« Camus Réinventé »

22 février 2009

cyril.jpgCes trente dernières années, Camus avait fondé sa croissance sur le Duty free ou le Japon, marchés qui souffrent aujourd’hui. Depuis deux ans, le jeune PDG de la maison, Cyril Camus, et son équipe s’emploient à « réinventer Camus » autour de valeurs plus subtiles d’élégance. Objectif visé : s’implanter sur les marchés domestiques les plus dynamiques tout en continuant à cultiver le hors taxes. « Le Paysan Vigneron » Comment percevez-vous le marché du Cognac ?

Ciryl Camus – Les chiffres d’expéditions sont bons voire excellents : + 11 % sur deux ans, + 4,8 % sur l’année écoulée. Naturellement, à l’intérieur de ces chiffres se cachent de grandes disparités, entre les maisons, les pays, les désignations de ventes. A la surprise générale, les ventes de VS sont stables, chutent même de façon assez importante en Europe, tout en continuant de progresser aux Etats-Unis. La psychose qui commençait à s’installer – « On va manquer de compte 2 » – me semble dénuée de fondement. Une augmentation très forte se fait sentir sur les VSOP, aux Etats-Unis mais aussi en Asie et tout particulièrement en Chine. A l’évidence, la croissance se nourrit des marchés américain et chinois. Si on enlève ces deux pays, les expéditions ne bougent guère, à l’exception de la Russie dont le marché connaît une certaine tension. Ailleurs, la situation apparaît extrêmement stable, ce qui est d’ailleurs assez frustrant.

« L.P.V. » – Parlez-nous des deux marchés phares que sont les Etats-Unis et la Chine.

C.C. – C’est une litote de dire qu’une progression soutenue s’exerce depuis quelques années sur le marché américain. L’image du Cognac y a été rajeunie, rafraîchie tout en gardant au produit son caractère noble, aspirationnel. Le fait d’avoir intégré les codes de consommation contemporains, de réussite et de plaisir, tire beaucoup le produit en avant. En Chine, on avait pu remarquer, au milieu des années 90, une forte consommation de Cognac de la part de l’élite flamboyante, désireuse de montrer son argent. Aujourd’hui, les hausses se construisent sur un segment de consommation bien plus large, celui de la classe moyenne.

« L.P.V. » – En Chine, le Cognac doit compter avec la concurrence de plus en plus prégnante du Whisky.

C.C. – Il est toujours très difficile d’avancer des statistiques en Chine. La rumeur veut cependant que la première marque de Whisky totalise à elle seule plus de caisses que l’ensemble des Cognacs présents, alors qu’il y a cinq ans le Cognac dominait le marché. Cela ne fait malheureusement que refléter une réalité générale : le développement quelque peu hégémonique du Scotch Whisky.

« L.P.V. » – Les maisons de Cognac ont-elles les moyens de leur ambition sur ces deux marchés emblématiques ?

C.C. – Cela dépend desquelles. Des maisons « performent » et d’autres moins, soit qu’elles ne jouissaient pas au départ d’un bon positionnement sur ces marchés porteurs, soit qu’elles ne disposent pas des moyens de « suivre » en matière d’investissements. L’embellie du Cognac ne se vérifie pas d’égale manière partout. Des sociétés prennent des parts de marché à d’autres, grandissent et cela peut susciter une certaine inquiétude à terme, même s’il n’existe pas de leur part la volonté de dominer. D’ailleurs, l’inquiétude – si inquiétude il doit y avoir – porte davantage à mon avis sur un problème interne à la région : l’approvisionnement en eaux-de-vie, l’accessibilité, l’accès à la matière première pour des maisons de tailles moyennes ou grandes. Quant à la présence sur les marchés, ma foi, il revient à chacun de faire valoir ses « plus », son territoire d’expression.

« L.P.V. » – Quel est le territoire d’expression de Camus ?

C.C. – Même si nous consentons beaucoup d’efforts à nous construire des forces là où l’on n’en disposait pas, notre terrain d’expression naturel reste le Duty free et des marchés comme le Japon, la Corée du Sud, l’Asie en général. Ces marchés ont beaucoup souffert depuis le début des années 90 : guerre du Golfe, éclatement de la bulle économique, crise financière asiatique de 1997, 11 septembre, SRAS… Tout cela n’incite pas les gens à voyager ni à acheter en Duty free. Conséquence : le marché du hors taxes souffre et compte de moins en moins d’acteurs. Le fait que nous y soyons de longue date nous incite à préserver nos positions. Le Duty free reste un marché très important pour nous mais qui, à court terme, offre peu de potentiel de croissance.

« L.P.V. » – Face à cela, quelle réponse apporter ?

C.C. – Ces dernières années, nous avons pris le parti de développer une activité sur les marchés domestiques, que ce soit aux Etats-Unis, en Chine ou en Russie. Pour ce faire, nous nous sommes, quelque part, « reconstruit » en interne. Nous avons complètement changé nos équipes commerciales. Sur la vingtaine de personnes qui anime aujourd’hui nos distributeurs ou nos clients, les trois quarts ont intégré la société il y a moins de deux ans. Nous avons reformulé entièrement notre gamme produit afin de retrouver plus d’efficacité. A un moment donné, au début des années 90, notre société a largement profité d’un marché qui a pratiquement disparu aujourd’hui : celui des Japonais qui voyageaient. Ce qui faisait notre force dans les années 90 était en passe de devenir un handicap. Il fallait que notre entreprise se recentre, se reconstruise sur le courant porteur d’aujourd’hui, c’est-à-dire les ventes de Cognacs plus traditionnels, VS, VSOP, XO sur le marché domestique.

« L.P.V. » – Camus est donc une société qui se compose de gens jeunes.

C.C. – Les nouveaux venus chez nous ne sont pas forcément des jeunes gens. Ils viennent la plupart du temps de notre industrie, aussi bien celle du vin que celle du Whisky ou du Bourbon. Nous avons cherché au contraire des personnes qui avaient de l’expérience et qui pourraient, éventuellement, voir le Cognac sous des yeux un peu différents. En tout cas, ils allaient considérer l’entreprise avec un regard complètement neuf. Nous voulions introduire une coupure avec le passé, pour ne pas être tenté d’appliquer les mêmes solutions à un problème différent. Camus était très connu pour cultiver la nouveauté, créer des produits à durée de vie limitée. Tout cela est terminé. Nous avons réappris à travailler avec d’autres outils. Aujourd’hui, nous sommes sur des valeurs plus subtiles que l’innovation. La qualité et l’élégance sont les deux choses sur lesquelles souhaite communiquer la marque. Tous nos efforts depuis deux ans tendent vers ce but, tant en terme de style, de packaging, de publicité.

« L.P.V. » – Votre gamme « produits » s’en ressent-elle ?

C.C. – Je crois que nous sommes la seule grande maison, ces dernières années, à avoir complètement changé notre goût et créé une nouvelle gamme. Cette gamme, lancée en 2006, s’appelle d’ailleurs « Elégance ». A partir d’un packaging renouvelé et de coupes complètement modifiées, nous souhaitons nous inscrire dans les codes du luxe. Nos Cognacs sont moins tanniques, moins lourds, plus parfumés, plus élégants. Il s’agit d’un changement en profondeur.

« L.P.V. » – C’est un risque ?

C.C. – Pour l’instant ça va, cela se passe plutôt bien. Une quasi-unanimité se dessine pour préférer les coupes actuelles, ce qui nous fait dire que nous ne nous sommes pas trompés d’orientation. Bien sûr, il y a toujours quelques férus d’un goût particulier mais nous sommes persuadés que notre type de Cognac actuel correspond bien mieux au palais du consommateur que nous recherchons, un palais moins habitué au bois.

« L.P.V. » – Comment se comportent vos ventes ?

C.C. – Elles sont en phase ascendante et notre chiffre d’affaires augmente de façon raisonnable. Nos expéditions se constituent principalement de Cognac, sous la marque Camus mais aussi sous d’autres marques. De très loin, le Cognac représente notre activité dominante. Nous vendons également du brandy et du vin, uniquement en Duty free. Toujours en Duty free, nous proposons des alcools chinois.

« L.P.V. » – Pourquoi distribuer des alcools chinois en Duty free ?

C.C. – Nous nous sommes aperçus que, parmi la classe moyenne urbanisée, les Chinois étaient de plus en plus nombreux à prendre des vols longs courriers : 30 millions l’an passé, le plus souvent sur des « package tours ». Par contre, s’ils achetaient sans problème des cigarettes ou des cosmétiques de marques internationales, ils n’achetaient ni Cognac ni Whisky. D’ailleurs, les alcools étrangers restent très peu consommés en Chine. On estime à moins de 0,3 % leur taux de pénétration sur le marché des spiritueux. Partant de ce constat, nous nous sommes dit qu’aussi bien nous  allions tenter de développer les ventes de Cognac auprès des hommes d’affaires prenant régulièrement l’avion, aussi bien il fallait proposer aux « primo-voyageurs » se déplaçant pour le plaisir un alcool qu’ils connaissaient, en choisissant bien sûr une qualité supérieure au marché domestique.

« L.P.V. » – Dans les faits, comment avez-vous procédé ?

C.C. – Nous avons noué un partenariat de distribution, sans capital croisé, avec trois des plus grandes marques d’alcool  en Chine, commercialisant un alcool blanc à base de Sorgho, un vin de riz (vin jaune en chinois) et un vin à base de raisin. Il faut savoir que la Chine possède une tradition de vins et spiritueux au moins aussi ancienne que la nôtre, avec des sociétés très importantes. La marque de vin jaune commercialise en Chine plus de 9 millions de caisses et la marque d’alcool de sorgho 1,2 million de caisse, dont toutes les bouteilles sont vendues à un niveau de prix équivalent à celui d’un VSOP. Ces produits sont distribués sous la marque ombrelle « Spirit of China », avec une visibilité Camus sur chaque bouteille – « Selected by Camus ». Ces bouteilles sont déjà présentes dans vingt aéroports du monde entier, Paris, Helsinki, Dubaï, Singapour… y compris quelques-uns en Chine.

« L.P.V. » – Ces alcools chinois ont-ils vocation à être bus par les seuls Chinois ?

C.C. – Non bien sûr. C’est une expérience gustative assez intense, totalement nouvelle à laquelle sont conviés les palais étrangers exposés pour la première fois à ces alcools. De quoi séduire des consommateurs un peu blasés qui ont tout vu, tout bu.

« L.P.V. » – On dit que vous avez d’autres projets en Chine ?

C.C. – En effet, pour la mise en marché de nos produits en Chine, nous sommes en train de créer notre propre filiale de distribution qui s’appuiera sur un réseau de grossistes. Il reste encore beaucoup de choses à faire. Le marché chinois demeure assez complexe d’approche, marqué par une logistique difficile, beaucoup d’intermédiaires et une fragmentation de la distribution. De par sa taille, la Chine ne se réduit pas à un seul marché mais à une multitude. D’une certaine façon, il peut paraître très facile d’accès, tant il est aisé de « basculer » deux ou trois containers à quelques distributeurs de zones urbaines très enthousiastes. Mais la complication débute au stade de la deuxième commande.

« L.P.V. » – Pensez-vous disposer de quelques cartes en Chine ?

C.C. – Camus possède sans doute certains atouts en Chine qui devraient permettre à la marque de faire du bon travail. Si nous n’utilisons pas nos alliances avec les trois grands opérateurs chinois, c’est vrai qu’en terme d’accès au marché, le « trade » perçoit Camus avec un intérêt différent. La PME que nous sommes est considérée avec plus de respect. Cela dit, je crois que le meilleur atout en notre possession est d’investir maintenant. Notre marque n’a pas été pionnière en Chine et, paradoxalement, je crois que c’est une chance. Devant un marché en phase exponentielle, il vaut mieux arriver avec une image vierge. Cela offre l’opportunité de se positionner tel qu’on l’entend, sans être conditionné par le poids du passé. Des marques installées depuis 30 ou 40 ans sur un marché auront beaucoup de mal à faire évoluer leur image, leur positionnement prix. On le voit au Japon où Hennessy, Rémy Martin, Camus ont été associés aux belles années. Les clients conservent une représentation des marques qui ne colle plus aux tendances actuelles. C’est un peu « boulet ».

« L.P.V. » – Le fait que vous parliez chinois est-il un « plus » ?

C.C. – Naturellement, cela facilite le dialogue. Mais plus que de parler chinois, c’est le fait que je m’implique personnellement qui change un peu les choses. C’est très important d’être présent sur les marchés.

« L.P.V. » – Comment vivez-vous l’effet taille ?

C.C. – Par rapport aux grandes maisons, une société moyenne souffre d’un handicap, c’est certain. Les ressources sont quand même limitées et les marchés s’avèrent de plus en plus difficiles d’accès. Cela oblige à faire des choix. On ne peut pas tout faire en même temps alors qu’énormément d’opportunités se présentent. Ceci étant, quand on dispose d’un peu moins de ressources, on essaie de les optimiser, de mieux cibler la communication, les messages, pour que chaque dollar investi soit le plus efficace possible.

« L.P.V. » – A l’heure de la concentration, une PME a-t-elle les moyens d’exister dans le secteur des spiritueux ?

C.C. – On y arrive. Les grands groupes ne sont pas forcément très stables. Par contre, à l’intérieur de ces groupes, les marques elles-mêmes disposent d’un environnement plus favorable à leur développement.

« L.P.V. » – En matière d’approvisionnement d’eaux-de-vie, comment cela se passe-t-il ?

C.C. – Nous sommes sur la même formule de contrat de bonne fin depuis dix ans. Chaque année, un viticulteur sous contrat de bonne fin chez nous sait quelle quantité nous allons lui acheter, la date à laquelle sa marchandise partira en compte 2 ou compte 4 et le prix payé.

« L.P.V. » – Comment évoluent vos prix d’achat ?

C.C. – Ils ont augmenté d’un peu plus de 2 % l’an dernier et vont progresser d’un peu plus de 3 % cette année. Nos prix évoluent à la mesure de nos capacités. Un delta existe avec le prix des grandes maisons mais qui a tendance à s’amenuiser très largement quand on prend en considération le fait que toutes les eaux-de-vie de bonne fin que nous achetons sont stockées chez nous. Nous distillons les vins et stockons les eaux-de-vie à un prix extrêmement raisonnable par rapport à ce qui se pratique dans la région. Une partie des achats se fait en vin pour payer la distillation et, côté stockage, le viticulteur n’a pas à payer l’ORECO. Quand on met tous ces éléments bout à bout, on s’aperçoit qu’en terme de revenu net, il n’y a pas de désavantage à travailler avec une maison comme la notre. Cette année, nous avons d’ailleurs le plaisir d’accueillir un certain nombre de nouveaux partenaires, notamment des jeunes viticulteurs, comme nous nous étions engagés à le faire auprès des instances représentatives. En tant que négociant, cela fait plaisir de pouvoir enfin commencer à aider un peu l’installation.

« L.P.V. » – Camus pratique un approvisionnement multi-crus.

C.C. – En effet nous considérons que chaque cru a quelque chose à apporter au Cognac. Dans notre politique d’approvisionnement l’assemblage prime. C’est pour cela que nous payons le même prix en Grande Champagne ou en Bons Bois. Tous les crus nous intéressent même si, historiquement, nous nourrissons une petite préférence pour les Borderies.

« L.P.V. » – Est-ce que l’augmentation des prix sur le marché « spot » vous gêne ?

C.C. – Une bonne part pour ne pas dire une très grosse part de notre approvisionnement se réalise aujourd’hui par les contrats de bonne fin. Et nos achats par ce canal ont tendance à augmenter pour prendre en compte le rattachement de l’XO en compte 10. Donc nous sommes moins dépendants du marché libre. Ceci dit, existe toujours un volant d’affaire sur ce marché. Je crois que le mécanisme interprofessionnel mis en place en février 2005 pour faciliter l’ajustement de la production aux sorties est quelque chose de très sain. Cependant, je constate depuis le mois de mai 2005, la création d’une sorte de psychose autour du manque supposé de comptes 2. A regarder les chiffres à tête reposée, il n’y a pourtant pas pénurie. Les comptes 2 existent, soit à la viticulture, soit chez les négociants. Mais cette perception de manque joue certainement sur les prix. Pour combien de temps et pour quel impact ?

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