Vie biologique des sols et productivité : Stimuler un écosystème

21 février 2013

Dans l’univers viticole, les effets liés au terroir, aux potentialités agronomiques et à la fertilité des sols influencent fortement les caractéristiques des productions. Certains sols résistent bien à la sécheresse, d’autres peinent à porter une récolte correcte et, d’une façon générale, la vigne en tant que plante pérenne réagit fortement aux variations de nature et d’équilibre du sol. Les interrogations au niveau de l’alimentation des souches nombreuses et tous les viticulteurs observent que certaines parcelles fonctionnent toujours mieux que d’autres malgré des soins équivalents. Le sol est un lieu de vie intense, un écosystème fragile auquel on porte finalement assez peu d’attention. La vie biologique d’un sol interfère directement sur ses caractéristiques agronomiques, son potentiel de fertilité et l’alimentation des souches. La volonté de maîtriser dans le temps la productivité des diverses parcelles d’une propriété doit s’appuyer sur une stratégie à long terme de stimulation de la vie des sols.

p28.jpgLe sol est encore trop souvent considéré comme un substrat minéral dans lequel les plantes plongent leurs racines pour s’alimenter. Or, c’est un lieu de vie intense et complexe qui constitue une ressource naturelle en perpétuelle évolution. Les sols proviennent de la décomposition et de l’altération des roches par l’action de l’eau, de l’air et des êtres vivants qu’ils supportent et renferment. Au cours du temps, la nature des sols se modifie et acquiert des constituants (matières organiques, argiles…) et des structures (couleur, agrégats, horizon…) spécifiques à chaque environnement. Cela lui confère des caractéristiques et des propriétés variables selon les roches, les climats et les végétations. Le sol ne représente qu’une mince couche variant de quelques centimètres à plusieurs mètres qui s’apparente en quelque sorte à un « épiderme vivant » indispensable à la vie. Les principales propriétés des sols, la structure, la porosité, l’activité biologique et la teneur en certains éléments nutritifs évoluent en permanence au fil du temps et parfois assez rapidement suite à des actions de surface brutales (déforestation, monoculture, pratiques culturales…).

Un lieu de vie biologique discret et méconnu

Un sol contient, produit et accumule tous les éléments nécessaires à la vie (azote, phosphore, calcium) et joue un rôle de garde-manger plus ou moins rempli et plus ou moins fonctionnel. C’est un composant fondamental du cycle de l’eau de par sa porosité qui limite ou amplifie les phénomènes de ruissellement. Cela conditionne à la fois le remplissage des réserves profondes (nappes phréatiques), le régime des cours d’eau, le développement des cultures et de toutes formes de végétation. Il se comporte comme un filtre capable d’épurer les eaux et d’en modifier leur composition biologique et chimique. Cette fonction reste cependant limitée et des sols fortement pollués relarguent une partie de leur charge polluante dans les eaux d’infiltration. Une autre fonction du sol concerne son influence sur la composition de l’atmosphère grâce à sa capacité à stocker ou à relâcher des gaz à effet de serre. La couche de terre arable possède la capacité d’accumuler du carbone principalement sous la forme de matières organiques dont le rôle est bénéfique à la fertilité des sols. C’est aussi un lieu de vie biologique important mais discret qui contribue au respect de nombreux écosystèmes.

Un « digester » stimulé par une population de micro-organismes

Les plantes vivent fixées sur le sol et dans le cas d’une plante pérenne comme la vigne, cette notion est particulièrement importante. Le sol se compose de quatre fractions : une solide contenant des éléments minéraux (sables, limons, argile, calcaire, oxyde de fer…) et des matières organiques (débris végétaux et humus) ; une seconde dite liquide, la solution du sol (de l’eau contenant des substances dissoutes issues des roches mères et des matières organiques) ; une troisième dite gazeuse, l’atmosphère du sol (de l’air et des gaz provenant de la décomposition des matières organiques) ; et la quatrième concerne les micro-
organismes vivants présents dans les sols. La vie biologique des sols interfère directement sur la nutrition des plantes par le biais de divers processus : la dégradation de la matière organique, le processus de minéralisation de l’azote et tous les échanges de substances organiques et minérales avec les racines des plantes. Le sol est en fait un grand « digester » dont le fonctionnement est fortement influencé par une multitude d’éléments, et tout particulièrement par la nature des micro-organismes présents dans la couche de terre arable. L’équilibre biologique des populations de micro-organismes des sols est un écosystème invisible dont beaucoup d’agriculteurs et de viticulteurs sous-estiment l’importance.

Les lombrics travaillent les sols efficacement

p29.jpgLa population de micro-organismes du sol est nombreuse, variée, fluctuante. Elle contribue à améliorer la fertilité des sols tout en pouvant se montrer aussi parfois nuisible au développement des cultures. Le poids total de la matière vivante d’un sol serait en moyenne de 2,5 t/ha (variant de 1 à 5 t/ha). Dans les prairies permanentes, le milieu s’avère beaucoup plus riche alors que dans les situations de monoculture intensive il peut se déprécier fortement. Une grande diversité d’espèces cohabite, des petits mammifères, des rongeurs, des vers de terre, des mollusques, de petits insectes, des nématodes, des algues, des champignons, des bactéries… Les micro-organismes exercent diverses actions mécaniques, chimiques et biologiques sur la formation et l’entretien de la fertilité des sols. L’action mécanique se matérialise par la formation d’agrégats stables et l’amélioration de la porosité. Les lombrics sont des « agents puissants au niveau des actions mécaniques et leur rôle positif vis-à-vis de l’amélioration de la structure des sols est reconnu. Leur mode de vie provoque un brassage énergique de la terre à la fois quand ils s’enfoncent en été pour rechercher l’humidité et ensuite remontent à la surface en hiver et au printemps. Leur rôle de malaxeur est propice à l’amélioration de la structure des sols. Le passage de la terre à l’intérieur des tubes digestifs des lombrics assure une mise en contact avec des substances organiques (acides humiques) ou des débris végétaux qui débouche sur la formation d’agrégats de terre possédant une structure très homogène et naturellement résistante aux pluies. Le phénomène de malaxage assure aussi le transport et la répartition parfaite de la matière organique dans les différents horizons de sols. Aucun passage d’outils de travail du sol ne peut avoir une efficacité comparable aux vers de terre pour assurer la dissémination de la matière organique et l’ameublissement de la structure de la terre. Enfin, la circulation des lombrics s’effectue dans des galeries verticales qui sont propices à une meilleure circulation de l’eau et de l’air. Des études ont mis en évidence que des sols riches en vers de terre verraient la circulation de l’eau être augmentée de 3 à 4 fois et, par voie de conséquence, leur porosité serait fortement accrue.

La fonction de digestion des vers de terre facilite l’assimilation de certains éléments

Les lombrics ont aussi la capacité de remonter une partie des éléments fertilisants lessivés vers la surface du sol. Cela concerne en particulier le calcium dont la mise à disposition peut présenter des avantages dans les sols acides, même si à ces niveaux de pH leur présence quantitative est moindre. Le mode d’alimentation des lombrics qui « sont gourmands » de terre et de débris végétaux s’accompagne d’une action chimique dont il ne faut pas sous-estimer l’importance. Les lombrics déplacent et « digèrent » des volumes considérables de terre et cette activité provoque une action chimique engendrant un enrichissement des sols en éléments minéraux assimilables. Lors de la phase de digestion, des enzymes digestives et de décomposition des matières organiques attaquent certains éléments minéraux à base de potasse, de phosphore et de magnésium, et les transforment sous une forme assimilable par les plantes. Les vers de terre font partie de l’écosystème du sol et jouent un rôle très important dans la vie biologique. Leur appréciation quantitative dans un sol est un moyen simple d’évaluer l’intensité de la vie biologique. D’autres tous petits animaux présents dans le sol ont la capacité de consommer des algues, des bactéries et des champignons. Cela permet d’opérer une sélection naturelle des populations de micro-organismes en éliminant certains individus et en stimulant la présence d’autres. Ce phénomène contribue à provoquer un rajeunissement permanent des populations qui s’adapte à la pression environnementale de chaque situation (la nature du sol, les microclimats, les pratique culturales et humaines…).
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Des champignons actifs et moins sensibles aux effets milieu

Les algues, les champignons et les bactéries interviennent dans les divers processus de la vie des sols après le travail de fragmentation réalisé par les animaux (tout particulièrement des lombrics). Dans les deux premiers centimètres du sol, la présence d’algues microscopiques est assez fréquente. Elles interviennent de façon partielle dans la dégradation de la matière organique. Les populations de champignons (50 à 60 % de la biomasse vivante) sont présentes en quantités importantes (1 000 à 1 500 kg/ha) et de manière très diversifiée sur le plan des espèces. La richesse en matière organique des sols stimule la présence des flores de champignons dont il est difficile de quantifier précisément les différentes familles. Les champignons sont des organismes pluricellulaires aérobies qui supportent assez bien les conditions de milieu difficiles. D’une manière générale, la population de champignons se décompose en quatre groupes : les décomposeurs de matières organiques fraîches, les prédateurs de substances polluantes et de nématodes, les pathogènes (parasites des cultures) et les symbiotiques. Les chercheurs ont identifié un certain nombre d’espèces qui jouent un rôle sur le plan agronomique. Certains champignons filamenteux vivent de façon saprophyte aux dépens des matières organiques, dégradent la lignine et la cellulose, et participent au processus global de minéralisation. D’autres espèces créent des barrières physiques et stimulent le développement racinaire en synthétisant des éléments nutritifs et minéraux. Malheureusement, il existe aussi des champignons qui sont dangereux pour le développement des cultures et induisent des maladies. La nature étant bien faite, des espèces spécifiques (souvent issues de la famille des Trichoderma) ont aussi la capacité de combattre leurs congénères pathogènes en synthétisant des enzymes cellulosiques et des molécules biocides. Des espèces vivent en parfaite symbiose avec 90 % des plantes supérieures à fleurs et à graines (mais aussi des arbres fruitiers, la vigne…) et contribuent grandement à leur bon développement. Ce sont les mycorhizes dont l’étude a révélé l’incidence positive au niveau de la physiologie des plantes (nutrition minérale, résistance au stress, amélioration de l’enracinement…). Le champignon associé aux racines de la plante est ainsi en mesure d’absorber sans contrainte les glucides dont il a besoin sans être confronté à la concurrence d’autres micro-organismes. Ce processus améliore la nutrition de la plante en azote minérale, en phosphore ainsi que sa résistance à la sécheresse. Des effets protecteurs contre certains champignons et bactéries pathogènes ont été aussi observés.

Les propriétés importantes de la flore de bactéries

p32.jpgLes populations de bactéries dans les sols sont difficiles à évaluer et très variables selon le type de sol (le pH, la profondeur de couche de terre arable), la saison et l’effet climat. Les bactéries possèdent une capacité à se multiplier rapidement et ensuite à disparaître si les conditions du milieu ne leur sont pas favorables. Ce sont des organismes unicellulaires aérobies et anaérobies qui représentent 20 à 25 % de la biomasse vivante. L’apport de matière organique provoque généralement une stimulation des populations de bactéries. Les bactéries aérobies sont généralement intéressantes sur le plan agricole alors que leurs congénères anaérobies ont des incidences plus négatives. La population de bactéries se répartit en quatre groupes fonctionnels :les décomposeurs, les mutualistes (en relation avec les plantes), les pathogènes et les lilthotrophes qui tirent leur énergie du fer, de l’azote, du soufre et de l’hydrogène. Les rôles des bactéries sont multiples : une source d’alimentation pour d’autres membres de la chaîne alimentaire, la formation des sols (par hydrolyse acide des roches), la stimulation de la croissance des plantes, la régulation d’autres micro-organismes, la décomposition de la matière organique, le recyclage des éléments fertilisants, la dégradation de certains pesticides… Des travaux de recherche ont permis d’identifier une diversité d’espèces dont certaines présentent un véritable intérêt pour le maintien de la fertilité des sols. Certains groupes de bactéries qui ont besoin pour se développer de substances carbonées (de matières organiques) interviennent dans la dégradation de l’amidon, de la cellulose et dans tout le processus de minéralisation de l’humus. Des espèces amplifient la libération du phosphore, colonisent les racines, accentuent la production d’hormones de croissance et limitent le pouvoir pathogène de divers champignons. D’autres bactéries tirant leur énergie de substances minérales contribuent au processus de nitrification de façon positive ou négative. Il existe des espèces (azotobacter, rhizobium) vivant parfois en symbiose avec des plantes (des légumineuses) qui ont une action fixatrice de l’azote de l’air contenu dans les cavités du sol. Cette propriété est très intéressante car cela permet de transformer de l’azote perdu dans l’air en ammonium disponible pour les plantes. Elles vivent généralement en symbiose avec des racines de légumineuses. L’activité des bactéries dans le sol peut être affectée par les conditions du milieu : le manque d’aération, l’excès ou l’insuffisance d’humidité, la température des sols (optimum autour de 20 à 25 °C), des conditions de pH spécifiques (situation idéale entre 6 et 8) et la présence de calcium.

Le petit univers de la rhizosphère interfère sur les phénomènes d’assimilation

Dans le sol, tout se déroule comme si la décomposition des matières organiques et l’absorption des substances nutritives qui en découle nécessitaient deux types de populations de macro et micro-organismes successifs, une dédiée à la fonction de décomposition et l’autre à l’assimilation. Des expérimentations ont montré que suite à un apport abondant d’un amendement humique (par exemple du fumier), il faut attendre que l’état de décomposition de la matière organique soit avancé pour que les racines exploitent les zones de terres enrichies. L’implication des vers de terre et de certaines souches de champignons et de bactéries est déterminante pendant la phase de décomposition. Le développement des plantes semble en quelque sorte dans un premier temps limité tant que la flore de décomposition demeure élevée. Le processus d’assimilation se déroule de façon complexe et les échanges racines/sol obéissent à des principes complexes. Des observations scientifiques ont mis en évidence que l’émission de racines par les plantes provoque dans leur proche environnement une intense prolifération de bactéries et de quelques champignons. Le développement du chevelu racinaire stimule la multiplication d’espèces de bactéries et de champignons très spécifiques. Quand une plante est en mesure de produire des sucres, elle dirige une partie de la production de certaines substances vers les racines. Ces éléments sont transmis à des espèces de bactéries particulières qui en retour fournissent à la plante les éléments fertilisants organiques et minéraux dont elle a besoin. Il se crée en quelque sorte une situation d’échanges réciproques dans une zone très limitée autour des racines : la rhizosphère. La plante dispose d’une aptitude remarquable à provoquer le développement des bactéries susceptibles de satisfaire ses besoins nutritifs. Par ailleurs, les bactéries se développant au sein de la rhizosphère sont spécifiques de chaque type de plantes, de leur stade de développement, de chaque condition de sol (et de la microflore existante) et de la saison. Cela confirme bien que la vie biologique des sols est un univers très complexe.

Une relation forte entre la vie biologique et la fertilité des sols

p33.jpgLa plupart des transformations agronomiques ayant un intérêt dans le sol sont d’origine biochimique. Elles sont conditionnées par la présence d’être vivants (et leurs enzymes) intervenant dans les processus de formation des sols et de nutrition des plantes. Un sol n’existe d’un point de vue agronomique que lorsque les organismes vivants associés à la matière organique viennent s’ajouter aux minéraux issus de la décomposition des roches mères. Or, les micro-organismes sont loin d’être répartis de manière homogène dans le sol, ce qui explique certains échecs d’itinéraires culturaux conduisant à des situations de carence et de blocage d’assimilation d’éléments fertilisants. Autour des racines, il doit se créer un milieu complexe, riche en micro-organismes spécifiques ; la rhizosphère propice à des échanges plantes/sol optimum (en matières organiques et minérales). La connaissance de l’activité biologique des sols permet d’apprécier à la fois la dynamique d’évolution des sols et les capacités d’échanges entre le sol et les plantes. Le niveau d’activité des nombreux organismes vivants du sol a une influence sur le fonctionnement des sols, leurs propriétés agronomiques et leur fertilité. Les chercheurs de l’UMR de microbiologie du sol et de l’environnement de Dijon sont les spécialistes de la microbiologie des sols et des relations plantes/micro-organismes/environnement. Une partie de leurs travaux depuis 15 ans concerne le développement de méthodes d’évaluation de l’activité biologique des sols. Les recherches ont débouché sur plusieurs approches de mesures en laboratoire de l’activité biologique. Elles ne trouveront leur pleine fiabilité qu’en étant associées à des observations complémentaires agro-pédologiques de terrain et des résultats des analyses de terre classiques.

La biomasse microbienne du sol, un des indicateurs de la vie biologique des sols

Toute la difficulté des approches de recherche en matière de mesures de l’activité biologique réside dans l’obtention d’outils véritablement opérationnels dont l’interprétation débouche sur l’évaluation des potentialités du sol et l’optimisation des fumures. Plusieurs approches ont été développées par Rémy Chaussod et son équipe de l’INRA de Dijon. La première concerne une mesure de la biomasse microbienne (de l’ensemble des micro-organismes, les bactéries, les champignons…) présente dans le sol par le dosage du carbone (de l’azote). La quantité de carbone extractible provient uniquement des matières vivantes du sol, ce qui confère à cet indicateur une corrélation directement proportionnelle à la biomasse microbienne (étant elle-même liée aux teneurs en matière organique du sol). Le principe est de soumettre une fraction de sol à des vapeurs de chloroforme qui provoquent une solubilisation des composés carbonés. La différence de teneurs en carbone entre les échantillons fumigés et non fumigés quantifie l’importance de la biomasse microbienne. La méthode présente l’avantage d’être universelle, précise, fiable, normalisée et relativement facile à mettre en œuvre. Les conditions de prélèvements des échantillons de sol doivent respecter une procédure précise pour que l’analyse soit interprétable. L’échantillon doit être prélevé en dehors des périodes de stress hydrique et thermique, avant toute perturbation du sol (apport de fumure, travail du sol…) et en présence d’une terre suffisamment ressuyée. Le dosage de la biomasse microbienne est aujourd’hui le moyen le plus cohérent de caractériser analytiquement l’intensité de la vie microbienne des sols.

Trois approches de dosage pour caractériser la fraction intermédiaire de la matière organique

La deuxième piste d’appréciation de la vie microbienne est en lien avec la teneur en matière organique des sols. La matière organique présente dans la couche de terre arable n’est pas un ensemble homogène mais un mélange de divers composés complexe sur le plan biochimique et de nature variée au plan biologique. La matière organique se compose de trois fractions de produits différents : l’une étant l’humus stable important en volume mais très peu biodégrable, l’autre dite vivante (la biomasse microbienne) représentant seulement 1 à 3 % se renouvelle fortement et une troisième dite intermédiaire appelée « pool labile ». Cette fraction de matière organique est généralement bien corrélée à la biomasse microbienne présente dans les sols bien équilibrés. La quantification du « pool labile » est abordée avec plusieurs approches analytiques complémentaires. L’extraction à l’eau chaude permet de doser les matières organiques de genèse récente mal définie et qui semble jouer dans l’agrégation des particules du sol. Ensuite une approche physique (le fractionnement granulométrique) consiste à évaluer les stocks de carbone et d’azote en tenant compte de la taille des composés du sol. Les fractions grossières (> 50 microg) sont formées de matières reconnaissables, des résidus végétaux ou provenant d’amendements organiques non décomposés, en cours de décomposition et parfois partiellement humifiés. Les fractions fines (> 50 microg) contiennent une matière organique non reconnaissable liée au limon et aux argiles incluant des supports en voie d’humification et une partie de la biomasse microbienne. La proportion de ces fractions a une incidence directe sur les propriétés physiques, chimiques et biologiques des sols. Enfin, la méthode d’analyse Hérody permet d’identifier la fraction de matière organique non humifiée constituée de molécule subissant les phénomènes de minéralisation qui est facilement assimilable par les micro-organismes. Le fait de devoir utiliser trois approches différentes et complémentaires pour caractériser « le pool labile » est lourd, coûteux et complexe à mettre en œuvre dans la pratique.

La respiration du sol est corrélée au processus de minéralisation de l’azote

La mesure de la minéralisation du carbone et de l’azote en conditions contrôlées est le moyen le plus ancien d’évaluer l’activité de la microflore microbienne. Des échantillons de sols sont mis à incuber dans des conditions optimum (pendant 28 jours à 28 °C en présence d’une teneur en eau voisine de la capacité au champ) pour observer leur respiration potentielle. L’intensité du phénomène de « respiration » du sol donne une information pertinente quand elle est corrélée à la taille de la biomasse microbienne. Le flux de C-CO2 provient de l’ensemble de la matière vivante contenue dans le sol et l’expression des résultats par unité de biomasse débouche sur la notion de respiration spécifique. Cette mesure présente l’avantage de compléter judicieusement les déterminations de la biomasse en corrélant l’importance du milieu vivant du sol à son taux de renouvellement. C’est particulièrement intéressant pour caractériser des échantillons de sol et comparer des traitements différents dans un même environnement (essais comparatifs de différents produits de fumure organique et organo-minéral). Il est aussi possible d’extrapoler au champ les observations de laboratoire en matière de vitesse de minéralisation de l’azote pendant une période donnée.

Le manque de fiabilité des mesures d’activité enzymatique

La présence d’êtres vivants dans les sols se traduit par la synthèse de diverses enzymes à l’intérieur des cellules ou à l’extérieur sur les parois des champignons et des bactéries, les minéraux argileux et sous la forme de composés associés aux substances humiques. Les mesures d’activité enzymatiques présentent l’avantage d’être peu coûteuses, simples et sont utilisées depuis longtemps pour évaluer la fertilité des sols. Les plus couramment réalisées concernent le dosage des oxydo-réductases (enzymes de types respiratoires) pas toujours fiable et les hydrolases (estérases, phosphates, sulfatases…) attestant de transformations intéressantes sur le plan agronomique. Les dosages enzymatiques présentent des inconvénients majeurs (pas représentatifs des conditions réelles des sols et trop spécifiques) qui nuisent à leur fiabilité et rendent leur transposition aléatoire en tant qu’indicateurs de fertilité. Des mesures de populations microbiennes particulières sont pratiquées au niveau de la recherche et pour évaluer l’abondance de micro-organismes spécifiques comme les fixateurs libres ou symbiotiques d’azote et les mycorhizes.

Déterminer l’importance et la diversité des populations de lombrics

p33b.jpgComme nous l’avons évoqué précédemment, l’importance des populations de vers de terre est un bon indicateur de l’activité biologique des sols. Ces tout petits animaux sont de « gros mangeurs » de matière organique et ces composés du sol stimulent le développement des flores de champignon et de bactéries. Il existe une bonne corrélation entre l’importance des populations de lombrics et la vie biologique des sols.

Des méthodes de mesure pour déterminer l’importance et la diversité des populations de lombrics ont été développées par la recherche. Leur mise en œuvre assez lourde a limité pour l’instant leur développement auprès des techniciens de terrain. Trois protocoles sont utilisés pour prélever les vers de terre. La première consiste à creuser le sol sur une profondeur de 60 cm et à séparer toutes les espèces de lombrics. C’est la méthode la plus exhaustive qui sert de référence, mais elle est pratiquement inutilisable pour un grand nombre d’échantillons. La deuxième méthode est basée sur la réaction des vers de terre à une agression épidermique suite à un arrosage avec une substance chimique (du formol). Les vers de terre fuient en remontant à la surface du sol et sont alors collectés. L’extraction chimique au formol s’avère efficace pour les espèces de surface, les épigés et certains anéciques, mais beaucoup moins pour les individus des couches profondes, d’autres anéciques et les endogés. La méthode présente l’avantage d’être facile à mettre en œuvre (et aussi peu coûteuse) mais les captures sont très variables selon les saisons et le climat. La dernière façon de quantifier la population de lombrics est de réaliser un prélèvement de sol qui, après traitement chimique, est lavé et dépouillé de toute sa terre fine. Il ne reste plus ensuite qu’à trier en laboratoire les vers de terre et leur cocon. Cette méthode présente l’avantage d’être fiable, mais elle est plus lourde -à mettre en œuvre à grande échelle.

La pertinence des résultats repose sur la mise en place de référentiels régionaux

Les données disponibles et obtenues en matière de quantification de l’activité biologique des sols représentent des sources d’informations nouvelles très intéressantes pour la compréhension des mécanismes d’assimilation des éléments fertilisants, mais elles sont encore difficilement utilisables en l’état. La fiabilité des résultats obtenus avec les analyses de biomasse microbienne et des activités globales de minéralisation du carbone et de l’azote est bonne mais pas suffisante pour permettre une interprétation pertinente dans une nature de sol déterminée. C’est un élément supplémentaire qui vient nourrir la réflexion globale d’appréciation des potentialités agronomiques et de fertilité du sol. Il conviendrait d’intégrer de manière systématique ces nouvelles analyses dans les diagnostics globaux au moment, par exemple, de la réalisation des analyses de sol. L’absence de référentiels régionaux propres à chaque culture et qui tiennent compte des effets natures du sol, climat et pratiques culturales représente actuellement une difficulté majeure. Dans un vignoble comme Cognac, les techniciens disposent de connaissances et de référentiels très précis sur la granulométrie, les teneurs en éléments fertilisants majeurs, en oligo-éléments, en matière organique… des terres de champagne, des groies, des doucins et des argiles du pays bas. Par contre, les informations dans notre région sur l’intensité de la vie biologique sont encore trop rares et trop partielles. Pourtant, leur intérêt pour aller plus loin dans la meilleure compréhension des mécanismes d’assimilation des parcelles d’ugni blanc, de l’optimisation des doses et des choix de fumure et aussi peut-être dans l’appréciation qualitative des nombreuses spécialités commerciales d’amendements et d’engrais organiques est indéniable. Pour l’instant, les différents prestataires de service ne proposent pas d’analyses de la biomasse microbienne spécifiques car les organismes de développement agricoles et les distributeurs n’ont pas encore intégré ces aspects dans leurs réflexions agronomiques. C’est sûrement un nouveau volet d’étude à développer pour aider les viticulteurs à raisonner avec plus de justesse leurs plans de fumure.

Bibliographie :
– Travaux de recherche de Rémy Chaussod, de l’INRA de Dijon.
− Travaux de recherche d’Alain Cluzeaux, de l’UMR Ecobio de l’université de Rennes.
− Synthèse des communications du GIS Solubilisation.
− Documents extraits du livre de Dominique Soltner, Les bases de la production végétale.
– Documents et publication de l’ITAB.

Les vers de terre : des laboureurs infatigables !

p31.jpgLa présence de vers de terre en nombre suffisant dans une prairie, une parcelle de terre labourable ou dans une vigne signifie que la vie biologique de la terre est intense. Ces petits animaux possèdent des caractéristiques biologiques et un mode de vie qui leur confèrent une activité intense au sein de la couche de terre arable. Les vers de terre (ou lombrics) ont une tête dépourvue d’appendice et un corps souple, mobile, allongé et divisé en segments successifs. Leur anatomie est constituée d’un tube digestif recouvert d’un autre tube portant des anneaux successifs dotés de muscles et de quelques soies (de minuscules petits supports correspondent à des véritables « membres »). La contraction et l’extension des muscles permettent leur déplacement en s’accrochant aux parois des galeries qu’ils creusent. Le tube digestif (la partie centrale du corps) est un organe très élaboré qui comprend une bouche, un pharynx servant à la fois de ventouse pour tirer les aliments et de broyeur pour les triturer. Ensuite, les aliments passent dans le jabot, y reçoivent un apport de carbonate de calcium, puis progressent dans le gésier et le gros intestin. Les vers de terre bien qu’étant hermaphrodites ont besoin de s’accoupler pour se reproduire. On rencontre généralement en Europe une centaine d’espèces et de sous-espèces qui sont classées suivant leur taille, leur habitat et leur comportement (surtout alimentaire).

Trois espèces de lombrics

On distingue trois grandes catégories : les vers épigés, endogés et anéciques. Les vers épigés vivent à la surface du sol dans de la litière et dans les matières organiques en décomposition. Ils jouent un rôle dans le recyclage de la matière organique et on les utilise pour produire du lombricompost et traiter des ordures ménagères. Les vers endogés (20 à 30 % des lombrics en Europe tempérée) sont présents dans les terres fertiles et vivent en permanence dans le sol en creusant des galeries horizontales. Ils se nourrissent de terres plus ou moins riches en matière organique. Lors des périodes de sécheresse, ils s’enfoncent, tombent en léthargie et s’enroulent sur eux-mêmes. Parfois, ces vers s’agglomèrent ensemble pour former des pelotes dans les couches profondes à proximité des passages d’eau qu’ils filtrent. Les vers anéciques (60 à 80 % des lombrics en Europe tempérée) sont présents dans la couche de terre arable. Ils vivent dans des galeries verticales et viennent à la surface du sol faire leurs provisions de débris végétaux. Leurs excréments sont déposés à la surface du sol sous la forme de turricules (les tortillons) qui sont très visibles. En période estivale, ils tombent en léthargie et s’enfoncent en profondeur.

Un réseau de galeries « structurant »

C’est l’espèce dont la fécondité est la plus réduite. La quantité de carbone présente dans les sols (proportionnelle au taux de matière organique) favorise la présence des vers de terre. Une prairie peut contenir 2 à 3 tonnes de lombric qui creusent 4 000 à 5 000 km de galeries. Le volume de terre qu’ils ingèrent est considérable : 250 tonnes de terre par an pour 1 tonne de vers anéciques. Ils décomposent et triturent la matière organique (les feuilles mortes) avec l’aide des micro-organismes du milieu (champignons et bactéries) et synthétisent des éléments minéraux assimilables par les plantes. La phase de décomposition nécessite parfois plusieurs passages dans le corps des vers de terre qui ingèrent leurs excréments après un certain temps nécessaire à la fermentation La présence de vers de terre maintient une structure des sols bien grumeleuse (liés aux apports des sécrétions digestives et à l’action des champignons et bactéries). Cela favorise la circulation de l’air et de l’eau, amplifie la vie biologique et la fertilité des sols. Les parois des galeries pour un mètre carré de terre représentent une surface cinq fois plus grande. Ce réseau de canalisations naturelles est propice au stockage de l’eau et rend l’infiltration d’eau plus facile lors des pluies. Le travail constant des vers de terre permet d’enfouir dans les couches profondes les éléments organiques (débris végétaux et fumure organique) présents à la surface du sol.

La vie biologiqre fluctuante des sols français

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Le réseau national de mesures nationales de la qualité des sols (RMQS) a conduit une étude sur l’état microbiologique des sols en France. Les chercheurs de l’INRA de Dijon ont développé une méthodologie pour caractériser la microflore des sols sur les plans quantitatif et qualitatif à partir de 2 000 échantillons (correspondant à un maillage systématique du territoire de 16 km sur 16 km). Les résultats ont été présentés début 2012 dans le cadre du rapport sur la qualité des sols du Gis Sol (le groupement d’intérêt scientifique sur les sols coordonné par l’INRA).

L’analyse des résultats de ce travail par Lionel Ranjard (INRA de Dijon), le responsable de ce projet, est riche d’enseignements. Les conclusions de ces travaux mettent en évidence que les communautés microbiennes ne sont pas distribuées de façon aléatoire mais selon des aires de grandes tailles englobant parfois plusieurs centaines de kilomètres. Certaines régions sont riches en biomasse, le Nord-Est, le Sud-Est et d’autres sont plus pauvres comme par exemple le Sud-Ouest et l’île-de-France. Les différences entre les zones les plus pauvres et les plus riches fluctuent dans un rapport de 1 à 10, ce qui correspond à une quantité de bactéries variant entre 100 millions et 1 milliard d’individus et pour les champignons entre 100 000 et 1 million d’individu. La diversité des micro-organismes fluctue aussi beaucoup selon les zones. Elle est forte dans le Sud-Est et plus réduite dans le Centre, les Landes et le sud de la Bretagne. Les paramètres qui influencent la distribution des micro-organismes sont en corrélation avec le climat, les caractéristiques physico-chimiques des sols, la géomorphologie, le mode d’usage des sols… Pour ce qui concerne la biomasse, le paramètre déterminant est le type de sol, sa texture (argileuse ou sableuse), sa teneur en carbone (en relation directe avec le taux de matière organique) et, dans une moindre mesure, le pH. Ensuite, le deuxième paramètre est le mode d’usage des sols. La biomasse est plus abondante sous les forêts de feuillus (moindre sous les résineux) et dans les prairies que dans les sols cultivés. Les zones de monocultures sont encore plus pauvres. Cela explique que la région des Landes, avec des sols sableux couverts de pins, est pauvre en biomasse. En île-de-France, la nature des sols (dominante argileuse et limoneuse) est plus favorable mais la monoculture des céréales et d’oléagineux les appauvrit sérieusement. La vigne génère aussi des sols pauvres en biomasse car c’est une culture peu couvrante avec une rhizosphère limitée. Le climat semble avoir peu d’influence sur la biomasse microbienne. En ce qui concerne la diversité des micro-organismes, les communautés les plus diversifiées se trouvent dans le Sud-Est (en relation avec une surface du territoire bien répartie entre vignes, forêts, prairies et grandes cultures). A l’opposé, les flores microbiennes peu variées sont observées dans le Nord-Est et les Landes où les situations de monoculture sont fréquentes. Les travaux de recherche se sont poursuivis en 2012 pour identifier les espèces microbiennes et en dresser un inventaire précis dans les deux régions extrêmes du point de vue de la biodiversité (les Landes et Sud-Est). L’objectif de ce travail est à la fois de mieux comprendre ces phénomènes et de constituer des référentiels d’indice de biodiversité.

Contact et bibliographie : www.gissol.fr
– Lionel Ranjard, de l’INRA de Dijon (lionel.ranjard@dijon.inra.fr).
– Dominique Arrouays, de l’INRA d’Orléans (dominique.arrouays@orleans.inra.fr).

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