Réchauffement climatique : ce qui va changer dans les chais

26 juillet 2010

Les 29 et 30 avril derniers ont eu lieu les Rencontres Nationales des Vignerons Indépendants de France près de Mâcon. Les tables rondes étaient tournées vers les changements auxquels les viticulteurs vont devoir s’adapter tant au niveau du climat que du marché. La Chambre d’Agriculture de la Gironde était présente.

Un réchauffement qui va se ressentir au vignoble…

De nombreuses études envisagent des hypothèses d’évolution du climat et les conséquences qui vont pouvoir se rencontrer au vignoble. Tout d’abord, l’augmentation des températures moyennes devrait modifier les périodes d’apparition des principaux stades végétatifs :
– avance des dates de débourrement ;
– avance des dates de floraison ;
– avance des dates de vendanges.

Nous pouvons craindre également des blocages physiologiques de la maturité comme ce fut le cas en 2003. D’autres éléments comme la diminution du nombre de jours de gel hivernal et de gel printanier sont aussi évoqués. Ceci semble plutôt intéressant mais il faut faire attention à cette interprétation surtout en ce qui concerne le gel printanier. En effet, l’avance des dates de débourrement augmente le nombre de jours possibles de gelées avec une gravité accrue pour les stades végétatifs avancés.

Enfin, le déficit hydrique risque de devenir plus important et plus fréquent, bien qu’il soit encore difficile de prévoir les futures répartitions des pluies.

Sur le long terme, il est question de modifier la répartition géographique des cépages, de rechercher des porte-greffe plus adaptés ou de modifier les modes de conduite.

… un réchauffement peut-être avant au chai !

Avant de modifier le vignoble, il faudra vinifier les raisins qui arriveront au chai et s’adapter à leur composition particulière. 2 millésimes récents peuvent nous servir de référence, chacun sur un aspect différent :
– 2003 qui est un millésime marqué par une température importante pendant la phase végétative et de maturation avec peu de fraîcheur nocturne. Ces conditions exceptionnelles devraient devenir de plus en plus fréquentes selon l’évolution supposée du climat.
– 2005 est un millésime qui est plus marqué par la sécheresse que par la chaleur.

Les vendanges auxquelles nous allons devoir nous préparer vont donc continuer à être de plus en plus concentrées en sucres et donc les vins de plus en plus riches en alcool. Les acidités vont également être moins élevées et, ce qui est encore plus important, les pH seront de plus en plus hauts. Les compositions phénoliques vont être généralement supérieures (surtout en situation sèche) et les arômes vont être modifiés. Le travail des vins en sera donc profondément modifié.

Repenser la maturité

Certains cépages comme le Merlot qui se situaient à Bordeaux dans une zone climatique propice à leur parfaite expression pourront présenter un décalage des différents constituants de la maturité.

Ainsi, en millésime classique, la maturité évolue progressivement du végétal au fruit confituré au niveau des arômes et des tanins agressifs aux tanins soyeux (figure 1). La maturité idéale permet de réunir des arômes de fruits mûrs et des tanins soyeux.

Par contre, en conditions de maturité très chaudes comme en 2003, la maturité aromatique de la pellicule évolue nettement plus rapidement que la maturité des pépins. Ces conditions rencontrées dans certaines situations rendent impossible l’obtention d’un arôme de fruit frais ou mûr en même temps que des tanins soyeux. Il faut alors choisir si l’arôme ou la qualité des tanins est à privilégier et adapter la vinification en conséquence.

Nous voyons donc qu’il n’y a pas une seule maturité mais plusieurs composantes de maturité qui sont à définir et à considérer individuellement. Nous pouvons citer :
– la maturité technologique qui correspond à l’équilibre futur alcool/acidité ;
– la maturité aromatique qui évolue du végétal au fruit frais puis mûr et enfin confituré ;
– la maturité phénolique de la pellicule qui conditionne la couleur et les tanins les plus soyeux ;
– la maturité des pépins qui conditionne l’astringence et l’amertume.

Tous ces éléments sont encore assez difficiles à apprécier et la Chambre d’Agriculture travaille actuellement sur de nouveaux marqueurs de chacune de ces composantes et de nouvelles méthodes analytiques permettant de suivre la maturité.

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Une vinification plus difficile

Le premier objectif de la vinification est la fermentation totale des sucres. Plus la richesse en sucres au départ sera importante, plus les levures auront des difficultés à fermenter jusqu’au bout. De plus, avec des maturités de plus en plus avancées, nous pouvons aussi nous attendre à rencontrer des moûts de plus en plus carencés en éléments nutritifs autres que les sucres (azote, stérols, vitamines…). Dans ces conditions, le choix des souches de levures devient essentiel de même que la complémentation des moûts.

Il serait tentant de rechercher des souches de levures présentant un mauvais rendement de transformation des sucres en alcool, mais les possibilités sont assez limitées en efficacité et sont fréquemment associées à de fortes productions d’acidité volatile avec Saccharomyces cerevisiae. Des travaux sont en cours pour rechercher des hybrides de levures (non OGM) ou des mélanges d’espèces permettant de favoriser des métabolismes secondaires (producteurs d’arômes ou de composés apportant du gras) tout en assurant une fermentation complète.

Un autre élément important et dont l’évolution s’observe déjà depuis plusieurs années est l’augmentation du pH des vins. En effet, de plus en plus de vins rouges de Bordeaux approchent ou même parfois dépassent la valeur de 4. La première conséquence de cette augmentation de pH est la plus faible pression de sélection des micro-organismes. De plus, l’activité du SO2 diminue de manière très importante avec l’augmentation du pH, ce qui rend plus difficile la stabilisation microbiologique des vins. Enfin, un pH élevé complique la gestion des réductions et des oxydations. Les vins concernés ont ainsi tendance à basculer rapidement de la réduction à l’oxydation et sont difficiles à élever.

L’ambiance se réchauffe !

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Avec le réchauffement climatique, la température dans les chais va aussi naturellement augmenter.

Les études réalisées par la Chambre d’Agriculture et financées par le Conseil Régional, FranceAgrimer et le CIVB de 2000 à 2006 ont nettement montré que l’augmentation de la température d’élevage et de conservation des vins influence profondément leur évolution :
– la diffusion de l’arôme boisé est à la fois augmentée et accélérée par une augmentation des températures ;
– la consume des barriques augmente avec la température. Pour la maintenir à un niveau constant, il faut augmenter l’humidité relative de 4 % pour compenser l’augmentation d’un degré Celsius ;
– les anthocyanes ont tendance à précipiter en plus grande quantité sans être stabilisées, ce qui a tendance à diminuer la couleur et la faire évoluer.
– les arômes évoluent plus rapidement, ce qui entraîne une perte de fraîcheur ;
– les polyphénols aussi évoluent rapidement, ce qui diminue leur dureté.

En fonction des caractéristiques du vin de départ, des objectifs à atteindre pour satisfaire le consommateur et des durées estimées de conservation avant consommation, les conditions recherchées seront différentes. Dans certains cas, une modification des bâtiments sera nécessaire : isolation renforcée, systèmes d’humidification, climatisation (éventuellement solaire !) ou ventilation contrôlée en fonction des caractéristiques de l’air extérieur.

Un tapis rouge pour Brettanomyces

Les éléments déjà présentés sont particulièrement favorables aux Brettanomyces :
– des fermentations plus difficiles qui rendent la compétition entre flores plus hasardeuse ;
– les Brett sont les germes les mieux adaptés aux forts degrés alcooliques et aux milieux carencés, surtout avec des pH élevés ;
– les SO2 actifs suffisants (supérieurs à 0,6 mg/l) sont plus difficiles à atteindre à cause des pH élevés ;
– la température des chais et donc des vins est plus importante.

Dans ces conditions, il faut compenser par des éléments inhibiteurs ou d’élimination des populations de micro-organismes (gestion des soutirages, des collages et des filtrations, refroidissement des vins en été…). Des analyses microbiologiques sont nécessaires pour surveiller de près les populations.

Les Centres Œnologiques de la Chambre d’Agriculture proposent également la méthode PREVENTION BRETT CA33 qui permet de mesurer le risque de chaque cuve pour décider de la nécessité d’un contrôle microbiologique et des moyens d’agir pour limiter les Brettanomyces.

Demain ne sera ni mieux ni pire, il sera différent

Tout l’environnement de notre filière est en train d’évoluer : le climat sans doute, mais aussi de manière encore plus sûre le marché et la demande des consommateurs.

Les conséquences d’une évolution climatique peuvent inquiéter les viticulteurs et vinificateurs mais en fait elles demandent surtout un changement et une adaptation de la façon de travailler. La réussite de demain dépendra avant tout de la capacité à déterminer les caractéristiques de la vendange et les attentes des clients. Il faudra utiliser de nouveaux repères et utiliser de nouvelles méthodes de vinification. La typicité des vins va forcément évoluer comme elle l’a toujours fait aux cours des âges.

Le Bordeaux d’aujourd’hui n’est pas celui d’avant le phylloxera, ni le Claret qui a fait notre réputation au Moyen Age, ni le vin des origines produit par les Romains. Il faut donc à nouveau nous préparer à nous adapter au mieux. Nous avons déjà de solides bases : le Cabernet Sauvignon donne déjà d’excellents résultats en climat plus chaud, d’autres cépages comme le Petit Verdot ou la Carménère pourraient aussi être très bien adaptés. Certains cépages plus méridionaux pourraient être réintroduits comme la Syrah qui était très présente en Médoc au XIXe siècle. Nous avons déjà démarré des expérimentations sur ces thématiques sur le pôle de Blanquefort.

Le marché va aussi évoluer, en s’éloignant des pays traditionnellement consommateurs. L’avenir semble à l’export vers la Chine, l’Inde, la Russie et le Brésil. Les attentes de ces consommateurs ne seront pas les mêmes mais correspondront peut-être mieux aux nouvelles caractéristiques des produits (plus de richesse alcoolique notamment).

La Chambre d’Agriculture a déjà mis au point de nombreux outils et continue son travail expérimental pour accompagner la filière dans toutes les composantes du changement :
– évaluation des caractéristiques des vins pour vérifier son adaptation aux marchés visés et définir ses objectifs ;
– optimisation des itinéraires de vinification en prenant en compte les aspects économiques et environnementaux (étude commune IFV – CA33) ;
– recherche de nouveaux critères permettant de qualifier la vendange ;
– détermination des potentialités des terroirs, des cépages et des clones. 

Jean-Christophe Crachereau
(Extrait de la base de données Matevi)

 

 

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