Transformer Les Inconvénients En Avantages

10 mars 2009

Président du Syndicat des Côtes-de-Blaye, Christophe Terrigeol habite cette zone frontalière du nord-Blayais, à égale distance de Cognac et de Bordeaux. Pourtant la région a choisi son camp en misant sur l’appellation Bordeaux, sans le poids du passé et avec l’esprit de conquête des nouveaux convertis. Face à la crise, les Côtes-de-Blaye arrivent à tirer leur épingle du jeu. « Le Paysan Vigneron » – Racontez-nous votre pays.

terrigeol.jpgChristophe Terrigeol – Nous sommes situés dans une région à la fois loin de Cognac et loin de Bordeaux, à 60 km dans les deux cas. Vu de Cognac ou de Bordeaux, nous sommes au « bout du monde ». D’ailleurs ce n’est pas pour rien que notre pays s’appelle la « Gabaille », le pays de nulle part. Etre à cheval sur deux cultures, deux pays – la Saintonge boisée et le Bordelais – forge une identité particulière. Dans tous les cas, cela vous oblige à faire d’un inconvénient un avantage, à prouver ce dont vous êtes capable.

« L.P.V. » – Qu’est-ce à dire ?

C.T. – Au milieu des années 80, les édiles nous encourageaient plutôt à toucher la prime d’arrachage qu’à persévérer dans la carrière de viticulteur. Il faut dire qu’à l’époque, 80 % des exploitations d’ici étaient des exploitations de polyculture élevage avec des vaches à lait, des vaches à viande, un peu de céréales, un peu de vignes. Je me souviens qu’au Pas-d’Ozelles, le petit village où j’habite, les troupeaux se croisaient matin et soir devant la maison, rentrant du marais tout proche. Les vignes produisaient essentiellement des vins de table, héritage des années 50-60 où ces vins servaient de vins d’assemblage et de coupage aux vins d’Algérie. La région fourmillait alors de petits négociants. Les belles maisons datent de la période d’avant-guerre, époque faste pour le « vin de comptoir ». Pourtant, à un moment donné, il fallut bien se rendre à l’évidence : les vins de table se cassaient la figure. Le même constat avait déjà valu à Bordeaux d’accomplir sa mutation dans les années 70 (en 1960 le vignoble bordelais comptait 30 000 ha d’AOC et 90 000 ha de vins de table) et à l’Entre-Deux-Mers de reconvertir le blanc en rouge. Ici, la proximité des Charentes avait différé le phénomène. Le Cognac jouait comme recours. Mais en 1980 le marasme affectait aussi le Cognac. Nous n’avions plus le choix.

« L.P.V. » – Comment s’est passée la reconversion ?

C.T. – Dans le nord-Blayais, le vignoble était complanté à 90 % d’Ugni blanc. Cela faisait sourire tout le monde à Bordeaux. C’est d’abord et avant tout une volonté de développement du territoire qui guida la restructuration. Cette région qui ne possédait pas de tradition viticole d’AOC alla chercher les meilleurs conseils auprès des techniciens, des œnologues bordelais. Nous ne savions pas trop où nous allions, nous ne connaissions pas trop nos sols viticoles mais nous savions que le meilleur terroir viticole ne vaut rien s’il n’y a pas de travail derrière. L’effeuillage, les techniques de hauteurs de palissage apparurent ici dès 1985, avec les cuma de drainage et les différentes formes d’entraide. Tout le monde joua le jeu de la vulgarisation, chambre d’agriculture, centre œnologique, ADAR, élus… Pourtant, dans la mémoire régionale, un homme fut plus précurseur que les autres, c’est James Espiau, président fondateur de la Cave des Hauts de Gironde, un grand monsieur. M. Audouy, du centre œnologique de Saint-Savin, fit également beaucoup pour la région. Bientôt les coteaux se couvrirent de vignes rouges. L’émulation gagnait les uns les autres. Le voisin plantait, je plantais. D’un point de vue administratif, le découpage sommaire des AOC des années 36-37, non pas parcellaire mais communale, nous valut de pouvoir produire les appellations Bordeaux et Premières Côtes-de-Blaye. En deux décennies, la région accomplit un bond énorme. Ne subissant pas le poids du passé, elle avait tout à gagner et tout le monde s’y est mis.

« L.P.V. » – Le vin ainsi produit, il fallait le vendre.

C.T. – Bordeaux, c’est mondialement connu. Mais pour faire découvrir les Premières Côtes-de-Blaye, il fallait « se bouger ». Le négoce n’allait pas le faire à notre place. Sur le créneau des ventes en vrac, la Cave des Hauts de Gironde permit de structurer l’offre avec des produits de qualité élevée. A la fin des années 80, beaucoup de viticulteurs partirent sur les routes, à l’assaut de la clientèle particulière, écumant les foires aux vins, les salons. Si Blaye jouit d’une certaine notoriété, elle le doit à cette somme d’initiatives. Aujourd’hui, environ la moitié des vins de l’appellation se commercialise en bouteilles, ce qui explique que la région ne s’en sorte pas trop mal, avec un assez bon rapport qualité/prix. Cependant, nous devons veiller à ne pas nous faire dépasser par les autres, les Médoc, les Saint-Emilion. Traditionnellement, les Côtes-de-Blaye trouvaient leur place entre le prix des Bordeaux et celui des Médoc. Mais face à la chute des prix des Bordeaux et le tassement des prix des Médoc, il ne reste plus beaucoup de marge pour nous, vins intermédiaires. Quand, sur un marché, on se retrouve plus cher qu’un Médoc ou qu’un Saint-Emilion, fatalement, le consommateur se pose des questions, le Médoc étant tout de même plus connu qu’un Côtes-de-Blaye. Il faut pouvoir faire goûter le vin et savoir faire passer le bon message.

« L.P.V. » – Dans quelle mesure la baisse du prix du vrac impacte-t-elle le prix de la bouteille ?

C.T. – A l’évidence, la baisse du vrac a rattrapé tout le monde. Un prix du tonneau bas exerce une pression sur les ventes en bouteilles. La concurrence se fait plus rude. Nous sommes plus nombreux à jouer des coudes sur les marchés. On ne peut pas monter les prix comme on pouvait le faire il y a quelques années. Il faut travailler d’un peu plus près le prix de revient, tout en poursuivant les investissements de qualité : qualité du vignoble, qualité de réception de la clientèle…

« L.P.V. » – Vous-même pratiquez la vente directe.

C.T. – C’est l’histoire de la famille qui, à un moment donné, a conféré l’orientation du chai particulier. Mon grand-père avait commencé à livrer en coopérative puis ça n’a pas marché. Paradoxalement, nous avons débuté la vente directe par le Pineau des Charentes, dont personne ne voulait dans les années 80-82. L’exploitation comptait alors 15 ha de vin de table côté Charentes, 2 ha de vins rouges et 5 ha d’Ugni blanc côté Bordeaux. Mon père a commencé à faire les salons, à élargir sa gamme. Sur nos 2 ha de vins rouges, nous vendions en 1988 15 000 bouteilles. Pas de quoi faire rêver les foules ni le banquier ! Petit à petit, grâce aux droits nouveaux, aux replantations, aux rachats, nous avons spécialisé et agrandi l’exploitation viticole. Nous exploitons aujourd’hui 50 ha de vignes en Bordeaux, dont 27 en rouge et 23 en blanc, cépages Sauvignon et Muscadelle. Personnellement, j’ai toujours cru au blanc, même si nous rencontrons quelques difficultés aujourd’hui. Le nord Gironde jouit d’un réel potentiel sur ce type de vin.

« L.P.V. » – Quelles sont les attentes du consommateur ?

C.T. – Je ne vous apprendrai rien en disant que l’on ne produit pas du vin pour se faire plaisir mais pour qu’il soit bu. Il ne faut pas se dire « je fais ça et je vais trouver le client » mais plutôt quel type de client je recherche et quel type de vin lui apporter. En 1998, le manque de positionnement du Blayais lui a valu d’aborder le marché sans préjugés. Ce qui pouvait apparaître comme un inconvénient s’est finalement révélé une force. Et puis la typcité de Bordeaux colle assez bien aux canons actuels du marché. Cette typicité, quelle est-elle ? Le Bordeaux, c’est un vin qui présente du fruité, de la rondeur et pas beaucoup d’alcool. Cette caractéristique, il la doit à sa situation sur le 45e parallèle. En Argentine ou au Chili, la maturité gustative des raisins s’obtient à un degré alcoolique bien plus élevé. Ici les raisins sont mûrs à 12,5-13 % vol., ce qui donne les vins souples et fruités appréciés des consommateurs.

« L.P.V. » – Ce discours, vous le tenez à vos clients ?

C.T. – C’est la force de la vente directe de pouvoir se rapprocher du client final, avec un investissement personnel fort. Des salariés d’entreprises, type coopérative ou négoce, déploieront un investissement totalement différent. Je ne dis pas moins important mais différent. Toutes les attentes s’expriment sur un marché. L’attente pour un produit de masse, standard. La marque sert alors de référence et fidélise le client qui n’a pas envie de se casser la tête. Et puis il y a les gens curieux de nature, qui représentent peut-être 20 % de la population. C’est notre niche à nous caves particulières, notre zone de chalandise qui nous permet de faire ici ce qui ne peut pas se faire ailleurs. La proximité avec le client nous amène à lui tenir le discours non pas qu’il veut entendre mais qu’il peut comprendre. C’est important cette relation avec le client. Il faut se mettre à sa portée. Je ne suis pas loin de penser que la grande surface a eu pour effet d’éloigner le producteur du consommateur, en lui faisant perdre la connaissance du produit. Cet aspect n’est peut-être pas totalement étranger à la crise que nous traversons.

« L.P.V. » – Dans ces conditions, quel rôle assignez-vous au négoce ?

C.T. – Plutôt que se battre pour vendre 6 bouteilles en France ou à l’export proche à la place de la coopération ou de la viticulture, il ferait mieux de s’investir sur les destinations lointaines, Etats-Unis, Chine, Inde… Cognac a remporté la bataille du marché mondial en se regroupant. Si le négoce bordelais ne se réveille pas, nous sommes perdus.

« L.P.V. » – En tant que président du Syndicat des Côtes-de-Blaye, comment voyez-vous l’avenir ?

C.T. – Le développement n’est pas une fatalité. Il doit naître de nos rangs. Nous sommes en train de mettre en place un projet d’association qui regrouperait les Côtes : Côtes-de-Castillon, Côtes-de-Franc, Premières Côtes-de-Bordeaux, Côtes-de-Blaye… et peut-être les Côtes-de-Bourg. En fait il s’agirait de créer une appellation commune « Côtes-de-Bordeaux », tout en gardant les localisations, Castillon, Franc, Blaye… comme autant de prénoms accolés au nom de famille. Les clients n’identifient pas toujours exactement nos appellations. Par contre Bordeaux, ils connaissent !

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