Adapter la distillation aux caractéristiques du vin

27 décembre 2008

le_porte-alcoomtre.jpgLes Domaines P. Frapin distillent depuis deux ans des vins d’un titre alcoométrique significativement plus élevé et cela a amené le responsable des vignobles et le maître de chai à réfléchir à la mise en œuvre d’une réflexion technique globale sur les moyens de pleinement valoriser sur le plan de la typicité aromatique des eaux-de-vie nouvelles de ce type de production. L’introduction de conditions de culture du vignoble différentes depuis un certain nombre d’années tend à améliorer les potentialités de maturation des vignes et les vins possèdent des caractéristiques différentes qui ne sont pas incompatibles avec l’obtention d’eaux-de-vie riches, aromatiques et élégantes. Une surveillance accrue des vins durant leur vinification, une conservation sur lies durant quelques mois et une adaptation de la distillation sont des moyens qui ont permis de révéler le potentiel aromatique contenu dans les vins.

Depuis deux ans, la conjonction de conditions climatiques particulières et de pratiques culturales différentes a amené les Domaines P. Frapin à vinifier des vins d’un titre alcoométrique moyen compris entre 10 et 10,5 % vol., et Patrice Piveteau, le responsable des propriétés et Olivier Paultes, le maître de chai, ont développé une réflexion technique différente et globale de la récolte des raisins à la conduite de la distillation pour tirer le meilleur profit des caractéristiques de ces récoltes. La philosophie de production des Domaines P. Frapin repose sur une volonté d’élaborer des eaux-de-vie nouvelles dont la qualité extériorise le « fruité des raisins et du terroir de leur production ». Le jeune maître de chai souhaite retrouver dans les productions de chaque année, une typicité aromatique liée à l’effet millésime qui reste dans le style des eaux-de-vie et des Cognacs Frapin. L’objectif est véritablement de « sortir » la typicité aromatique et d’obtenir des lots d’eaux-de-vie possédant une certaine diversité adaptée à des modes de vieillissement différents qui correspondent déjà aux futures qualités commerciales de Cognacs. Les eaux-de-vie ayant une structure aromatique intense et fruitée seront plutôt destinées à des qualités de type VSOP alors que des lots un peu plus fermés et élégants seront destinés à un vieillissement de longue garde. Chaque récolte constitue à ce niveau une véritable surprise lors des dégustations des premières chauffes. L’obtention de vins de distillation d’un titre alcoométrique significativement plus élevé au cours des deux dernières années n’a pas été un facteur limitant en terme de potentiel aromatique des eaux-de-vie nouvelles, et P. Piveteau et O. Paultes ont essayé de se donner les moyens d’en tirer le meilleur profit.

Une diminution de la vigueur et une augmentation du potentiel de maturation des parcelles

L’augmentation du titre alcoométrique des vins est la conséquence de pratiques viticoles différentes et aussi d’éléments climatiques plus conjoncturels. Depuis maintenant cinq à six ans, une volonté de maîtriser les rendements a été mise en œuvre sur le vignoble afin de réduire les coûts de production. L’entretien des sols mécanique à céder progressivement la place à l’enherbement permanent (ou seulement une allée sur deux dans les parcelles les plus séchantes), qui, sur des terres de champagne, constitue un excellent moyen pour réguler la vigueur. La taille en arcure a été remplacée par une taille en Guyot double plus courte qui, dans certaines parcelles (les plus âgées), est alternée une année sur deux par une taille en cordon de Royat palissé. La nette diminution du volume de bois accroché dans le palissage a permis d’alléger le poids des travaux de taille et de tirage des bois sans remettre en cause le système de conduite vigne large et haute palissée. La diminution de la vigueur améliore l’aération de la vendange lors de la maturation, ce qui constitue un avantage indéniable vis-à-vis du développement du botrytis. La présence d’une surface foliaire fonctionnelle identique pour un nombre de grappes moindre (et souvent d’une taille plus petite) procure aux souches un potentiel de maturation supérieur qui contribue à l’obtention de moûts d’un titre alcoométrique en puissance supérieur en moyenne de 1 % volume. L’autre élément qui a aussi interféré sur la productivité du vignoble au cours des deux dernières récoltes a été le dramatique orage de grêle de juillet 2000. La production de vins issue de la fraction du vignoble (environ 30 % des surfaces) bien touchée par ce sinistre n’avait pas été distillée en 2000 et dans ces zones, l’effet grêle s’est fait sentir sur le déroulement du cycle physiologique 2001. La charge de grappes dans les parcelles fortement grêlées était nettement inférieure et cela a aussi contribué à une augmentation du titre alcoométrique des vins.

Créer de bonnes conditions de fermentescibilité des moûts, éviter les excès thermiques

L’objectif est de rentrer une belle vendange destinée à l’élaboration de Cognac, même si P. Piveteau considère que les travaux de recherche sur la définition des critères de qualité d’une vendange destinée à l’élaboration d’eaux-de-vie ne sont pas encore avancés. Il gère cet aspect de qualité de vendange sur l’exploitation à partir de deux éléments essentiels, l’obtention d’un excellent état sanitaire et la récolte de raisins issus d’une véritable phase de maturation. L’objectif sur ce domaine n’est pas de retarder le plus tard possible la date des vendanges pour attendre la surmaturation par concentration volumique des raisins. Les récoltes des parcelles destinées à la distillation interviennent assez tôt dans la saison et malgré cela, depuis deux ans, les titres alcoométriques moyens des vins sont supérieurs de 1 % vol. Paradoxalement, les niveaux d’acidités des moûts à la récolte sont assez élevés (et les pH sont assez bas), ce qui atteste du déroulement normal du processus de maturation.

Au cours de la vinification, certaines précautions ont été prises de manière préventive pour créer de bonnes conditions de fermentescibilité des moûts. Une complémentation en azote des moûts est réalisée de manière systématique sur tous les lots de moûts dont le titre alcoométrique dépasse 10 % vol. Cette décision a été prise suite à la mise en évidence de teneurs en azote assimilable faibles dans des moûts juste avant le début des vendanges dans un essai d’enherbement permanent. Ensuite, l’ensemble des cuves est ensemencé en levures à partir de pieds de cuves utilisés pour un seul ensemencement et élaborés à partir de LSA. Les fermentations alcooliques se sont déroulées en 5 à 7 jours de manière complète et aussi sans excès thermique. La capacité maximale des cuves de 200 hl et l’utilisation d’un système tout simple de ruissellement sur les parois des cuves inox permettent d’éviter des élévations de températures au-dessus 25 °C pendant la fermentation alcoolique. P. Piveteau considère que le prochain poste sur lequel il projette de réaliser des investissements est justement la maîtrise thermique. Le fait de pouvoir disposer d’un équipement performant pour à la fois mettre à température les moûts avant le début de la fermentation (refroidir ou réchauffer si besoin) et ensuite réguler le processus fermentaire, lui semble être dans l’avenir un moyen d’optimiser encore la qualité des vins de distillation. L’introduction d’une chaîne de traitement de la vendange courte et nettement plus respectueuse de la qualité de la vendange a permis ces dernières années d’améliorer la qualité des moûts et aussi celle des vins. La conduite des pressoirs pneumatiques avec des cycles très doux limite l’extraction des bourbes et depuis que ces matériels sont utilisés, les teneurs en lies sont plus limitées et leur qualité s’est aussi nettement améliorée. Les lies sont utilisées au niveau de la distillation d’une manière « dosée et raisonnée » en fonction du type d’eau-de-vie recherché et des caractéristiques de l’année.

Une conservation sur lies et une sélection des cuves par dégustation des vins

A l’issue de la fermentation alcoolique, les vins ne sont pas soutirés et leur conservation sur toutes leurs lies représente un moyen de renforcer la typicité aromatique des eaux-de-vie nouvelles (dans la mesure où les critères analytiques le permettent). La distillation n’intervient pas très précocement afin d’attendre les coups de froid ayant un rôle de « clarifiant », de pouvoir bénéficier de « l’effet conservation sur lies », et ensuite de laisser le temps aux cuves de réaliser leur fermentation malolactique. Patrice Piveteau réalise une sélection qualitative des cuves destinées à la distillation à partir d’éléments analytiques (défauts révélés par la présence de marqueurs analytiques) et de la dégustation des vins. Il donne une certaine importance à l’aspect dégustation tout en l’abordant d’une manière personnelle et subjective car, selon ses propres propos : « Entre la phase vin et la phase eau-de-vie, il se passe beaucoup de choses ». Son objectif est de détecter d’éventuels défauts ; comme le manque de fraîcheur, une lourdeur en bouche, un manque de netteté et non de sélectionner les cuves qui présentent le meilleur potentiel aromatique.
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Au fil des années, il s’est rendu compte que des vins très aromatiques ne donnaient pas forcément des eaux-de-vie aux caractéristiques plus riches et complexes que des lots de vins jugés un peu neutres à la dégustation. P. Piveteau ne se satisfait pas véritablement de son approche en matière de dégustation des vins qu’il qualifie de pas assez positive en terme de recherche de qualité, mais la constance de qualité des eaux-de-vie depuis quelques années en justifie aussi le bien-fondé.

Une conduite des alambics personnalisée pour sortir la typicité « du raisin et du terroir »

La conduite de la distillation sur les Domaines P. Frapin est une période de travail intense car chaque année le maître de chai se doit d’élaborer des eaux-de-vie aromatiques ayant aussi la typicité « maison ».

La distillation se déroule sur un site en ayant le souci de valoriser les productions d’une propriété où la nature des sols diffère. La conduite des chauffes des six alambics n’est pas standardisée mais au contraire complètement personnalisée pour s’adapter aux caractéristiques des vins mis en chaudière. Olivier Paultes ne cache pas que depuis deux ans le fait d’avoir des vins de forts degrés (entre 10 et 11 % vol.) a constitué un challenge intéressant au niveau de la réflexion qualité, et ses propos attestent de son investissement personnel dans la conduite de la distillation : « La conduite de distillation et ensuite l’élevage des eaux-de-vie nécessitent en permanence une véritable passion pour obtenir une typicité aromatique issue des raisins et du terroir. L’approche que nous mettons en œuvre sur les Domaines P. Frapin au niveau de la distillation est complètement artisanale. La conduite d’un alambic n’obéit pas à des règles scientifiques standardisées du fait de la nature même des vins mis en chaudière et aussi en raison aussi du concept de fabrication à l’unité des alambics charentais.

D’un bout à l’autre de la propriété, les eaux-de-vie ont un caractère différent et notre métier est justement d’adapter la conduite de la distillation pour extraire cette typicité. La découverte des premières eaux-de-vie nouvelles représente chaque année un moment de plaisir et de remise en cause personnelle très intéressants. »

Dans la région, les réflexions empiriques en matière de distillation tendent à prouver que la mise en chaudière de vins de distillation de forts degrés contribue à favoriser l’obtention d’eaux-de-vie ayant une structure aromatique plus sèche. Or, paradoxalement depuis deux ans, les Domaines P. Frapin ont élaboré des eaux-de-vie riches, élégantes, parfois très douces et bien structurées sur le plan aromatique en mettant en chaudière des vins de 10 à 11 % vol. Le jeune maître de chai ne cache pas qu’il a modifié de manière assez significative la conduite des chauffes depuis deux ans afin de justement « se donner les moyens d’extraire une typicité aromatique qui ne demande qu’à être révélée ». Chaque alambic est considéré comme un individu à part entière et la dégustation des bonnes chauffes est l’unique moyen de piloter l’extraction aromatique.

Gérer le coulage du cœur en laissant le temps aux vapeurs de se segmenter

Les deux premières semaines de distillation représentent une étape intense de travail pour construire une démarche de distillation spécifique à chaque alambic. Chaque chaudière de par sa forme, ses mesures, la structure de son foyer fonctionne différemment et l’alambic est un facteur de diversité dans la recherche de la typicité aromatique. Après quelques jours de distillation, on identifie assez facilement à la dégustation le style d’eau-de-vie de chaque alambic et une partie de son savoir-faire réside justement dans l’utilisation des caractéristiques de chaque alambic pour révéler la typicité. La conduite de la distillation au sein des Domaines P. Frapin repose sur la volonté de prendre un certain nombre de risques pour trouver les moyens d’extraire la typicité en sachant remettre en cause certaines habitudes. La distillation est conduite en repassant les secondes dans les brouillis, et les têtes et les queues (à partir de 10 % vol.) dans les vins. La construction des courbes de chauffes est remise en cause chaque année même si les vins ont à priori des caractéristiques semblables en terme de niveaux d’acidité, de pH et de TAV. O. Paultes réalise en début de distillation sur chaque alambic, un travail de recherche au niveau de la conduite des chauffes pour optimiser les niveaux de prélèvement de têtes, les courbes de coulages, la durée de coulage du cœur et la maîtrise thermique. L’organisation des débits et de la durée des coulages du cœur constitue des éléments importants pour valoriser le potentiel aromatique des vins de fort degré. Plus le titre alcoométrique des vins est élevé, plus il faut laisser le temps aux vapeurs de se trier et de se segmenter. O. Paultes, bien qu’étant resté volontairement discret sur ce sujet, a expliqué que la notion de débit horaire durant la phase descendante de la courbe de coulage du cœur était un élément prioritaire par rapport à la durée totale de coulage. La maîtrise thermique des températures de coulage des distillats a également une incidence directe sur la concentration des eaux-de-vie en substances aromatiques. Des températures de coulage trop chaudes favorisent l’évaporation alors que des températures trop froides liquéfient trop, et l’apport de la technologie est justement d’avoir une meilleure constance des températures de coulage durant les cycles de distillation. La distillerie des Domaines P. Frapin est équipée de moyens technologiques modernes qui permettent d’affiner les principes de la conduite des chauffes, mais pas de se substituer au nez des distillateurs et du maître de chai pour réaliser les coupes. Aucun outil technologique d’assistance aux coupes n’est monté sur les alambics mais, par contre, des groupes frigorifiques permettent de parfaitement contrôler les températures de coulage des différentes fractions de distillats. Les coupes sont réalisées par les distillateurs le verre à la main, en privilégiant l’aspect aromatique aux valeurs de l’alcoomètre, et ce personnel possède une véritable culture des eaux-de-vie puisqu’il travaille le reste de l’année sur le vignoble et à la conduite des vinifications durant les vendanges. L’apport des lies constitue un moyen d’influer sur la typicité des eaux-de-vie et leur utilisation est à la fois systématique et savamment dosée. O. Paultes considère qu’il faut raisonner l’incorporation des lies dans les chauffes pour trouver une harmonie et valoriser le fruité et les notes de terroir des eaux-de-vie. Le caractère des lies, bien qu’il soit plus ou moins marqué selon les années, apporte un plus incontestable à la structure des eaux-de-vie. La notion « de bonnes lies » s’apprécie par une observation visuelle (et aussi olfactive), et une véritable sélection qualitative des lies est pratiquée en tenant compte de leur aspect et du terroir. Le jeune maître de chai est par contre resté très discret sur la mise en œuvre des lies au cours de la distillation, qui doit être modulée en fonction du type d’eau-de-vie à élaborer et du type de vieillissement envisagé.

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