr. »

 

J.L Chevrou a la main sur les trois premiers circuits. Francine reprend le flambeau en 2002 pour « Le blé qui lève ». En suivront plein d’autres. «Il était une fois au Château », « Prête moi ta plume »…Le dernier circuit (2015 et 2016) s’intitule « La Voilà la jolie vigne », libre interprétation autour de l’arrivée de la vigne en Charentes. Curieusement, les Nuits Blanches n’ont jamais raconté l’histoire du Cognac. Acte manqué, simple concours de circonstance ? Quoi qu’il en soit, en 22 ans, « une superbe aventure humaine » s’est nouée. Jamais de défection dans la troupe des figurants ; des inconditionnels (une soixante) qui d’année en année re-signent pour faire partie de la troupe… « Comment faites-vous pour que l’on ai autant envie de vous aider » s’interroge un jour un habitant de Touzac. En bonne « philosophe », F. Forgeron tire « la morale de l’histoire ». « Dans un monde où l’on considère volontiers avoir raison contre tout le monde,  l’on apprend à accepter que les gens pensent différemment . » Elle dit aussi « qu’avec de petites pierres, on construit des cathédrales.». Diplomatie et  empathie nourrissent l’exercice. Le tutoiement est presque de rigueur sur les Nuits Blanches (il l’est chez les Forgeron). Le cycle des animations suit un rythme binaire : création la première année, reprise la seconde. Sans surprise, F. Forgeron confirme – « La première année est la plus intéressante »..

 

Des compagnonnages se tissent, féconds. Francine Forgeron se souvient avec émotion de Claude Raby, son alter ego dans l’écriture des saynètes, un poète et conteur supérieurement intelligent. « Je l’aimais beaucoup. » Alain Rançon, lui aussi décédé trop tôt, prenait un tel plaisir à enregistrer les cassettes. Avec Colette Laurichesse, « les deux font la paire ». Une solide entente lie les deux femmes. « Elle compte, moi je raconte. » Une même complicité existe entre Francine Forgeron et Josette Guérin-Dubois, professeur de géographie, patoisante et amoureuse de théâtre.

 

Les portes s’ouvrent

 

Et demain ?  Le temps défile. A priori, une idée de circuit est dans l’air pour les deux prochaines années. Info. encore classée confidentielle. Mais une fois cette étape passée, il faudra trouver des relais. Sans fausse modestie, F.Forgeron connaît son rôle dans les Nuits Blanches. Sans elle, ça sera plus compliqué, au moins dans un premier temps. « Je connais pas mal de lieux, pas mal de monde. Les portes s’ouvrent ». Reste que nul n’est irremplaçable. « J’espère que quelqu’un prendra la suite. Mais quand je partirai, tout le monde saura que je ne suis plus derrière.»

L’esprit des Nuits Blanches ? « De la simplicité, de la convivialité, du plaisir à mettre ton pays en avant. » Francine Forgeron reprend cette image qu’elle affectionne – « Quand tu bois du vin d’Alsace, tu bois des géraniums aux fenêtres. Quand le Cognac incarnera cette chaleur de l’accueil, nous aurons parcouru un bon bout de chemin. » Car la petite fille de paysans vendéens et deux sévriens a beau aimer passionnément sa Champagne, elle ne s’illusionne pas sur les « champagnous » – « Ils sont assez imbus de leur science. »

Le concept de Nuits blanches n’a jamais été déposé. Francine Forgeron tient à ce « libre acess » – « ce serait trop dommage d’empêcher d’autres gens de se saisir d’une aussi belle idée. »

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