Une fois le vin tiré,il faut le boire

31 mars 2025

La Rédaction

Le secteur viticole français traverse une période de turbulences sans précédent. Entre les tensions commerciales, les pressions environnementale, climatique et normative, ou encore la mutation des attentes des consommateurs et défis environnementaux, la filière doit plus que jamais s’adapter et innover pour préserver son avenir. Alors que derrière chaque bouteille se cachent des milliers d’emplois, plus de 70 000 rien que pour le bassin des Charentes, mais aussi des savoir-faire et un patrimoine pluriséculaire, les inquiétudes sont grandes. Un oeil au bout du rang, un oeil au bout du monde, les producteurs se crispent face aux menaces qui se multiplient, tous confrontés au constat d’un équilibre (trop) fragile de leur filière, pourtant secteur clé de l’économie française.

Toutes les doctrines, toutes les écoles, toutes les révoltes n’ont qu’un temps

Comme nous en avons déjà fait mention à plusieurs reprises, si la situation d’interdépendance entre les Etats du globe était la norme que tous, vivants, avions connue jusqu’à ce jour, il faudra désormais compter sur un monde plus cloisonné entre des zones d’influence différentes, où Américains et Chinois sont prophètes en leur pays et auprès de leurs alliés. Le politique prend le pas sur l’économie et s’impose à tous. Dans ce contexte, et alors que les économies traditionnellement dominantes font face à des défis internes de croissance et de cohésion sociale, des puissances émergentes commencent à revendiquer leur place sur l’échiquier mondial. Une transition de puissance remettant en question les anciens équilibres et exigeant une réévaluation des stratégies économiques et commerciales globales. Alors que la globalisation sans entrave semble céder la place à une ère de fragmentation économique et politique, des questions sur l’avenir du commerce international et la résilience des chaînes d’approvisionnement mondialisées se posent, exigeant des entreprises, des filières et des Etats une plus grande agilité et une réflexion stratégique renouvelée.

La filière Cognac devra-t-elle boire le calice jusqu’à la lie ?

De Napoléon Ier aux dîners d’État où le cognac accompagne encore aujourd’hui les grandes négociations, l’eau-de-vie charentaise aura toujours été un marqueur du savoir-faire français sur la scène internationale. De toutes les tables et de tous les traités, le cognac s’est imposé comme une monnaie d’échange subtile autant qu’utile dans les relations entre la France et ses partenaires commerciaux. Pourtant, face aux mesures antidumping imposées par la Chine ayant déjà provoqué une chute de 60 % des exportations, mais aussi à la menace d’une surtaxe de 200 % aux États-Unis, les producteurs peinent à obtenir des garanties de la part des autorités françaises et européennes. Ainsi et alors que la filière traverse une crise, peut-être LA crise, le cognac semble, si ce n’est abandonné, à tout le moins vainement accompagné par ceux vantant tant son prestige. A l’heure où nous bouclons ces lignes, les deux échéances couperet du mois d’avril ne sont pas encore passées… La filière aura-t-elle arraché un report de la procédure en Chine au 5 juillet ? A quel niveau les taxes Trump se situeront-elles ? Nous ne nous risquerons pas à lire dans le marc de raisin tant les enjeux sont forts et restons, comme tous, suspendus à la prise d’actes positifs et, nous l’espérons, de décisions qui le seront tout autant pour l’avenir de la filière et de son écosystème.

Des ventes en repli, une viticulture qui trinque

Face à la crise qui frappe la filière, les maisons de négoce vont, en cascade, réduire leurs achats en volume. Cette tendance pressentie depuis un moment déjà se confirme aujourd’hui progressivement au fil des réunions organisées par chacune. Les baisses varieront selon les contrats et les stratégies propres à chaque maison. Plusieurs facteurs entreront en jeu : les nouveaux contrats, les clauses de variabilité intégrées, ainsi que la fidélité des viticulteurs à une même maison. Certains producteurs pourraient ainsi être mieux préservés que d’autres en fonction de leur historique et de leur engagement. Par ailleurs et si le volume d’achat sera réduit, parfois même divisé par deux, il se murmure que les prix d’achat devraient être quant à eux maintenus, à tout le moins pour la récolte 2025.

Une filière viticole en quête d’équilibre

Si le cognac est en première ligne, l’ensemble de la filière viticole française subit également de lourdes pressions. Consciente de la nécessité de repenser son modèle, la filière viticole mise sur plusieurs axes de transformation. A titre d’exemple, le plan stratégique Cap Vins, élaboré par le Comité national des interprofessions des vins (CNIV) en lien avec l’ensemble des instances représentatives de la filière, ambitionne de structurer l’offre, de stimuler l’innovation et d’adapter la production aux nouvelles attentes du marché. Parmi les pistes explorées figurent la diversification des produits, le développement des vins plus légers et moins alcoolisés, ainsi que la mise en avant de pratiques durables et respectueuses de l’environnement. Au niveau européen, le Groupe à Haut Niveau mis en place par la Commission européenne porte ses fruits et de nouvelles mesures en faveur du secteur viti-vinicole européen devraient voir le jour. Au titre des éléments amenés à évoluer figurent nombre de sujets sur lesquels la filière porte aujourd’hui des attentes fortes. L’amélioration des outils de régulation des marchés et la révision de la durée de vie des autorisations de plantation figurent en tête de ces derniers, pour offrir aux viticulteurs un cadre plus stable et des perspectives à long terme, prenant en compte les mutations du marché mondial.

De la mutation à l’adaptation : l’IA un levier d’adaptation pour les AOC ?

Du vignoble aux algorithmes, quel rôle pour l’IA dans les métiers de la viticulture ? Dans un contexte où la filière viticole doit sans cesse s’adapter aux défis climatiques, économiques et sociétaux, l’intelligence artificielle apparaît comme une opportunité à explorer. Gestion des parcelles, optimisation des rendements, traçabilité renforcée ou encore simplification des démarches administratives : autant de domaines où cette révolution pourrait accompagner les vignerons. Le congrès de la CNAOC 2025, qui mettra à l’honneur les vins de liqueur et le Pineau des Charentes, consacrera une table ronde à ces possibles intégrations qui ne vont pas sans questionnements. Hasard du calendrier, ce colloque organisé le 17 avril coïncide avec le colloque organisé par l’université de Poitiers sur son site de Segonzac sur le même sujet. Quelles sont les limites de l’IA ? Quels risques faut-il anticiper ? Comment préserver les savoir-faire traditionnels tout en évoluant avec son temps ? Autant de questions encore aujourd’hui nébuleuses mais sur lesquelles il est pourtant nécessaire d’apporter des éclairages concrets, et à court terme pour viser une adoption cadrée, à tout le moins raisonnée, de l’IA au service des AOC.

Une adversité révélatrice de combativité

Alors que la filière viticole affronte des défis majeurs et si le climat est à ce jour un peu maussade, les producteurs ne manquent ni de ressources, ni de détermination pour faire face. Mais à côté de leur nécessaire résilience, l’engagement des organisations professionnelles et le soutien des pouvoirs publics seront les clés pour traverser la période de turbulences et bâtir un modèle plus durable et compétitif. N’en déplaise à certain, le vin est bien plus qu’un simple produit de consommation : il incarne un art de vivre, une identité culturelle et un savoir-faire transmis de génération en génération. Plus que jamais, il appartient à tous les acteurs de la filière de défendre cet héritage et de le faire évoluer pour qu’il continue à rayonner en France et à l’international.

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