La tête dans le guidon… en espérant éviter le mur

10 octobre 2025

La Rédaction

Ces derniers mois, la viticulture charentaise avance en équilibre instable. Le quotidien accapare : récolte faible, trésorerie sous pression, arbitrages techniques à répétition. Derrière chaque décision, une même préoccupation affleure : quand aura-t-on un horizon ?

Et campagne 2025 s’inscrit dans ce climat de tension croissante. Les signaux s’accumulent depuis plusieurs mois, sans qu’un véritable cap n’émerge. Les ventes ralentissent, les marchés s’enrayent, et les volumes en stock atteignent des niveaux historiques.

Côté marchés, la situation est contrastée et globalement préoccupante. En Chine, les tensions douanières s’ajoutent à un ralentissement structurel de la consommation. Aux États-Unis, le maintien des droits de douane et la faiblesse du dollar rendent le cognac moins compétitif. Dans les autres zones, comme l’Europe ou l’Afrique, les volumes restent insuffisants ou trop volatils pour compenser au global les pertes des deux grands marchés historiques.

Dans ce paysage atone, les opérateurs du négoce s’adaptent : réorganisations, diversification des marchés, ajustement de l’offre. Mais ces stratégies prennent du temps pour produire leurs effets. Il faudra être patient, dans un contexte où la filière Cognac se prépare à une fin d’année 2025 sans élan : les expéditions marquent le pas – – 8,7 % à la fin aout 2025 pour 417 383 hl AP expédiés, les marchés sont atones – – 23,3 % en volume en Chine avec 66 207 hl AP expédiés et – 1,4 % aux Etats-Unis avec 175 189 hl AP expédiés, et les stocks continuent de peser. A titre de comparaison, au 31 juillet 2016, la filière comptait 4,41 millions d’hectolitres d’alcool pur en stock — soit 7,26 années de rotation, communément admises comme un juste point d’équilibre. En 2020, ce stock atteignait 4,98 millions d’hl AP, pour 7,6 années. Et en 2025, leur niveau dépasse les 6,24 millions d’hl AP, soit plus de 10,7 années de rotation.

Et derrière ces chiffres, il y a aussi une réalité avec laquelle les exploitations doivent désormais composer : trésoreries sous tension, incertitudes commerciales, arbitrages techniques, etc., les sources de questionnement sont nombreuses. Pourtant, et en cette période d’intense activité, c’est le quotidien qui prend le dessus. On avance, la tête dans le guidon, en espérant que ça passe.

Car cette année, même la récolte impose des choix complexes. Et la faiblesse de la récolte 2025 montre aussi les limites d’un pilotage strictement économique : baisse de la fertilisation, réduction du travail du sol… autant de pratiques qui, si elles se généralisent, pourraient aussi affaiblir la régularité de la production. Les rendements sont globalement faibles, bien en deçà de la moyenne décennale. Les grappes sont petites, le TAV élevé, l’acidité basse, et l’azote assimilable à un niveau historiquement faible. Ce millésime est exigeant. Il demande de la précision, de la vigilance et des ajustements en temps réel pour éviter les dérives en vinification. Sans qualité, point de salut…

Un millésime exigeant au chai, mais aussi au bureau avec des interrogations administratives et réglementaires se multipliant. Et pourtant, il faut que cela rentre dans les cases… Au titre des questions, toujours un flou s’agissant de la production sur les deuxièmes feuilles, mais aussi sur les règles de sorties de réserve climatique dans le cas de superficies affectées aux VSIG autres débouchés sur l’exploitation. Se pose aussi l’épineuse question des vins au TAV dépassant les 12 % volume, ou encore celle des modalités de déclaration des jus de raisin. On continue ? S’ajoute à cela le baptême du feu de la mise en application du VCCI, qui soulève nécessairement des questions pratiques, s’agissant d’une première mise en œuvre. Autant de sujets qui, pris ensemble, complexifie la gestion de la récolte par les opérateurs. Un cadre mouvant qui pourrait être source d’erreurs administratives, mais aussi de gestion pour les exploitants, nourrissant un sentiment diffus qu’il devient de plus en plus difficile d’anticiper, de s’adapter et de piloter.

Dans ce contexte mouvant, le sentiment de naviguer à vue persiste, faute de visibilité collective. Et pendant ce temps, les écarts se creusent… Entre ceux qui ont un contrat et ceux qui n’en ont pas, entre ceux qui peuvent investir et ceux qui se battent pour simplement maintenir l’activité.  Le manque de trésorerie, déjà fragilisée par la hausse des charges, est aujourd’hui aggravé par la faible récolte 2025. Pour une part croissante des exploitations, la cessation de paiement n’est plus une hypothèse lointaine. La question du rendement autorisé pour la récolte 2026 cristallise, alors de nombreuses tensions. Une baisse trop marquée fragiliserait même les exploitations les plus solides, avec un effet mécanique sur leur modèle économique. Comment trouver un juste équilibre entre cette réalité et le niveau de stock régional ?  L’arrachage d’une partie du potentiel apparaît de plus en plus comme une nécessité. Mais il soulève des interrogations majeures : quelle proportion pour chaque exploitation ? Quels critères de répartition ? La majorité des producteurs s’accorde sur une chose : la réduction du potentiel de production doit être rapide et équitablement partagée. Aucune typologie d’exploitation ne doit être exclue du débat. À cela s’ajoute une autre forme de perte, plus silencieuse mais tout aussi lourde : la dévalorisation progressive du patrimoine. Le foncier, autrefois actif stratégique, perd de sa liquidité. Les stocks de cognac, immobilisés, pèsent sur les bilans. Et pour de nombreux viticulteurs en fin de carrière, la perspective de la retraite inquiète, faute de repreneur ou de bailleur intéressé.

Réduire ses charges, revoir ses pratiques, ajuster ses choix techniques ou économiques sont alors autant de contraintes, de problèmes, qui avaient, une décennie au moins durant, été plus ou moins laissés de côté. Ces ajustements relèvent d’une logique de pilotage : analyser ses coûts de production sans mettre en péril sa récolte, hiérarchiser ses investissements, adapter ses pratiques culturales à la réalité du millésime, moduler l’organisation du travail selon les pics d’activité, évaluer l’usage réel de son parc matériel, redéfinir les priorités en matière de main-d’œuvre ou de commercialisation. Autant de décisions qui doivent être prises à partir d’une vision actualisée de la situation économique de l’exploitation — et de ses perspectives à court et moyen terme.

Et pour accompagner ces choix individuels, des outils de régulation sont aujourd’hui collectivement évoquées. Trois pistes mises sur la table des discussions : une demande de distillation de crise, qui pourrait être opérationnelle dès la récolte 2025, à condition d’un arbitrage rapide des autorités françaises ; un dispositif d’arrachage privé en cours d’élaboration. Et enfin, un accompagnement du portage des stocks qui permettrait de donner du souffle aux opérateurs. Reste à les articuler avec le cadre et le temps politique. La filière avance, mais désormais en marchant. Une marche hésitante, faute d’un calendrier clair et d’incertitudes politiques et économiques bien réelles.

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