L’art du contre-pied

14 mars 2009

La Confédération paysanne est rarement là où on l’attend. Pour faire avancer ses idées, le syndicat cultive l’art du contre-pied : prendre à revers le « prêt à penser ». Cette stratégie, qui ne lui a pas si mal réussi au plan national, il l’applique aussi à Cognac. Le syndicat viticole de la Confédération a en grande partie « vendue » l’idée d’affectation parcellaire à la région. Aujourd’hui, il milite pour une vision décloisonnée du Syndicat de défense de l’appellation. Bernard Bégaud et Gilbert Joly s’expriment au nom de leur formation.

« Le Paysan Vigneron » – Qu’est-ce qui vous anime aujourd’hui ?

confederation_paysane.jpgConfédération paysanne – Bernard Bégaud – Nous voudrions que cela avance. Fini le temps de débattre. Il faut entrer dans le concret. Un certain nombre de choses ont été décidées et d’autres restent à finaliser, tel le Syndicat de défense de l’appellation. A son habitude, la Confédération nourrit une position originale sur le sujet. J’espère que nous pourrons être rejoints là-dessus par les autres organisations viticoles, comme nous le fûmes sur l’idée d’affectation parcellaire.

« L.P.V. » – Quelle vision avez-vous du syndicat de défense ?

C.P. – Précisons tout d’abord que c’est le Cognac qui est AOC et non les vins. Il paraît donc normal que tous les professionnels qui participent à la filière Cognac – négociants mais aussi distillateurs, marchands en gros, courtiers – soient représentés dans le syndicat de défense. Je sais que d’autres formations syndicales défendent des positions plus radicales. En clair, un syndicat 100 % viticole. Il nous semble difficile de soutenir cet avis, dans la mesure où nous appartenons à une région un peu atypique où 98 % du Cognac sont vendus par le négoce. Dans ces conditions, il ne serait pas sérieux d’avoir une position maximaliste. C’est le meilleur moyen de ne pas avancer d’un iota. Nous, ce que l’on veut, c’est que le syndicat de défense soit créé pour que le projet voit le jour.

« L.P.V. » – Personne ne conteste sérieusement la présence du négoce dans un syndicat de défense. Toute la question est de savoir à quelle hauteur ?

C.P. – Il faut prendre en compte la réalité des choses. Le négoce a droit à une place normale et non à un strapontin. Nous pensons quant à nous que le syndicat de défense doit se composer de deux collèges. Après tout, la parité 50/50 fait partie des habitudes de cette région et cela ne présente rien de choquant. Ce qui est important, c’est moins le pourcentage que le respect de chacun. Dans cet état d’esprit, il faut se demander comment les décisions vont être prises et qui décide. Avec 98 % des ventes, on ne va pas expliquer au négoce comment faire du commerce. Même chose pour la viticulture. Ce sont les vignerons qui cultivent les vignes. Le négoce ne va pas leur apprendre à tailler. Dans ces conditions, il paraîtrait tout à fait normal que, d’un côté, le négoce détermine ses intentions d’achat – et plus encore que ses intentions, ses engagements d’achat – et que, par rapport à cela, la viticulture adapte sa production aux besoins, dans un respect mutuel.

« L.P.V. » – Concrètement, comment la mécanique pourrait fonctionner ?

C.P. – On pourrait imaginer que, pour les dossiers relevant de sa partie, le collège de la viticulture (ou celui du négoce) adopte une position majoritaire – à 75 % des voix par exemple – et la fasse remonter au syndicat de défense. C’est alors lui qui, en tant qu’instance décisionnelle, adoptera la position officielle. En cas d’affrontement et de positions irréconciliables entre les deux familles, il appartiendrait bien entendu à l’INAO de trancher. Mais à la Conf., nous croyons aux vertus de la négociation, quitte à y mettre le temps nécessaire. Naturellement, il est indispensable que ce syndicat de défense soit présidé par un viticulteur faisant partie de la structure. Il paraît également souhaitable que le syndicat de défense intègre des viticulteurs qui ne sont pas représentés aujourd’hui au SGV, à condition qu’ils soient d’accord avec les principes de l’INAO. Dans le cas contraire, ils n’auraient rien à y faire.

« L.P.V. » – A travers un tel système, à quoi aspirez-vous ?

C.P. – A la stabilité, c’est-à-dire à la bonne adéquation entre la production et les besoins. Nous voulons en finir avec le système de yo-yo que l’on a connu au début des années 90 et bien avant déjà, dans la période 70-73. En 1989, qui a mis le feu au marché sinon le négoce ! La viticulture a mis quinze ans à s’en relever. C’est le genre de plaisanterie qui coûte très cher.

« L.P.V. » – A priori, le négoce en appelle lui aussi à l’équilibre.

C.P. – Si le négoce est d’accord, j’en suis content. D’ailleurs je ne vois pas quel risque l’on peut courir à adapter la production à la commercialisation. Le juge de paix reste le marché. Si par volonté préméditée du négoce ou par mauvaise appréciation des prévisions de vente, il arrivait que l’on dépasse les besoins de 50 000 hl AP, un simple retour de balancier à – 50 000 l’année suivante, nous vaudrait de restaurer l’équilibre. Il serait sans doute bon aussi de prévoir une réserve technique, afin de mettre de côté du Cognac pour les mauvaises années. Ce système n’est possible que dans le cadre de l’INAO.

« L.P.V. » – Vous n’ignorez pas que, quelque part, la viticulture souhaite aussi défendre son revenu à travers les prix. Comment y parvenir ?

C.P. – Pour nous, il est important d’obtenir un juste prix permettant de vivre correctement de son travail. On en exige pas davantage. On ne souhaite ni rente de situation ni même de rattrapage. Simplement de vivre dignement. Ni plus ni moins. Depuis qu’ils existent, les quotas laitiers n’ont jamais provoqué la flambée des prix mais ont toujours octroyé une progression lente des cours et un maintien de la rémunération en francs constants. Pourquoi en irait-il autrement à Cognac.

« L.P.V. » – N’existe-t-il pas à Cognac, comme ailleurs sans doute, une tentation productiviste ?

C.P. – Le marché industriel est fait de telle manière que le dernier quintal de blé, le dernier hl de vin ne coûte rien à produire. En la matière, il n’y a pas de limite. Ce ne sont pas 100 quintaux de blé/ha qu’il faut produire mais 200, pas 180 hl/ha de vin mais 300 ou 400. Et si cela ne s’avère pas suffisant, on peut toujours envisager de délocaliser, là où la main- d’œuvre est moins chère. Ce système n’existe pas à Cognac. Il ne peut tout simplement pas exister parce que nous sommes une viticulture d’AOC et pas une viticulture industrielle. Des niveaux de production de 10 ou 12 hl AP/ha ne m’inspirent rien, ni en bien ni en mal, à partir du moment où le rendement Cognac résulte d’une division entre les surfaces affectées au Cognac et les engagements d’achat du négoce. Ces engagements peuvent augmenter et ce sera tant mieux. Ils permettront aux rendements de progresser.

« L.P.V. » – Certains dénoncent une politique d‘achat sélective du négoce. L’affectation parcellaire ne risque-t-elle pas de geler les courants d’achat ?

C.P. – Aujourd’hui, nous sommes dans un système de double fin et tout le monde ne vend pas ses 7,6 hl au Cognac. Peut-être ces achats « à la tête du client » sont-ils aussi à mettre sur le compte d’une certaine hantise du négoce de manquer de marchandise. On peut penser qu’un système qui offrirait une garantie totale d’approvisionnement déboucherait sur une meilleure répartition des achats. Il faut aussi se garder de cataloguer trop vite les gens par leur appartenance. Tous les négociants ne sont pas à mettre « dans le même sac ». Parmi eux, il y a des ultras libéraux et d’autres qui le sont moins. C’est vrai que des négociants n’ont rien à faire de la sécurité d’approvisionnement ni des relations de partenariat. Ils maintiennent la tête des viticulteurs hors de l’eau le temps qu’ils respirent puis les replongent, histoire de les rendre malléables et corvéables à merci. Ce ne sont que des financiers, mus par des intérêts à court terme. Mais, au sein des viticulteurs, on trouve aussi des ultras libéraux qui ne pensent qu’à leurs intérêts personnels et « s’assoient » sur les voisins. Dans un camp comme dans l’autre, je les comparerais à des prédateurs. Beaucoup manient en permanence le double langage. Je le vois en CDOA. Les mêmes qui prêchent pour l’installation des jeunes ne votent que pour l’agrandissement des structures et la concentration des exploitations. Et que penser des gens qui appellent à l’arrachage ! Ils se situent dans le cadre d’une amélioration des profits du produit mais certainement pas dans celui d’une amélioration du revenu du producteur. C’est ce qui fait toute la différence avec l’optique de la Confédération paysanne. Nous nous inscrivons dans une démarche de défense des producteurs eux-mêmes, pour qu’ils puissent vivre dignement de leur travail et non dans la défense du produit, afin de booster les profits des agro-industriels. Nous sommes aussi très attachés à la notion de respect entre les personnes.

« L.P.V. » – N’est-ce pas un vœu pieu ?

C.P. – Pas tant que cela. Ce n’est pas en écrasant la viticulture que le négoce améliorera son image. Un jour ou l’autre, sa notoriété en souffrira. Les nouvelles vont très vite en ce bas monde. A chaque fois que la misère est associée à un produit, quelque part ceux qui le consomment s’en trouvent révoltés. L’éthique, le commerce équitable ne sont pas de vains mots. Ils correspondent à une réalité, surtout à l’égard d’un produit de luxe comme le Cognac. De la ferraille avec de l’or dessus, cela s’appelle du plaqué or.

« L.P.V. » – Si vous ne signez pas un blanc-seing au négoce, pourquoi alors plaider pour son entrée dans le syndicat de défense ?

C.P. – Parce que nous souhaitons ardemment la mise en place d’un système d’affectation sous tutelle de l’INAO, pour contrer la dérégulation. Un syndicat de défense 100 % « pur porc viticole », cela signifie quoi ? Qu’il n’y aura jamais de syndicat de défense dans cette région et donc jamais d’affectation. On le voit bien pour l’arrachage. Revendiquer 8 ou 10 000 ha d’arrachage revient à condamner la restructuration sans doute nécessaire de 3 ou 4 000 ha. Plus la bête est énorme, plus elle est immonde.

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