« Le challenge de l’Adaptation du vignoble »

18 mars 2009

Adapter le vignoble aux besoins du Cognac représente pour Jean-Marc Olivier une vraie réflexion stratégique à l’aube de la nouvelle mandature de l’interprofession. Une question à « multiples entrées et sorties » qui réclament une approche pragmatique.

« Le Paysan Vigneron » – Que vous inspirent les apparences de récolte ?

olivier.jpgJean-Marc Olivier – Nous sommes tous un peu inquiets. De prime abord, la récolte ne s’annonce guère meilleure que l’an passé. A cause des conditions climatiques difficiles du printemps, beaucoup de grappes sont « parties en vrille ». Certes, l’Ugni blanc des Charentes est connu pour sa capacité à se rattraper sur le poids des raisins mais la situation est toujours plus confortable quand le démarrage se passe bien. L’évolution des semaines à venir nous en dira plus (interview réalisée le
29 mai – NDLR).

« L.P.V. » – Le chiffre de rendement Cognac vous convient-il ?

J.-M.O. – Il est absolument conforme à l’accord signé en 2005. Issue d’une analyse objective, il n’a provoqué ni discussion ni surtout de tensions. Tandis que la compensation de la faible récolte 2007 jouait à la hausse, les sorties de Cognac, un peu moins bonnes que prévues durant ces derniers mois, ont joué en sens inverse, aboutissant à des besoins de départ plus faibles.

« L.P.V. » – Le mois d’avril 2008 constitue un très bon mois pour le Cognac (expéditions de 35 470 hl AP, en hausse de 11,4 % par rapport à avril 2007) et le mois de mai est également en hausse. Mais de novembre 2007 à mars 2008, le Cognac n’a cessé d’enregistrer des contre-performances mensuelles. A quoi attribuez-vous ce tassement – passager ? – du Cognac ?

J.-M.O. – J’y vois la principale conséquence du manque d’approvisionnement. La reprise des expéditions lors du changement de compte d’âge semble d’ailleurs confirmer cette piste. Quand les sociétés, grandes ou petites, n’ont pas la totalité de leur approvisionnement garantie, elles ont du mal à assurer leur croissance. Fatalement, elles sont amenées à faire des choix stratégiques, de zones et/ou de genre d’expéditions.

« L.P.V. » – Le contexte mondial n’est-il pas sans influence ?

J.-M.O. – A l’évidence, il interfère aussi. Tout le monde le sait ! Quand l’économique va bien, les produits de luxe se portent bien et le Cognac aussi. Pour l’instant, il est difficile d’évaluer l’impact du ralentissement de l’économie, surtout perceptible aux Etats-unis, sur les ventes de Cognac. Par contre, un problème bien tangible existe : celui de la parité euro/dollar. Les groupes, les entreprises ont eu beau se doter de couvertures à terme, ces mécanismes financiers ont une fin. Aujourd’hui, nous arrivons en quelque sorte à l’heure de vérité, avec un taux de change €/$ qui ne faiblit pas. Il s’élève à 1,55 € pour 1 $. Je me souviens qu’en 2004, alors que le taux de change €/$ était déjà à 1,30, peu de gens pariaient sur une parité à 1,50. Le redressement de la monnaie américaine paraissait l’hypothèse la plus probable. Cela n’a pas été le cas.

« L.P.V. » – En quoi un dollar fort est-il gênant ?

J.-M.O. – Dans la mesure où beaucoup de ventes de Cognac sont facturées en dollars, les sociétés encaissent des dollars mais paient leurs factures en euros. A partir de là, la perte de change parle d’elle-même. Si nous voulons conserver nos marges, à un moment donné, il va bien falloir augmenter nos prix, d’autant qu’à l’effet dollar se conjugue la hausse des cours des eaux-de-vie. Naturellement, le phénomène sera lissé mais la tendance actuelle n’est pas très favorable, au moins à ce niveau-là. Sans être inquiet, nous restons très vigilants. Il n’est jamais facile de faire passer des hausses de prix sur les marchés.

« L.P.V. » – Quelle est la situation chez Courvoisier ?

J.-M.O. – Pour l’instant, nous n’avons pas constaté d’impact négatif sur nos ventes. Nous respectons notre plan de marche et sommes même un peu au-dessus. Le groupe Beam Global Spirit soutient très fort la marque dans tous les pays, en lui conférant des moyens en terme de promotion, de communication, de marketing. C’est un euphémisme de dire que, pour vendre du Cognac, il ne suffit pas de mettre des bouteilles sur les étagères. Aujourd’hui, dans un marché en mouvement, pour les spiritueux comme pour le Cognac, un concept marketing fort s’exprime, celui de flexibilité. Beaucoup de marchés attendent des produits de plus en plus spécifiques, notamment sur les qualités supérieures. C’est ainsi que Courvoisier a dans ses cartons un certain nombre de créations dédiées à des marchés bien circonscrits, avec des qualités d’eaux-de-vie plus en phase avec les attentes des consommateurs. Cela peut se décliner par une différence de crus, de niveau de maturité, de méthode de distillation. Il s’agit aussi, dans chacun des pays, de mettre en place une politique de communication adaptée à l’attente des clients.

« L.P.V. » – Vous avez sans doute des objectifs de développement. De quel ordre ?

J.-M.O. – Nos objectifs de développement sont aujourd’hui plus qualitatifs que quantitatifs. Il faut être réaliste. Pourquoi vouloir augmenter les quantités si, effectivement, le marché ne permet pas de les trouver. Ce problème d’approvisionnement réclame une vraie réflexion stratégique, qu’il faut mener de façon pragmatique. Nous savons tous pertinemment combien le contexte – les contextes devrais-je dire – peuvent changer. Ce sera le travail de la prochaine mandature du BNIC que de conduire, dans l’année qui vient, cette réflexion stratégique sur l’adaptation du vignoble aux besoins du marché Cognac. Un véritable challenge s’offre à nous. La question du potentiel de production représente un dossier complexe, aux multiples entrées et sorties. D’ailleurs, le renouvellement du vignoble est d’ores et déjà entamé. Les viticulteurs ont mis à profit l’embellie du Cognac et les revenus supplémentaires engendrés – trop, pas assez ? – pour se lancer dans de vigoureuses campagnes de plantation.

« L.P.V. » – Le BNIC nouveau se met en place pour trois ans.

J.-M.O. – Tout à fait. A ce titre, je voudrais rendre hommage au président Jean-Pierre Lacarrière qui a su animer, de façon remarquable, le travail de l’interprofession. Sous sa présidence, ont été mis en place des éléments aussi fondamentaux que le calcul de la QNV, le passage de l’XO en compte 10, la réserve qualitative. Si amertume ou insatisfaction il doit y avoir, cela concerne plutôt l’Administration. Il est tout de même perturbant pour ne pas dire choquant que l’Administration centrale ne soit pas capable d’assurer la cohérence de décisions prises sous son instigation. Je veux parler de l’affectation parcellaire, du sort des produits au-dessus du Cognac, de la façon de gérer le changement d’affectation. Ces questions restent aujourd’hui sans véritables réponses et empêchent de s’organiser.

« L.P.V. » – Peut-être l’Administration considère-t-elle que la région de Cognac a choisi son camp et a versé définitivement dans le « tout Cognac » avec un vignoble d’AOC ?

J.-M.O. – Il y a sans doute une certaine logique à tendre vers un vignoble sous signe de qualité à Cognac puisque le produit lui-même est d’appellation. Le statut d’appellation nous aide à mieux nous défendre. Ceci dit, nous sommes tous suffisamment âgés pour savoir que le Cognac répond à des cycles. Personnellement, je ne jurerais pas que la région n’ait plus jamais besoin des autres débouchés. C’est pourquoi une réglementation qui permet d’organiser une certaine complémentarité entre les produits me semble préférable au « tout Cognac ». C’est l’objectif de l’affectation parcellaire même si aujourd’hui le marché Cognac « tire » et ne laisse pas beaucoup de place aux autres destinations.

« L.P.V. » – En ne pouvant pas alimenter ses débouchés vins et jus de raisins, la région ne s’expose-t-elle pas à une situation de non-retour ?

J.-M.O. – Non, je ne le crois pas. Les courants commerciaux font preuve de beaucoup de volatilité et, quelque part, de réactivité. Absents du marché aujourd’hui, les acheteurs vins et jus de raisin reviendront dans la région si des opportunités se présentent de nouveau à eux. En matière commerciale, aucune situation n’est irréversible. Par contre, le contexte s’avère beaucoup plus problématique pour les entreprises locales spécialisées dans la diversification vin. Pourront-elles résister longtemps à l’absence de marchandise ?

« L.P.V. » – Pour revenir au Cognac, quel degré de confiance accorder au débouché phare de la région ?

J.-M.O. – Je pense que le Cognac est plus solide aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été. Il est solide partout alors que, souvenez-vous, à la fin des années 80, c’est sur l’Asie et tout particulièrement sur le Japon que reposait la prospérité du Cognac. En 2008, les Etats-Unis, les pays de l’Est, l’Asie contribuent à l’expansion des ventes. Mieux, il reste des poches de développement importantes. Je pense à l’Inde, ce grand marché qui s’ouvrira un jour. Ainsi avons-nous des raisons d’être assez optimistes, même si le caractère cyclique du développement du Cognac vient tempérer tout excès de confiance.

Courvoisier
Structure d’Approvisionnement

Une Approche Identique

Les contrats pluriannuels d’approvisionnement qui lient la société Courvoisier à ses partenaires viticulteurs ont été renouvelés sans changement pour trois ans, sur la période 2007-2010.

Cette année, la société Courvoisier a augmenté son approvisionnement global vin – eau-de-vie d’environ 5 % et envisage une progression du même ordre l’an prochain. Le P-DG de l’entreprise ne cache pas qu’il souhaiterait obtenir des augmentations de volumes plus substantielles. Car comme tout chef de maison en la période actuelle, la consolidation du stock fait partie de ses priorités. Mais il connaît aussi le climat de tension qui rend la concurrence plus rude entre les différents opérateurs. L’augmentation de volume s’est faite en grande partie auprès des livreurs traditionnels, en respectant le système d’achat en vigueur, après la distillation et, pour les viticulteurs qui le souhaitent, après quelques années de vieillissement, selon les crus. Jean-Marc Olivier a évoqué le très bon millésime 2007, faible en quantité mais excellent en qualité. Le P-DG de Courvoisier n’a pas souhaité s’exprimer sur les prix d’achat.

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