Une semaine chrono, montre en main, pour une négociation pilotée par la Commission européenne
C’est dans le cadre de la réunion de l’intergroupe « Vins, denrées alimentaires de qualité et spiritueux » coprésidé par les députés européens Esther Herranz García (Espagne) et Eric Sargiacomo (France), organisée le jeudi 3 avril 2025 en matinée, que nombre d’organisations représentant la filière vitivinicole au niveau européen ont pu défendre leurs intérêts face aux 20 % de taxes Trump annoncées pour le 9 avril. C’est ainsi et dans ce cadre qu’Ignacio Sánchez Recarte, secrétaire général du Comité européen des entreprises vins (CEEV), et Pauline Bastidon, directrice des affaires économiques et commerciales à SpiritsEUROPE, ont pu exposer les risques majeurs pesant sur la filière vitivinicole et des spiritueux européens. La nouvelle surtaxe américaine, cumulée à d’autres tensions commerciales, menace directement l’équilibre économique du secteur.
Une surtaxe de 20 % sur les produits européens dès le 9 avril
Pour rappel, le 2 avril 2025, le président américain Donald Trump a annoncé une nouvelle série de mesures tarifaires dans le cadre de sa politique de « réciprocité commerciale ». Parmi elles, une surtaxe de 10 % applicable à toutes les importations dès le 5 avril, à laquelle s’ajoute une surtaxe ciblée de 10 % supplémentaire pour les produits européens, dont les vins et spiritueux, à partir du 9 avril. Résultat : un droit de douane total de 20 % sur les exportations européennes vers les États-Unis.
Ignacio Sánchez Recarte, secrétaire général du Comité européen des entreprises vins (CEEV), a alerté les parlementaires sur l’impact potentiel de cette décision :
« Cette mesure permettrait de sortir nos vins de leur catégorie de prix actuelle sur le marché américain. »
Il a précisé que certains pays concurrents, comme l’Argentine, l’Australie, le Chili et la Nouvelle-Zélande, restent soumis à un taux de 10 %, tandis que l’Afrique du Sud est à 31 %, mais que l’Union européenne serait fortement désavantagée dans son ensemble.
Un appel à utiliser les leviers diplomatiques et législatifs
Le secrétaire général du CEEV a mis en avant l’existence d’un outil législatif américain – l’annexe II – qui permet d’exempter certains produits des surtaxes, comme cela est déjà le cas pour le cuivre, les semi-conducteurs ou l’aluminium.
« Il y a peut-être un espace pour la diplomatie afin d’exempter le vin ou d’autres produits sensibles de ces mesures. »
Le calendrier est extrêmement serré :
« Cela laisse une semaine à la Commission européenne pour tenter de négocier. »
Ignacio Sánchez Recarte a demandé que le vin soit retiré de la liste numéro deux des produits ciblés par les représailles liées au contentieux sur l’acier et l’aluminium, et a appelé à ouvrir des discussions avec l’administration américaine pour un accord de réciprocité spécifique au vin.
Un secteur stratégique pour les zones rurales européennes
Pauline Bastidon, directrice des affaires économiques et commerciales à SpiritsEUROPE, a par ailleurs souligné que les exportations de spiritueux européens ne concernaient pas uniquement les grandes entreprises : à travers les 30 associations nationales et 11 sociétés membres de SpiritsEUROPE, ce sont des milliers de petites distilleries et de PME qui sont représentées partout en Europe.
« Un emploi créé dans le secteur des spiritueux soutient six emplois dans les secteurs en amont, notamment l’agriculture. »
Elle a illustré cette réalité par des chiffres précis : la production de spiritueux consomme chaque année 4 millions de tonnes de matières agricoles en France, et 1,32 millions de tonnes de céréales en Pologne ; tout en insistant sur le rôle central des États-Unis pour le secteur :
« Les États-Unis représentent près de 3 milliards d’euros d’exportations de spiritueux. »
Il s’agit donc d’une relation forte, indispensable et non substituable, développée, comme le rappelle Pauline Bastidon dans le cadre d’un accord de suppression mutuelle des droits de douane — le dispositif dit « zéro pour zéro » — qui avait permis une hausse de 450 % des exportations européennes vers les États-Unis entre 1997 et 2018.
Le risque d’être évincé du marché américain
L’annonce américaine de surtaxes remet en cause cet équilibre. Pauline Bastidon a souligné que les spiritueux en provenance de pays comme le Mexique ou le Canada resteront exonérés de droits de douane grâce à l’accord USMCA, tandis que le Royaume-Uni sera soumis à une surtaxe de 10 %, contre 20 % pour l’Union européenne.
« Si cette mesure est appliquée, nous serons dans une position très désavantageuse. Nous serons potentiellement exclus du marché. »
Elle a ajouté que les périodes précédentes de surtaxes avaient déjà eu un impact très négatif sur les exportations, et que l’enjeu est d’autant plus critique que les entreprises du secteur sont souvent liées par des investissements croisés transatlantiques, et dépendent fortement du dynamisme du marché américain.
En parallèle, la filière des spiritueux subit une pression grandissante sur le marché chinois. Depuis janvier 2024, la Chine a lancé une enquête antidumping contre les brandies européens, ciblant notamment le cognac, l’armagnac, les brandies espagnols et italiens, et la grappa. Depuis octobre, ces produits sont soumis à des droits moyens de 35 %. Pauline Bastidon a précisé que les exportations directes vers la Chine ont chuté de 45 % en valeur entre le dernier trimestre 2023 et le dernier trimestre 2024, avec des pertes particulièrement lourdes pour le cognac (-63 % en volume), et l’armagnac, dont les exportations ont été divisées par deux.
Une réaction politique indispensable face à une filière déjà fragilisée
Ignacio Sánchez Recarte a rappelé que la filière vitivinicole et des spiritueux européens subit déjà de lourdes pressions, déterminant des tensions commerciales actuelles. Il a évoqué une série de facteurs structurels affaiblissant la compétitivité du secteur : l’inflation persistante, les effets du changement climatique sur les récoltes, la baisse de la consommation dans les marchés matures, et la complexité croissante du marché intérieur européen, notamment en matière de réglementation.
« Nous devons simplifier la manière dont nous commerçons au sein de l’Union », a-t-il insisté, en référence aux obstacles intra-européens qui entravent la fluidité des échanges et augmentent les coûts pour les producteurs.

Dans ce contexte déjà tendu, les intervenants ont unanimement appelé à une réponse politique rapide, coordonnée et ciblée de la part de la Commission européenne. Parmi les priorités évoquées : l’ouverture immédiate de négociations diplomatiques avec l’administration américaine, l’obtention d’exemptions tarifaires pour les vins et spiritueux européens, et la relance d’un agenda commercial offensif pour sécuriser les débouchés extérieurs.
SpiritsEUROPE a, de son côté, formulé trois appels clairs à l’action :
- Garantir un environnement commercial stable : La filière demande à être protégée des répercussions de conflits commerciaux extérieurs, comme ceux liés aux contentieux sur l’acier ou l’aluminium. Elle appelle à un retour à un commerce sans droits de douane pour les spiritueux, sur le modèle de l’accord « zéro pour zéro » qui avait permis une croissance historique des échanges.
- Renforcer la coopération réglementaire avec les États-Unis : Pauline Bastidon a rappelé que des propositions concrètes ont déjà été formulées dans le cadre d’un dialogue transatlantique sur les spiritueux. L’objectif serait de faciliter les échanges par des ajustements techniques réciproques, et d’intégrer ces mesures à un accord plus large permettant d’éviter l’application ou la réintroduction de droits de douane.
- Accélérer la diversification commerciale : Au-delà du cas américain, la filière appelle à intensifier les efforts de négociation avec de nouveaux partenaires économiques, notamment l’Inde, les pays de l’ASEAN, le Mercosur et l’Afrique. Mais elle précise que ces perspectives à moyen terme ne peuvent être envisagées efficacement qu’une fois les différends avec les États-Unis et la Chine résolus.



Pauline Bastidon a conclu son intervention par un avertissement :
« Sans résolution rapide, beaucoup de PME ne survivront pas pour voir les bénéfices d’une diversification dans dix ou vingt ans. »
Des eurodéputés soutenant une réponse rapide et coordonnée
Les députés européens présents à la réunion de l’intergroupe, ont exprimé leur pleine solidarité avec les professionnels de la filière, reconnaissant l’urgence de la situation face aux nouvelles mesures tarifaires américaines et aux restrictions imposées par la Chine. Plusieurs élus ont appelé la Commission européenne à agir sans délai pour protéger les intérêts économiques et agricoles de l’Union, soulignant également la nécessité de ne plus utiliser (à l’avenir) les vins et spiritueux européens comme monnaie d’échange dans les conflits commerciaux extérieurs au secteur.
Une réponse ferme de la Commission européenne face à l’unilatéralisme américain
Au lendemain de l’annonce par le président Donald Trump de l’instauration des droits de douane universels — touchant l’ensemble des partenaires commerciaux des États-Unis, y compris l’Union européenne —, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a réagi avec gravité. Dans une déclaration officielle prononcée le 2 avril depuis Bruxelles, elle a qualifié cette décision de « coup dur pour l’économie mondiale », regrettant profondément un choix qui, selon elle, « déclenchera une montée du protectionnisme, aggravera l’inflation, et frappera de plein fouet les citoyens les plus vulnérables ». La présidente a rappelé que le commerce transatlantique avait, depuis plus de 80 ans, été un moteur de croissance, d’innovation et d’emplois de part et d’autre de l’Atlantique. Tout en reconnaissant qu’une réforme du système commercial international est nécessaire, elle a fermement rejeté l’idée que les droits de douane pourraient être une solution durable. Affirmant que « l’Europe se maintiendra aux côtés de ceux qui sont directement touchés », elle a annoncé l’élaboration de contre-mesures ciblées, tout en laissant la porte ouverte à la négociation. « Passons de la confrontation à la négociation », a-t-elle conclu, exprimant une volonté claire de défendre les intérêts européens tout en recherchant une désescalade constructive.
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