Les temps changent, et nous changeons avec eux. La vigne, miroir des caprices de la météo, reflète cette année encore l’écho d’un climat changeant, incertain, fait de cycles imprévisibles où les habitudes inhérentes à l’expérience ou au métier de viticulteur ne tiennent plus.
L’accélération du cycle végétatif à un rythme inédit en 2025, alliant précocité marquée et hétérogénéité, en est une preuve supplémentaire s’il en était besoin, pour des vendanges en cours nécessitant à la fois technicité et précision, toutes deux indispensables pour viser la sacrosainte qualité. La recherche de la qualité comme objectif, malgré la morosité des marchés.
La recherche de la qualité comme objectif, encore plus du fait de la morosité des marchés. Les anciens ne le savent que trop bien…
« Anticiper, adapter, sécuriser », ainsi pourrait se résumer le credo de cette campagne 2025, qui restera dans les mémoires comme l’une des plus précoces des dernières décennies. Quinze jours d’avance sur le calendrier habituel, des chaleurs persistantes dès le printemps, une contrainte hydrique marquée… et finalement, un vignoble mis à l’épreuve, avec des rendements peu élevés, mais une qualité encore à portée de main, pour peu que chaque opérateur sache faire preuve de rigueur et de réactivité. Fini les habitudes, fini les réflexes, c’est la maturité qui dicte plus que jamais le calendrier de récolte. Et ce quand bien même, à l’autre bout de la chaîne de production et aux quatre coins du monde, encore plus au pays de l’oncle Sam et au sein de l’empire du milieu, la mécanique est enrayée, entre contraintes géopolitiques et économiques.
Car outre-Atlantique, entre les droits de douane appliqués depuis aout, l’affaiblissement du dollar pesant sur les taux de change et les stocks de précaution constitués en prévision des taxes, l’horizon reste incertain. Même les spiritueux locaux, comme le bourbon, subissent un attentisme généralisé. Rien de satisfaisant en Chine non plus, où la clôture de l’enquête antidumping a laissé la place à des droits de douanes/prix minimums pesant sur l’économie de la filière autant que les expéditions de précaution réalisées au printemps dernier vers ce marché. La consommation chinoise par ailleurs freinée par une économie en tension et un climat déflationniste, tarde également à redémarrer. Dans ce contexte et si quelques signaux positifs émergent, notamment des marchés émergents, ces derniers ne suffisent pas pour l’heure, à relancer la machine, nécessitant de repenser, restructurer, accompagner l’organisation de la filière en local.
Car c’est bien pour redresser la barre et a minima pour limiter la case que des mesures conjoncturelles et structurelles sont mises sur la table, leur mise en œuvre ou la réflexion à leur sujet étant plus ou moins avancées à ce jour.
Au titre des mesures en place :
- Toujours le VCCI (2145 ha intégré au dispositif à la fin aout) permettant aux exploitants qui réalisent des efforts d’arrachage temporaire de bénéficier d’une majoration individuelle du rendement annuel Cognac, proportionnelle à leur contribution (production d’un même volume sur une surface réduite, générant ainsi des économies sur les charges variables tout en préservant un chiffre d’affaires).
- La réaffectation possible des superficies cognac ouverte cette année encore jusqu’au 31 juillet et qui aura permis la réaffectation de plus de 2300 hectares cognac en 2025 vers les autres débouchés VSIG dans le but de délester la filière cognac de quelques volumes.
- Mais aussi la possibilité – malgré les charges inhérentes à cette application – de produire de la réserve climatique au-delà du rendement annuel de 7,65 hl AP par hectare, ou encore d’envoyer ses excédents aux usages industriels et plus particulièrement aux jus/sucres de raisin, ouvrant à un défraiement.
Au titre des réflexions en cours :
- L’idée d’un plan d’arrachage aidé – temporaire et/ou définitif – qui prend de plus en plus forme, mais dont contours restent encore à définir.
- L’accompagnement du portage de stocks, possible sous certaines conditions par le cadre réglementaire européen, aujourd’hui en cours de discussion.
- La question d’une distillation de crise qui fait également son chemin, visant à retirer du marché les volumes sans débouché immédiat, du fait des différends entre l’UE et la Chine, ayant mis la filière cognac dans une position de « victime collatérale ». Si la demande a d’ores et déjà formulée auprès de l’UE par la filière, elle reste suspendue aux arbitrages nationaux, aujourd’hui freinés par l’absence de gouvernement en France.
Au lendemain de cette rentrée dense, la fin de l’année s’annonce plus que jamais charnière. Une période de bascule, où chaque décision prise – ou ajournée – pèsera sur les équilibres. Un moment où il faut garder un œil au bout du rang… et l’autre, au bout du monde.
Car tout s’accélère. Ce qui relevait hier de la conjoncture s’inscrit désormais dans la structure. L’incertitude n’est plus un épisode, mais un environnement s’installant à la vigne comme sur les marchés. Le changement climatique n’est plus une menace abstraite, c’est un quotidien qui bouscule les repères agronomiques. Et les marchés, eux, ne sont plus des moteurs linéaires : ils ralentissent, résistent, se redéplient selon des logiques souvent exogènes, géopolitiques, réglementaires, monétaires.
Si les crises sanitaire, géopolitique, climatique, économique montrent plus que jamais qu’un changement de modèle est en cours et que les eaux passées ne font plus tourner le moulin, il faut accepter que produire pour produire n’a plus de sens. Que produire sans débouché, à l’heure où les stocks sont toujours élevés (10,71 années au 31 juillet 2025 pour un point d’équilibre à 7 années) – fragilise l’avenir. Car derrière chaque hectolitre produit, il faudra demain pouvoir assurer une destination, une cohérence, une valorisation. La diversification devient une nécessité. Non pas pour renier le cognac, ni pour cannibaliser sa notoriété, mais bel et bien pour lui permettre de respirer, de se réguler, de se réinventer sans se dénaturer.
« Ce n’est pas le vent qui décide de votre destination, c’est l’orientation que vous donnez à votre voile. Le vent est pareil pour tous. » Une manière de dire que, malgré les vents contraires et à défaut de certitudes, nous préférons voir le verre à moitié plein. Et qu’en dépit de ce contexte tendu, nous vous souhaitons à toutes et à tous une bonne rentrée — et de bonnes vendanges.
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