« Le Paysan Vigneron » – D’emblée, vous avez placé votre mandat de président sur le thème du développement du Cognac. Qu’entendez-vous par là ?
Jean-Pierre Lacarrière – Le Bureau national est avant tout un outil de promotion du Cognac. Cela signifie qu’il doit faire en sorte que le développement du Cognac soit optimum. A cette fin, plusieurs axes de travail existent. Il peut s’agir d’améliorer la qualité du produit. Il y a éventuellement quelque chose à voir de ce côté-là, même si la qualité est intrinséquement bonne. Les actions de communication représentent aussi un angle d’approche. Plus généralement, il est important de permettre au Cognac d’être présent sur un plus grand nombre de marchés ou auprès d’un plus grand nombre de consommateurs. Faut-il faire de la publicité sur un pays ou sur un autre ? Là aussi il y a sans doute des équilibres à trouver, des choix à faire. Ces choix-là, le BNIC ne les fera pas seul. Il doit être à l’écoute des besoins de ses membres. J’ai proposé à l’interprofession – qui en a validé le principe – de revoir à la fois le fonctionnement du Bureau national et ses statuts, notamment son règlement intérieur, pour assurer une meilleure fluidité à la prise de décision.
« L.P.V. » – Ce « lifting » vous paraît nécessaire ?
J.-P. L. – En ce qui concerne le fonctionnement du B.N., je crois que toute institution a besoin de s’améliorer et de progresser, même si cela ne remet pas en cause ce qui a été fait auparavant. Sur le volet de la prise de décision, les statuts sont à la fois bien conçus et en même temps déphasés. Par le système de vote qu’ils prévoient – la règle des deux tiers des voix – ils sont tellement contraignants qu’ils obligent à un quasi consensus. De fait, toutes les décisions reposent sur une concertation préalable. Résultat : il faut à chaque fois plusieurs années pour débloquer une décision. Nous devons trouver des solutions afin qu’à l’avenir les décisions se prennent bien plus rapidement.
« L.P.V. » – De quelle manière ?
J.-P. L. – On pourrait par exemple imaginer un système de vote qui prévoit une procédure de repli à la majorité simple (et non aux deux tiers) au 3e tour. Ceci est une illustration. Il peut y en avoir d’autres. Mais, d’une manière ou d’une autre, il faut pouvoir sortir de l’ornière à un moment donné. Le mécanisme du consensus était bon lorsque les gens de la région se connaissaient bien et que les décisions étaient prises par quelques personnes. Aujourd’hui, c’est un peu plus compliqué. L’interprofession se compose de viticulteurs et de négociants, et il faut bien tenir compte des sensibilités des uns et des autres pour fonctionner en parité, tels que les textes le prévoient. Effectivement, qui dit majorité dit minorité et possibilité que cette minorité ne soit pas satisfaite. Néanmoins, je pense qu’en ce qui concerne les décisions prises en assemblée plénière nous devrons aller vers un mode de fonctionnement plus majoritaire que consensuel.
« L.P.V. » – Peut-on dire que le rattachement de l’X.O au compte 10 ou que la mise en bouteille dans la région délimitée font partie des blocages imputables au mécanisme de décision ?
J.-P. L. – Sans doute en partie. Cependant, même à ce niveau-là, les choses se débloquent peu à peu. En fait, le principe du rattachement du compte 10 à l’X.O est acquis depuis 1999. Mais un télescopage de date a retardé le processus. Car le 27 décembre de la même année, une loi fiscale abolissait les chais jaunes d’or et l’administration a conseillé à l’interprofession de suspendre le dossier en attente d’une assise juridique solide sur les comptes d’âge. C’est fait aujourd’hui avec l’arrêté des Douanes sur les chais de vieillissement. Ce texte va permettre entre autres d’officialiser la création des comptes 9 et 10, au 1er avril 2004 pour le compte 9 et au 1er avril 2005 pour le compte 10. « Maintenant que la réglementation existe, la balle est dans votre camp » nous a dit l’Administration. Il nous appartient donc de discuter en interne pour savoir comment « mettre en musique » ce rattachement du compte 10 à l’X.O. Tous les opérateurs sont à priori d’accord sauf à prévoir une période de transition. Certains penchent pour une période longue, d’au-tres moins longue. C’est de cela dont nous devrons débattre dans les prochains mois.
« L.P.V. » – Pour rester dans le même domaine, la mise en bouteille dans la région délimitée fait également partie des sujets récurrents.
J.-P. L. – Le sujet est important mais il n’est pas simple. En l’occurrence nous sommes soumis à une réglementation européenne que nous devons respecter. Ceci étant, il faut bien avoir présent à l’esprit qu’à travers la mise en bouteille dans la région de production, c’est la qualité de nos Cognacs et leur origine que nous voulons préserver. Contre des problèmes d’usurpation ou de contrefaçons, nous mettons en avant la défense de l’appellation. Dans le contexte actuel, je crois que cet argument est de nature à faire avancer le dossier.
« L.P.V. » – Un chantier s’ouvre à la région, celui de l’INAO. Quelle part souhaite y prendre l’interprofession ?
J.-P. L. – L’interprofession a toujours dit qu’elle souhaitait participer activement à la réécriture du décret d’appellation. C’est déjà le cas mais lors d’une rencontre le 30 octobre dernier au ministère de l’agriculture, le directeur de cabinet du ministre nous a confirmé que l’interprofession avait une place majeure à occuper dans la rédaction de ce texte. Le directeur de cabinet a indiqué que le printemps 2004 lui semblait un bon délai pour la finalisation du texte. Ce terme nous convient parfaitement dans la mesure où nous nous étions fixés en interne le cap de mai-juin 2004. Car une fois le texte bouclé, il faudra encore un certain temps avant qu’il ne sorte véritablement.
« L.P.V. » – Dans ce processus, la création du syndicat de défense de l’appellation et surtout sa composition représente sans doute un gros « morceau ».
J.-P. L. – Cela peut aller vite. Il faut que les différentes parties prenantes, ici, dans la région, se mettent d’accord. Nous en avons déjà discuté au sein de l’interprofession et je n’ai pas ressenti d’oppositions frontales. Personnellement, je verrai bien le schéma suivant : 20 % pour les viticulteurs, 30 % pour les bouilleurs de cru, 30 % pour les bouilleurs de profession et 20 % pour le négoce, ce qui donne une majorité de 60 % aux distillateurs. Certes, le viticulteur est à l’origine de tout mais c’est bien l’eau-de-vie qui est appellation puisque le Cognac devient Cognac à la sortie de l’alambic. Il paraît donc logique que l’acte de distillation soit considéré comme la clé de l’appellation.
« L.P.V. » – On peut aussi calculer autrement et considérer que viticulture et négoce arrivent à 50/50 dans le schéma que vous suggérez.
J.-P. L. – En lui-même, ce rapport ne serait pas choquant. Quelque part, il refléterait la parité. Et puis les choses ne se traduisent pas toujours de façon aussi arithmétique. Sur des sujets de fond, les gens s’expriment bien souvent en leur nom propre et non comme représentants de tel ou tel collège. Par ailleurs, le syndicat de défense a vocation à représenter les différentes composantes d’une filière. Quand je dis bouilleurs de cru je ne fais pas référence à un syndicat des bouilleurs de cru mais au métier de bouilleur de cru, hors de toute étiquette syndicale.
« L.P.V. » – Malgré tout, ne craignez-vous pas de buter sur cette question du syndicat de défense, au cœur du système INAO ?
J.-P. L. – Pour avancer, il faut être optimiste. Nous n’avons pas le droit de perdre du temps même si, effectivement, le syndicat de défense constitue la pierre angulaire d’une appellation. D’ailleurs sur ce dossier, nous ne sommes pas seuls en cause. L’INAO devra également faire preuve de vélocité pour que les choses soient bouclées à temps, en mai-juin.
« L.P.V. » – Dans un régime de type INAO pour les vignes affectées au Cognac, la région s’est-elle mise d’accord sur ce qu’elle souhaitait en matière de gestion des excédents, au-delà du rendement de l’appellation ?
J.-P. L. – A l’interprofession comme au CRINAO, la majorité des suffrages se rassemble autour de la destruction des excédents. Tout ce qui sera produit entre le rendement Cognac et le rendement butoir ne doit pas pouvoir revenir dans le circuit des eaux-de-vie de vin.
« L.P.V. » – Ce n’est pas le cas actuellement. Les distillats tirés de la distillation de retrait de l’article 28 peuvent rentrer dans la composition des brandies.
J.-P. L. – A l’avenir, nous ne voudrons plus des distillats ! Pourquoi ? Parce que l’optique INAO va nous faire rentrer dans un système totalement différent de celui de la double fin. Des zones seront bien identifiées et, à ce titre-là, ne pourront pas jouer sur les deux tableaux. Il nous faut « border » notre appellation. C’est à la fois une sécurité économique régionale mais aussi une sécurité pour nos marques de Cognac qui, sans cela, auraient du mal à se démarquer des produits autres. Leur pérennité en tant que marques de Cognac passe par un renforcement de l’appellation. Cela me semble compatible avec un fonctionnement « léger », évitant l’ornière de la bureaucratie et des règles tatillonnes.
« L.P.V. » – Dans l’ordre des préoccupations, quelle place accordez-vous à l’agrément ?
J.-P. L. – Je crois le sujet réglé, l’unanimité s’étant faite sur l’agrément des conditions de production. Ce point soulève très peu de discussions.
« L.P.V. » – Un syndicat comme le SVBC fait de la réduction du vignoble un préalable à tout. Qu’en pensez-vous ?
J.-P. L. – Cette question appelle plusieurs niveaux de réponse. J’ai déjà dit qu’en terme de simulations, on ne pouvait pas se contenter de faire bouger un seul curseur, celui des surfaces en oubliant celui des prix. Par ailleurs, si un excédent de surfaces destinées au Cognac existe sans doute, l’expérience récente prouve que, quels que soient les arguments employés, l’ajustement du vignoble demandera du temps. Enfin, un syndicat qui déciderait de bloquer l’ensemble du processus au nom de la réduction de surface serait à mon avis quelque peu irresponsable. Je crois qu’il serait bon que Bernard Guionnet, comme il s’y est engagé, raccorde les troupes. Hors les extrêmes, il ne me semble pas détecter de divergences radicales entre le SGV et le SVBC.
« L.P.V. » – Partagez-vous le point de vue selon lequel il faut privilégier l’intérêt des « vrais » viticulteurs, ceux qui vivent uniquement de la vigne ?
J.-P. L. – C’est un fait. Des viticulteurs vivent exclusivement de la vigne et d’autres, pour des raisons diverses, personnelles ou non, ont une activité agricole importante à côté de leur atelier vignes. Je ne pense pas qu’il y ait un « peuple élu » et si des viticulteurs, quels qu’ils soient, élaborent un bon produit, ils ont leur place dans la filière. Ceci étant, nous devons écouter en priorité ceux qui dépendent à 100 % de la vigne. Maintenant, est-ce que toutes leurs revendications sont justifiées !
« L.P.V. » – L’interprofession, réunie en assemblée plénière, a voté le budget 2004 et, ce faisant, a décidé de faire progresser de 3 % la contribution globale de la viticulture dès l’an prochain. Pourquoi ?
J.-P. L. – Cette décision a été prise sur fond d’une réforme réglementaire du financement des interprofessions. La loi de finance organique du 1er août 2001 a supprimé les taxes parafiscales pour les remplacer par des CVO (cotisations volontaires obligatoires), sous la responsabilité des professionnels. En 2004, le financement du B.N. relèvera de ce dispositif et nous avons profité de ce « lifting » pour modifier les clés de répartition entre négoce et viticulture. Il nous a semblé que le mode de fonctionnement paritaire d’une interprofession justifiait d’un financement paritaire, à 50/50. Si l’on en reste au strict plan du budget de fonctionnement alimenté par la taxe parafiscale, la part de la viticulture s’élève aujourd’hui à 23 % et celle du négoce à 77 %. Toutefois, si l’on privilégie une lecture sans doute plus proche de la réalité, en ajoutant les deux CVO déjà payées par la viticulture – CVO communication et CVO arrachage – le rapport passe à 60/40, 60 % pour le négoce et 40 % pour la viticulture. Pour laisser du temps au temps et rendre les choses les moins douloureuses possibles, il a été prévu d’étaler cette réforme sur 15 ans. En valeur relative, le rattrapage annuel se traduira, pour la viticulture, par une hausse de 0,76 % et pour le négoce, par une baisse équivalente jusqu’à environ au 50/50. En valeur absolue et pour un budget en légère augmentation par rapport à l’an passé (10 millions d’euros), la contribution viticole va progresser de 3 % en 2004.
« L.P.V. » – Votre mandat de président porte sur quelle période et quelle orientation aimeriez-vous lui donner ?
J.-P. L. – Statutairement il porte sur cinq ans et si j’ai un souhait à formuler, j’aimerai que l’interprofession travaille de manière plus rapide et plus réactive. A ces deux termes, j’en ajouterai un troisième, celui de transparence. Par là, j’entends la prise en compte des intérêts du négoce et de la viticulture, à parité au sein de l’interprofession. Faisons en sorte d’obtenir une vision unifiée de ces deux composantes, trouvons l’axe qui pourra faire converger les intérêts.
« L.P.V. » – Ne craignez-vous pas les pressions qui pourront s’exercer sur vous ?
J.-P. L. – Je dirais que cette pression est inhérente à la fonction et recèle en elle-même une certaine dynamique. Il est tout à fait normal que des opinions divergentes s’expriment et que des groupes d’opinions cherchent à influencer la décision. Ensuite, il faut gérer cette pression. Je ne veux pas présumer de ma capacité à le faire. C’est le temps qui le dira. Je peux juste témoigner d’un fait : je n’aime pas que l’on m’impose les choses.
Chai de vieillissement Cognac
L’arrêté est sorti le 27-07-03
Depuis le 1er juillet 2001, la disparition de l’acquit jaune d’or au profit des titres de mouvement communautaires (DAA/DCA) avait entraîné la disparition virtuelle des chais jaune d’or, corollaires de l’acquit du même nom. Un nouvel arrêté interministériel, en remplacement du texte du 20 février 1946 sur le contrôle des âges, devait rétablir un chai de vieillissement spécifique au Cognac. Après deux ans d’attente, l’arrêté est enfin sorti. A la place du chai jaune d’or, il institue un chai identifié, doté d’un cahier des charges établi par le BNIC et approuvé par la DGDDI. La mise en œuvre du cahier des charges fera l’objet d’un développement début 2004. Dans le nouveau chai identifié, pourront cohabiter du Cognac et d’autres boissons alcooliques (auparavant, cette cohabitation ne concernait que des produits à base de Cognac). Le texte confirme le rôle de l’interprofession en matière de gestion des comptes d’âge. Par ailleurs, sont officiellement créés les comptes d’âge jusqu’au compte 10, alors que ces comptes s’arrêtaient officiellement au compte 6 (création par l’interprofession des comptes 7 et 8).