Filière cognac : « Se réadapter face à la situation tout en en gardant sous le pied »

9 octobre 2025

Nina Couturier

© BNIC/Fabrice Schäck

Florent Morillon, président du BNIC fait le point sur le plan de gestion de crise déployé par l’interprofession du cognac

Inflation mondiale, conflits géopolitiques, ralentissement des expéditions : la filière cognac affronte une succession de chocs exogènes qui impactent durablement sa dynamique sur les marchés, tout en impactant irrémédiablement et en cascade, l’économie locale. Pour préserver son potentiel et accompagner tous les maillons de la chaîne, l’interprofession déploie plusieurs leviers complémentaires : fixation anticipée du rendement et VCCI, dispositifs d’arrachage temporaire et définitif aidés, possible distillation de crise… Son objectif : traverser la crise sans perdre pied et être prêt pour la reprise.

 « Nous devons traverser cette période sans laisser d’opérateurs au bord du chemin, et en gardant notre potentiel pour demain », Florent Morillon, président du BNIC.

Rendement annuel cognac : anticiper sa fixation pour faciliter la prise de décision des exploitants

Le rendement annuel cognac, fixé traditionnellement avant l’été et réajusté au plus près de la récolte, a fait cette année l’objet d’une fixation plus précoce pour favoriser le déploiement du Volume Complémentaire Cognac Individuel (VCCI). Arrêté en février pour la récolte 2025, il sera connu pour 2026, comme annoncé par Florent Morillon en conférence de presse le 8 octobre 2025, dès le mois de janvier. Cette décision vise à donner aux viticulteurs plus de visibilité pour envisager d’éventuels arrachages.

Toutefois et si l’horizon calendaire est connu, le niveau du rendement annuel cognac 2026 reste à déterminer, fonction des perspectives, mais aussi des stocks dans les chais.

A date et comme l’indique le président du BNIC, la filière connait une baisse continue des expéditions : sur les douze mois glissants arrêtés à fin septembre 2025, les sorties de cognac atteignent 145 millions de bouteilles, en recul de 10,4 % sur un an. Quant aux stocks, les volumes au 31 juillet de cette année dépassaient les 6,24 millions d’hl AP, soit plus de 10,7 années de rotation —au-delà du seuil d’équilibre de 7 à 7,5 années couramment admis.

La fixation du rendement doit alors se plier au difficile exercice de répondre à une double exigence : garantir un niveau de production économiquement viable pour les exploitants, tout en limitant l’engorgement des stocks dans la durée.

Conjoncture globale et déséquilibres sur les premiers marchés du cognac

La filière Cognac évolue aujourd’hui dans un environnement international profondément marqué par des tensions géopolitiques, un ralentissement économique mondial et une inflation persistante sur plusieurs marchés clés. Aux États-Unis, premier marché du cognac, le fléchissement de la demande, accentué par un effet de déstockage des stocks constitués en prévision des taxes appliquées depuis le mois d’aout, et désormais les taxes et l’effet défavorable des taux de change sont autant de facteurs à l’origine de la baisse.

En Chine, l’enquête antidumping visant les eaux-de-vie de vin a connu son épilogue en juillet 2025, avec l’instauration d’un droit de douane de 32,2 % applicable aux expéditions de cognac. Grâce aux négociations menées conjointement par les entreprises échantillonnées et le BNIC, des engagements de prix ont pu être validés, permettant de neutraliser ce droit pour 96 % des volumes à destination de la Chine. Toutefois, plusieurs opérateurs restent exclus du dispositif et doivent s’acquitter intégralement du droit antidumping, ce qui freine leur retour sur ce marché. Malgré cette issue partiellement favorable, le marché chinois reste fortement engorgé. En amont de la décision finale, des stocks de précaution importants ont été constitués au printemps 2025, dans l’attente du verdict. Avant toute reprise significative des expéditions, ces volumes devront d’abord être écoulés. La réouverture du duty free et le remboursement progressif des cautionnements bancaires exigés à l’automne 2024 constituent des signaux positifs, mais encore insuffisants pour relancer à court terme la consommation locale. Et le constat dépasse le cadre du cognac : c’est l’ensemble de la catégorie vins et spiritueux importés qui demeure en situation d’attente sur le marché chinois.

Un plan d’arrachage pyramidal, temporaire et/ou définitif, en cours de construction

Face à une demande orientée à la baisse et plus de 10,7 années de stocks dans ses chais à la fin juillet 2025, mais aussi la nécessite de maintenir un certain niveau de rendement, la filière cognac a élaboré un plan d’ajustement de son potentiel de production structuré autour d’un dispositif pyramidal de trois niveaux (voir schéma).

À la base, le Volume Complémentaire Cognac Individuel (VCCI), mis en place dès février 2025, permet déjà aux viticulteurs de réduire temporairement leurs surfaces tout en bénéficiant d’un bonus de production proportionnel sur leurs hectares affectés au cognac. Avec plus de 2 000 hectares engagés, cet outil doit poursuivre son déploiement au cours des campagnes à venir.

Le deuxième niveau, formalisé au sein d’une demande adressée au ministère de l’Agriculture, concerne un dispositif arrachage temporaire ne donnant cette fois pas droit à un volume complémentaire de production, mais à une compensation financière. L’estimation actuelle porte sur 7 000 à 10 000 hectares potentiellement concernés, à la fois par le VCCI et cet arrachage temporaire aidé.

Au sommet de la pyramide, c’est un dispositif d’arrachage définitif aidé et ciblé, qui serait proposé aux viticulteurs en fin de carrière, sans repreneur, voire en grande difficulté. Il s’agirait ici d’offrir une alternative à ceux qui, ne trouvant ni repreneur, ni issue commerciale viable, pourraient bénéficier d’une prime de sortie. L’objectif annoncé est de couvrir environ 3 500 hectares — un volume qui correspond peu ou prou à la perte de débouché enregistrée sur le marché chinois à la suite de l’enquête antidumping. Quant à son niveau, la filière aimerait qu’il soit proche de 15 000 euros. Ce plan, encore en construction, fait l’objet de discussions avec l’État et l’Union européenne, au titre des préjudices géopolitiques subis.

L’interprofession, quant à elle, explore aussi les pistes d’un cofinancement opérationnel. L’enjeu est de proposer un dispositif le plus juste et le plus adapté, capable d’accompagner le plus grand nombre d’opérateurs.

Un plan d’arrachage pyramidal, temporaire et définitif, en cours de construction

Distillation de crise : un levier conjoncturel à anticiper

En complément des mesures structurelles engagées (VCCI, arrachages temporaire et définitif), la filière souhaite pouvoir, en cas de récolte excédentaire sans débouché, anticiper la mobilisation d’un dispositif de distillation de crise. Il serait activé conjoncturellement pour ne pas venir perturber les autres marchés et bassins de production, conformément aux engagements pris au moment du déploiement du plan de plantations de la filière cognac.  

L’objectif : sécuriser l’équilibre global du bassin en cas de décalage trop important entre le rendement agronomique de l’année et la capacité d’absorption du marché. Comme l’indique Florent Morillon, l’hypothèse n’est pas théorique et représente un risque de plusieurs centaines de milliers d’hectolitre dans le cas d’un rendement annuel bas. La profession plaide alors pour une anticipation forte des pouvoirs publics : une demande formelle a été adressée à l’État pour que ce scénario soit étudié en amont, nécessitant un portage politique fort, un cadre juridique clair et des délais de traitement longs.

Investissements et positionnement : rester combattifs pour être prêts au rebond

Malgré la conjoncture difficile, Florent Morillon rappelle que les maisons de Cognac maintiennent un haut niveau d’engagement sur les marchés. Si les expéditions peinent encore à repartir, l’effort déployé à l’international reste constant : présence commerciale, campagnes marketing, innovation produit — la combattivité reste de mise. Ce dernier précise par ailleurs que dans un contexte où la consommation globale de spiritueux est en recul, non par désaffection mais par contrainte économique (inflation, fiscalité, baisse du pouvoir d’achat), les études d’image menées confirment l’attrait persistant du cognac auprès des consommateurs.

Il faut alors préserver la visibilité de l’appellation et garantir une reprise rapide dès que les conditions de marché le permettront. Car « la reprise viendra » — et l’enjeu est pour la filière d’être prête à la saisir. A l’internationale, comme en local, où les viticulteurs fournissent aussi des efforts pour produire en réponse aux attentes présentes et à venir des consommateurs. Avec 50 % des surfaces aujourd’hui certifiées (CEC, HVE,  AB, etc.) et un horizon de 100 % de certifiés en 2028, Florent Morillon salue la dynamique collective et son accompagnement.

Pour le président du BNIC, ce sont les mesures d’ajustement autant le maintien de la dynamique commerciale, mais aussi les efforts de durabilité conduits en local qui constituent les piliers de la résilience de la filière cognac et de son aptitude à repartir au bon moment.

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