Xavier Léglise est un jeune viticulteur qui exploite une propriété d’une quarantaine d’hectares à Saint-Fort-sur-Gironde dont plus de 30 % des surfaces d’Ugni blanc ont été plantées par son père au début des années 70. L’encépagement de la propriété se compose aussi de 8 hectares de cépages rouges, 4 de Merlot, 3 de Cabernet franc et 1 de Cabernet Sauvignon. Les structures du vignoble de cette exploitation sont tout à fait représentatives du standard régional, des vignes à 3 m hautes et palissées implantées sur des terres de champagne assez profondes et naturellement propices à un bon développement végétatif. D’ailleurs, ce viticulteur ne cache pas que les Ugni blancs ont été plantés et conduits pour produire de belles récoltes, et l’introduction des limites de rendement à partir de l’année 2000 a entraîné une modification des pratiques de taille et une généralisation de l’enherbement afin de mieux maîtriser la vigueur.
L’extrême sensibilité des parcelles d’ugni blanc plantées au début des années 70
Depuis son installation en 1993, l’eutypiose est pour X. Léglise une préoccupation importante et croissante, et l’arrêt de l’interdiction d’utiliser l’arsénite de sodium depuis trois ans n’a fait que renforcer son inquiétude vis-à-vis du complexe des maladies du bois. D’ailleurs, dès le début des années 90, l’apparition d’une fréquence de symptômes inquiétante a incité ce viticulteur et son père à rechercher un appui technique pour essayer de mettre en place une démarche de lutte contre l’eutypiose. Leur constat sur la propriété était simple : malgré la réalisation systématique des traitements d’hiver jusqu’au printemps 2000, l’eutypiose entraînait la mort de nombreuses souches dans les 15 hectares d’Ugni blanc plantés au début des années 70 et également dans le cabernet sauvignon.
Un taux d’infestation quantifié précisément
Un suivi d’évolution des symptômes d’eutypiose a été implanté chez tous les viticulteurs de ce groupe depuis 1990 et certaines de ces parcelles sont aujourd’hui intégrées dans le cadre de l’Observatoire régional sur les maladies du bois. Les données chiffrées concernant l’exploitation de X. Léglise qui vont être présentées sont tout à fait représentatives de la situation au sein du groupe technique. Le graphique ci-dessous permet de se rendre compte de la forte fluctuation des symptômes d’une année à l’autre selon les conditions climatiques de chaque printemps.
En année peu favorable à l’expression de la maladie, 20 à 25 % des ceps extériorisent des symptômes alors qu’en année propice il arrive que 40 à 60 % des ceps soient notés eutypiés. M. Michel Girard considère que la lecture de ce graphique mérite quelques commentaires car, par exemple, un niveau d’infestation de 40 % en 2003 doit être modulé par le fait que la proportion de symptômes faibles est largement majoritaire, mais sur une longue période la proportion de symptômes marqués a aussi tendance à augmenter au fil des années. Le technicien de la Chambre d’agriculture de la Charente Maritime estime aussi qu’après 15 ans de suivi dans cette parcelle, plus de 70 % des souches sont porteuses de la maladie et pourtant bon nombre d’entre elles n’expriment pas de symptômes tous les ans et produisent encore une belle récolte. La maladie est bien implantée dans cette parcelle et ce niveau d’infestation est tout à fait représentatif de la situation moyenne dans la région des nombreuses parcelles âgées de 20 à 30 ans.
Quinze ans de pratique de prophylaxie qui ont « nourri » la réflexion sur la pérennité
X. Léglise ne cache pas que le fait d’avoir quantifié le niveau d’infestation d’eutypiose sur une des parcelles les plus touchées de la propriété a été pour lui et son père une source de motivation supplémentaire pour combattre la maladie et essayer de conserver un maximum de pieds sains dans la parcelle. Au début des années 90, la présence d’une proportion de symptômes assez marqués dans certaines parcelles a amené ces viticulteurs à pratiquer de manière systématique le recépage. A la fin de chaque hiver, dans le courant des mois de février-mars, un chantier de recépage sur la moitié du vignoble était organisé sur des souches où le printemps précédent des gourmands avait été conservés et protégés. La réalisation proprement dite du recépage sur la moitié des surfaces mobilisait 4 personnes à plein temps pendant deux semaines et tous les deux ans l’ensemble du vignoble était recépé dans son ensemble. Cette intervention de fin d’hiver permettait de réaliser simultanément la section des troncs, la protection par badigeonnage de la grosse plaie avec du Bayleton pâte, la pose éventuelle d’un cache de désherbage et l’élimination du bois mort. Conjointement à cette opération de reconstruction des ceps ayant extériorisé des ceps à symptômes forts, les ceps absents et morts étaient remplacés en réalisant un provignage. Ce travail d’entretien du vignoble a été réalisé de manière régulière pendant 6 à 7 ans et un certain nombre de pieds ont retrouvé un aspect végétatif normal mais, à partir du début de l’année 2000, X. Léglise a été obligé de remettre en cause toute cette démarche de lutte : « Le recépage a donné globalement de bons résultats et la plupart des souches reconstruites sont encore en production, mais cette pratique nécessite beaucoup de main-d’œuvre. La mobilisation pendant deux semaines de quatre personnes à plein temps pour réaliser cette intervention sur 20 hectares était devenue trop lourde sur le plan économique et nous avons été contraints d’arrêter. Par ailleurs, on avait toujours des doutes quant à l’efficacité dans le temps du recépage. Les ceps reconstruits en dessous des zones nécrosées ne sont-ils réellement plus porteurs du champignon Eutypa lata ? Le provignage a été beaucoup plus décevant dans nos terres de champagnes très calcaires et nous avons abandonné cette pratique de remplacement des ceps absents. Au bout de quelques années, les provins ont tendance à extérioriser des symptômes de chlorose marqués qui nuisent à leur productivité et fatiguent aussi beaucoup la souche mère. L’obligation de réduire les charges de main-d’œuvre m’a obligé à aborder différemment la lutte contre l’eutypiose sans pour autant l’abandonner, car mon objectif est de pousser le plus loin possible la durée de vie des parcelles et pour cela il faut conserver un maximum de pieds en état de pleine production. C’est pour raison que, depuis quatre ans, les pieds absents ou fortement eutypiés sont remplacés systématiquement en réalisant des entreplantations. Le fait de réintroduire des greffés-soudés va permettre d’enrichir les parcelles en plants à priori sains qui entraîneront un réel rajeunissement des plantations. »
Concilier les exigences de rentabilité et la longévité des parcelles
La question de fond sur la rentabilité « économique » des diverses opérations d’entretien du potentiel de souches vis-à-vis de la pérennité des parcelles d’Ugni blanc au rendement limité à 120 hl/ha, ce viticulteur se l’est évidemment posée. Ne vaut-il mieux pas ne rien faire et renouveler plus rapidement ses plantations ? Un potentiel de 1 800 à 2 000 souches/ha n’est-il pas suffisant pour produire 100 à 120 hl ? X. Léglise a observé sur sa propriété aujourd’hui que, malgré des efforts d’entretien du vignoble depuis 15 ans, les parcelles les plus atteintes par l’eutypiose avaient au cours des dernières années une certaine difficulté à atteindre le niveau de rendement de 120 hl/ha. Certes, les vignes les plus jeunes sont bien sûr en mesure de compenser cette baisse de productivité mais sur cette exploitation comme dans beaucoup d’autres dans la région, plus de 30 % des surfaces d’Ugni blanc sont âgées de plus de 35 ans. La pyramide des âges des plantations est donc si déséquilibrée qu’il faudrait actuellement s’engager dans un programme de replantation intense. X. Léglise considère pour sa part que les investissements dans des plantations nouvelles nécessaires au rajeunissement du potentiel de production sont aujourd’hui impossibles dans le contexte économique de la région, et c’est donc par défaut que le rajeunissement du capital de souches dans les parcelles existantes devient rentable. Faire bien vieillir ses parcelles pour pousser leur longévité au-delà 40 ans est donc devenu un acte de gestion important.
Un chantier d’entreplantation parfaitement organisé
Ce viticulteur a d’ailleurs parfaitement organisé son chantier d’entreplantation et il en cerne précisément le coût pour toutes les opérations hivernales. Au printemps 2004, l’entreplantation a été réalisée dans le courant du mois de mars sur 5 hectares de vignes avec un taux moyen de remplacement d’environ 6,25 %. L’arrachage et le trou de plantation sont effectués avec une tarière mécanique lors d’un passage spécifique dans les parcelles dans le courant de l’hiver. Par la suite, un nivellement de la terre dans les trous est indispensable avant la mise en terre des plants. L’opération proprement dite de plantation a lieu en général courant mars et se décompose en plusieurs phases successives : la distribution des marquants, la mise en terre du greffé-soudé, l’enfonçage du marquant et la pose du cache de désherbage. Ensuite un arrosage est effectué pour bien tasser la terre et au cours des deux derniers printemps secs cela a considérablement amélioré le taux de reprise. X. Léglise a chiffré le coût de l’ensemble des opérations d’hiver nécessaires à la réalisation de l’entreplantation à 2,4 2 € ht/plant (1), soit un coût/hectare avec un taux de manquants de 6,25 % de 363 € ht. Dans les parcelles présentant un taux de manquants plus normal de 2,5 %, les charges directes liées à l’entreplantation représentent seulement 73 € ht/ha. Au bout de quatre ans, le nouveau cep est en général reconstruit avec une espérance de vie bien supérieure à celle du provignage ou du recépage. Les charges liées au palissage des plants durant l’été sont beaucoup plus faciles à évaluer car ce travail est réalisé au cours du palissage. X. Léglise pratique de manière systématique l’entreplantation depuis 4 ans et son objectif est de remplacer les manquants dans les parcelles tous les 5-6 ans.