Lui-même issu d’une famille de vignerons, Jean-Louis Poudou a « immigré » sur la propriété de sa femme Marie-Claude. « J’ai parcouru 6 km, ce qui a suffi à faire de moi un étranger ici » dit-il en riant. Sur le domaine de la Tour Boisée, une génération se consacrait à la viticulture, une autre à la médecine. Un cahier de vendanges, présentée dans la vitrine familiale, remonte à 1876. Il y a 30 ans, la propriété comptait 43 ha. Elle en possède aujourd’hui plus de 80. A l’origine, le vignoble répondait au schéma classique du Midi. Plutôt implanté dans la partie basse des vallées colluviaires, il produisait de gros volumes et le vin partait dans les six mois. Mais, comme pas mal d’autres, l’exploitation a réalisé sa propre révolution viticole dans les années 85. « On a remonté une trentaine d’ha dans les coteaux. » Cette mutation s’accompagne d’un parti pris (sans jeu de mot) : valoriser toute la production en bouteilles. Aujourd’hui la propriété commercialise 500 000 cols, exclusivement en circuit court (hors grande distribution), les deux tiers à l’export et un tiers en France. La moitié du volume part en AOC et le reste en vin de pays, le tout réparti sur les trois couleurs, blanc (20 %), rosé (10 %) et rouge pour le solde.
« des hommes debout »
« Le Minervois ne se vend pas ! » Cette phrase, Jean-Louis Poudou l’a entendue trop souvent de la bouche de gens gagnés par la pente de la résignation. Lui-même tord le cou au fatalisme. « Ici, nous faisons en sorte que les choses se fassent et se passent. » Il a compris que les clients voulaient avoir en face d’eux des « hommes debout ». « Ils achètent autant l’histoire que nous avons à leur raconter que notre vin. » Le vigneron souhaite proposer un vin évident, presque « un vin de fainéant », qui puise l’essentiel de ces ressources du terroir.
Au domaine, les prix de vente consommateur s’étalent dans une fourchette de 4,50 à 23 €, une large palette à l’intérieur de laquelle jouent trois ou quatre niveaux qualitatifs. « N’oublions pas que le Minervois est un vin d’assemblage, ce qui permet tout de même de pouvoir multiplier les propositions. » A titre d’exemple, les vins rouges de la Tour Boisée sont élaborés à partir de cinq cépages différents tandis que quatorze cépages au total se côtoient sur l’exploitation. Le premier niveau de prix est constitué par un vin de pays de cépage, vin dynamique, facile à boire. Dans cette gamme de produit, « un verre appelle un verre » même si le vin titre tout de même 14 % vol. A travers son vin de cépage, le vigneron gère toutes ces nouvelles parcelles, le temps qu’elles réduisent leurs excès de production ou plus exactement qu’elles se stabilisent. « Une année, elles peuvent produire 35-40 hl/ha et l’autre 60 hl/ha. » Surtout, il leur manque la « masse de vieux bois qui fait la qualité et qui s’obtient par la taille ». Au deuxième niveau de qualité, si l’on reste toujours sur des jus de coule (et non sur des jus de presse), on retrouve « une maille un peu plus serrée, des vignes un peu plus vieilles et des rendements un peu plus faibles ». Parlant rendement, l’an dernier, l’exploitation a produit 3 400 hl de vin sur ses 82 ha, soit un rendement moyen, vins de pays compris, de 40 hl/ha « contrôlé sur facture ». Car, à partir du conquet peseur de l’exploitation, il y a émission d’un ticket, « comme à la coop ». « Ici, même en année très généreuse, la récolte ne dépasse pas 4 200 à 4 500 hl » note le vigneron qui rappelle tout de même que les objectifs visés sont « grosso modo » de 40 hl en appellation et de 60 hl en vins de pays. Les niveaux qualitatifs les plus élevés concernent des vignes « éduquées », c’est-à-dire âgées d’au moins 10-15 ans. La plante atteint alors un bon équilibre, entretenu par des apports parcimonieux, réduits à une simple correction et non à un « gavage ». Le viticulteur n’est pas partisan de la vendange en vert qui entraîne, selon lui, des phénomènes de compensation sur les raisins restants. Il préfère de loin « serrer la plante », progressivement, par la taille d’hiver. A la vigne et au chai, la cave emploie l’équivalent de dix permanents. Si le propriétaire du domaine de la Tour Boisée annonce un coût de production de l’ordre de 35 000 F l’ha, il précise que ce coût intègre toutes les charges d’infrastructures comme l’entretien des murets, des ruisseaux. « Si l’on se contente de rien, c’est vrai que l’on peut descendre plus bas. » Il admet aussi bien volontiers que, globalement, les coûts de production du vignoble méridional sont inférieurs à ceux des autres régions. C’est pourquoi l’envolée de certains prix lui a paru déraisonnable. « Les vins du Languedoc ont connu un engouement terrible. Ils ont surfé sur une vague qui a fini par se briser. Il faut rester sérieux, nous sommes une jeune région d’appellation, qui doit travailler à une meilleure connaissance de ses terroirs avant d’afficher ses prétentions. Quand j’ai vu que certains prix dépassaient ceux des Côtes-du-Rhône, une région qui pour moi reste l’étalon des vins du sud, j’ai dit qu’on allait tout droit au décrochage. Et dans ce cas-là, la sanction est immédiate. Vous vendez, vous vendez, vous montez au pinacle et du jour au lendemain vous ne vendez plus rien ! Et il est plus facile d’augmenter ses prix que de les diminuer. »
le vrac à la traîne
Pour arriver à faire face à toutes ses charges, Jean-Louis Poudou situent des prix de marché « qui se tiennent » aux alentours de 600 F l’hl vol. pour des vins de pays et entre 1 000 et 1 200 F l’hl vol. pour les AOC. Actuellement, dit-il, « pour obtenir ce niveau de rémunération, il n’y a qu’une solution : vendre en bouteille, soi-même ou via la coopérative ».
Fervent défenseur de l’AOC Minervois, le vigneron enrage que l’appellation doive composer aujourd’hui avec le marché. « On ne gère pas un syndicat d’appellation avec un œil sur les ventes. C’est une dérive, c’est du hors sujet. » A un moment où les vignerons se posent des questions sur leur engagement dans l’appellation, il plaide pour l’orthodoxie. « Il faut que les gens choisissent leur camp et se plient à nos règles d’appellation, sans passe droit. Je dis non au raisonnement du paysan de base qui voudrait que l’on relâche la pression parce que ça coûte moins cher à produire. Il n’est pas question de baisser la garde ! » Dans le même temps, force lui est de constater une importante tentation de décrochage parmi les producteurs d’appellation présents sur le marché du vrac, même si les gens répugnent encore à passer à l’acte. Un épisode douloureux pour quelqu’un qui dit « respirer Minervois », avoir l’impression « d’appartenir à une patrie qui s’appelle Minervois » et qui considère « que certains engagements ne sont pas forcément dictés par des objectifs économiques purs et durs mais s’apparentent parfois à un devoir ». Le propriétaire de la Tour Boisée poursuit : « Quand le consommateur ouvre une bouteille de Minervois, à 95 % il trouve le vin bon. C’est une réalité. Toute la difficulté consiste à ce que les administrateurs des coopératives et ensuite les adhérents de base prennent conscience du formidable potentiel qu’ils ont entre les mains, à condition de vendre leur vin en bouteilles. Il faut les faire positiver. Mais la seule façon d’y arriver, c’est de leur dire combien va être payé le litre de vin. Or le résultat n’arrive pas assez vite et certains se découragent. Nous en sommes là aujourd’hui. » Des propos qui ne sont pas sans rappeler la situation de la diversification en Charentes.