Sans nuire aux règles de l’hospitalité, le président de l’Union viticole sancerroise, Gilles Guillerault, s’est servi du congrès de la CNAOC, organisé dans sa région, comme d’une tribune. A quelle fin ? Pour interpeller les pouvoirs publics sur un problème pendant, celui du risque de détournement de notoriété.
A Sancerre, deux variétés dominent de cent coudées (à 95 %) l’encépagement de l’appellation : le Sauvignon blanc et le Pinot noir. Ces cépages emblématiques servent en quelque sorte de bannières aux vins de Sancerre. Et puis, cet an-ci, des rumeurs ont couru dans la campagne. De gros projets de plantations seraient dans les cartons, prêts à surgir dès 2016, le jour où la réforme du régime des plantations rentrera en vigueur. Des plantations dans l’aire délimitée ? Non, la zone d’appellation est quasi plantée à 100 % et de toute façon des cliquets existent pour empêcher toutes plantations nouvelles hors AOC. Mais il s’agirait de plantations d’IGP sur des aires de proximité. Même cépages, même climat… L’idée sous-jacente : faire de « petits Sancerre », en jouant de la confusion auprès du consommateur.
Restrictions de cépages
Cela dit, le nouveau régime de plantation ne protège-t-il pas de ce risque ? Il prévoit en effet que le « risque de dévalorisation de l’indication d’origine » – avec celui de déséquilibre économique – soient les deux seuls critères permettent de surseoir au 1 % de croissance annuelle à l’intérieur des bassins. Les régions viticoles concernées ne pourraient-elles pas s’en prévaloir ? Réponse de Gilles Guillerault : « En l’occurrence, ce dispositif ne sert à rien car le critère de dévalorisation ne joue qu’à l’intérieur de l’aire délimitée de l’appellation et, qui plus est, les cépages sont exclus du champ ». Quelle solution alors ? Le monde des AOC propose que des restrictions de cépages, validées par les pouvoirs publics, soient prises sur les aires de proximité ; des aires de proximité aux contours préalablement discutés et définis. Car l’idée n’est pas, bien sûr, que cette restriction joue dans tous les vignobles et sur tous les cépages, mais qu’elle soit circonscrite aux régions à risque et sur les cépages emblématiques d’une appellation (appellations monocépages, etc.).
L’acte délégué rendu par la Commission européenne donne-t-il aux Etats membres la possibilité de le faire, via les règlements d’application ? « Si l’on prend à la lettre l’acte délégué, sans doute pas, note Gilles Guillerault, mais à considérer son esprit, c’est possible. Rien ne l’interdit strictement. » « Nous avons réellement besoin que le ministère de l’Agriculture nous accompagne et nous soutienne, ajoute le syndicaliste viticole. Je crois qu’il a bien compris la problématique ». Et de poursuivre : « Nous ne baisserons pas les armes. Nous sommes déterminés à mener un lobbying intense jusqu’en mars 2016, date des premières notifications des demandes d’autorisation ».
« Nous voulons quelque chose de solide, renchérit-il. Pas question de s’en remettre à des arbitrages à l’intérieur du bassin. En ce qui nous concerne, nous appartenons au Conseil de bassin viticole Val de Loire-Centre. Il regroupe 14 départements, 4 régions administratives, s’étend de la région nantaise au Sancerrois. Comment voulez-vous qu’un dialogue sérieux s’exerce dans ces conditions ? Non, il nous faut quelque chose d’imparable ! »
Alsace, même combat
La CNAOC soutient à fond la démarche, et d’autres vignobles septentrionaux expriment les mêmes attentes. C’est par exemple le cas de l’Alsace où Jérôme Bauer, le jeune président de l’AVA (Association des viticulteurs d’Alsace), reprend mot pour mot l’argumentaire de Gilles Guillerault, à une nuance près. Lui ne parle pas de restrictions de cépages mais de « réservations de cépages ». Au final, le principe reste la même.
L’Alsace connaît bien le phénomène de détournement de notoriété. Avec ses trois cépages phares – Riesling, Sylvaner, Gewurztraminer – la zone d’appellation est régulièrement confrontée au problème. « A 500 mètres de la zone d’appellation, un Riesling vendu en vin de table vaut un tiers du prix. La tentation est forte de jouer la confusion sur les bag in box », constate Gérard Boesch, l’actuel président du CRINAO après avoir été celui de l’AVA.
Le problème ne date pas d’hier. « Nous avions commencé à l’aborder en 2004 avec Dominique Bussereau, ministre de l’Agriculture, et Marian Fischer-Boël, commissaire européenne. » En 2008, la question du détournement de notoriété revient sur le devant de la scène, quand les vins sans indication géographique peuvent revendiquer cépages et millésimes. « Avant, les vins de table ne pouvaient rien faire de tel », se souvient G. Boesch.
Marques et marketing
En autorisant à partir de 2016 les plantations de VSIG, la réforme des autorisations donne un nouveau coup d’accélérateur. « Cette libéralisation des plantations favorise les opérateurs structurés autour des marques et du marketing. La valeur ajoutée ira davantage au commerce, moins aux producteurs », anticipe G. Boesch.
En Alsace, selon lui, toute une frange de producteurs de tabac, de houblon, dont les productions déclinent, serait prête à signer des contrats VSIG. « Ce sont des gens qui disposent de main-d’œuvre, qui sont habitués à travailler en filière intégrée. Un climat identique, un peu de chimie, de la technique et le consommateur n’y verra que du feu ! »
Aujourd’hui, le seul outil juridique dont disposent les vignerons d’AOC pour s’interposer à un détournement avéré repose sur les Fraudes. Mais la judiciarisation des affaires devant les tribunaux administratifs réclame du temps (parfois une dizaine d’années). « Nous préférons que le problème soit pris à la source, par la technique de la réservation des cépages. »
Rien ne bouge
Pour autant, tout le monde se dit prêt à monter au créneau. Avec la seule arme à avoir fait ses preuves : « exercer une pression forte ». Et, promet-on, la stratégie déployée sera « 100 % collective ». « Car une appellation, c’est d’abord du collectif, même si nous comprenons les logiques d’entreprises », souligne Gilles Guillerault.
Parmi les plus grands vins blancs du monde
Entre Cher, Nièvre et Loiret, à quelques encablures d’Orléans et de Bourges, la capitale historique, les vins du Centre-Loire se déclinent en sept appellations : Sancerre, Pouilly-Fumé, Menetou-Salon, Quincy, Reuilly, coteaux du Giennois, vins de Châteaumeillant. Parmi eux figurent sans doute quelques-uns des plus grands vins blancs du monde.
La Loire majestueuse serpente nonchalamment entre coteaux et villages vignerons. A cet endroit de la carte, le « fleuve des rois » est à équidistance de sa source et de l’embouchure de son estuaire (environ 500 km de part et d’autre).
Des bords de Loire s’élève un halo de brume qui confère aux vins sans doute certaines de leurs meilleurs atouts. Comme le confère aussi le terroir, composé ici d’un complexe argilo-siliceux, là de « terres blanches » (calcaire et marnes).
Sur une aire délimitée de 8 000 ha, la vigne plantée occupe 5 500 ha. La production d’AOC représente un peu plus de 300 000 hl vol., vendue en France et dans 133 pays à l’export. Les vins mériteraient sans doute d’être un peu plus vieillis en chais mais « on ne les tient pas », regrettent sans trop se plaindre les vignerons.
Les vins, aromatiques, expriment « des notes de fleurs blanches, de fruits à chair blanche », explique la guide Émilie Leblon à la Tour de Pouilly-Fumé, maison des vins autant que musée olfactif.