le tunnel de pulvérisation pneumatique Jean Guerbé

23 décembre 2011

La Rédaction

Réaliser des traitements de meilleure qualité en faisant preuve de réalisme économique est un challenge qui intéresse tous les viticulteurs. Jean Guerbé, qui exploite une propriété d’une trentaine d’hectares à Segonzac, a relevé ce défi en décidant de se faire fabriquer un tunnel de pulvérisation pneumatique sur mesure. Faute d’avoir trouvé un produit commercial correspondant à ses attentes, il a eu l’idée d’intégrer un flux de pulvérisation pneumatique à l’intérieur d’un tunnel confiné. Après deux campagne d’utilisation, ce pulvérisateur innovant donne satisfaction.

p472.pngJean Guerbé est un viticulteur qui cherche en permanence à optimiser l’organisation des travaux sur sa propriété et dans son activité de prestataire de service en travaux viticoles.

Depuis plusieurs années, il avait la volonté de s’engager dans une démarche de production plus respectueuse de l’environnement, ce qui l’a amené à s’intéresser aux méthodes de culture bio. Les contacts avec plusieurs responsables de propriétés ayant des surfaces conséquentes conduites en bio ont fini de le convaincre.

Ses principales interrogations résidaient dans la faisabilité concrète d’aborder la gestion des traitements et du travail du sol de manière très différente sur 30, 40 ou 50 ha de vigne. Jean Guerbé a en permanence le souci de réaliser les travaux en recherchant le meilleur compromis entre l’efficacité technique et le réalisme économique. Le fait de s’engager dans une démarche de lutte bio signifiait que, lors de la mise en œuvre de la protection, il faudrait désormais se passer de fongicides à longue rémanence et gérer d’une façon très différente le positionnement de chaque intervention. Le raisonnement de la lutte contre toutes les maladies cryptogamiques, et tout particulièrement celles du mildiou et de l’oïdium, est abordé en mettant en œuvre des stratégies de lutte préventives et en s’appuyant sur des apports modérés de cuivre et soufre. Une telle approche nécessite de pouvoir intervenir rapidement dans les parcelles, si la pression de parasitisme devient préoccupante.

Une pulvérisation plus efficace pour « réussir en bio »

p472.pngAu niveau du mildiou, l’utilisation du seul fongicide homologué est encadrée par une limitation de la dose annuelle de cuivre métal de 6 kg/ha. La quantité de cuivre annuelle peut être modulée sur une période de 5 ans pour atteindre au maximum 30 kg. Cette souplesse d’utilisation permet de prendre en compte les variations de pression parasitaire. Jean Guerbé a considéré que la réussite d’une stratégie de protection bio devait s’accompagner d’une réflexion différente au niveau de la pulvérisation : « Auparavant, les traitements sur la propriété étaient effectués avec un pneumatique Super Airflo classique équipé de pendillards. Cet appareil fonctionnait correctement mais j’avoue que ce principe de pulvérisation ne me satisfaisait pas pleinement. L’engagement dans la lutte bio allait m’obliger à repenser totalement le suivi du parasitisme et la gestion des traitements. Le fait de ne pouvoir utiliser que des fongicides préventifs, du cuivre et du soufre, m’a poussé à rechercher plus d’efficacité au niveau de la pulvérisation. J’ai regardé de près toutes les nouvelles fabrications et aucune technologie ne me convainquait réellement. La seule solution intéressante sur le principe était les panneaux récupérateurs, mais toutes les fabrications étaient équipées de rampes à pression. Or, dans les ugni blancs, un flux de pulvérisation puissant est nécessaire pour localiser les produits dans le cœur de la végétation. Aucun produit commercial ne répondait à mes attentes. Alors, progressivement, j’ai commencé à imaginer qu’il allait peut-être falloir associer les rampes pneumatiques du Supair Airflo à un ensemble de récupération de bouillie. »

Les tunnels de
pulvérisation LIPCO
utilisés depuis longtemps en Allemagne

L’idée s’est formalisée lors d’une rencontre avec Claude Maunais et Jean-Christophe Maingard, deux artisans en machinisme viti-vinicole de Segonzac. La présentation des tunnels de pulvérisation LIPCO, un équipement fabriqué en Allemagne, a beaucoup intéressé ce viticulteur dans sa recherche d’une pulvérisation plus efficace. La principale particularité de ce matériel est liée à la nature du matériau utilisé pour la fabrication des tunnels, le polyéthylène, qui est à la fois rigide, peu cassant, lisse et léger. Le constructeur a fabriqué de grands tunnels (2,20 m de haut et 1,25 m de largeur de paroi) ayant une forme incurvée qui enveloppe bien la végétation des rangs de vigne. Cela permet à la fois de limiter considérablement les phénomènes de dérive en début de végétation et d’accroître les performances en matière de taux de récupération. Leur base conique permet de recueillir les quantités de bouillie récupérées qui sont pompées par deux hydro-injecteurs. Un châssis extensible grâce à des vérins hydrauliques supporte les quatre panneaux. La fixation des panneaux sur le châssis est effectuée grâce à un gros silentbloc qui confère à chaque élément une capacité d’effacement intéressante en cas de choc avec le palissage. A l’intérieur, une rampe de pulvérisation classique a été prévue sur toute la hauteur du panneau. En Allemagne, les tunnels de pulvérisation LIPCO sont utilisés dans les vignes et les vergers sans adjonction d’air pour assurer la dispersion du flux de pulvérisation.

Un pulvérisateur « sur-mesure » associant un tunnel confiné à un flux pneumatique

J. Guerbé a été conquis par la conception des tunnels LIPCO qu’il a souhaité associer à l’ensemble cuve-turbine du Super Airflo. Son idée était d’intégrer dans le tunnel un flux de pulvérisation pneumatique pour bien explorer la végétation en pleine saison. Les Ets Maunais ont donc construit ce pulvérisateur sur-mesure au cours de l’hiver 2008. L’appareil se compose de deux éléments, un tunnel de pulvérisation installé sur le trois points du tracteur à l’arrière duquel est attelé un module 1 500 l Super Airflo. L’ensemble de l’équipement a une longueur d’environ 5 m mais l’articulation centrale du timon permet de faciliter les manœuvres en bout de rang. Des tournières de 6,50 m sont nécessaires dans des vignes à 3 m pour reprendre les rangs suivants sans manœuvre. La turbine alimente quatre sorties d’air qui sont connectées à chaque tunnel par des gaines souples de 120 mm. A l’intérieur de chaque tunnel, un tube inox de gros diamètre (implanté verticalement à l’avant) supporte quatre diffuseurs d’air Airmist Berthoud. Une plaque inox protège les diffuseurs d’éventuels chocs lors du travail. Le système de filtration des quantités de bouillie récupérées s’avère efficace, mais il est nécessaire de nettoyer les filtres à chaque remplissage. Les phénomènes de mousse générés par les indro-injecteurs sont maîtrisés par l’emploi de produits anti-mousse. L’autre spécificité est que l’appareil puisse s’adapter très facilement à des configurations de vignes différentes, des vignes palissées de 2,50 à 3 m, des arcures hautes non palissées et des cordons. La conception d’origine du châssis supportant les tunnels LIPCO avec un principe d’élargissement hydraulique performant offre des plages de réglages suffisantes. La puissance absorbée par cet appareil correspond à celle demandée par un gros pulvérisateur pneumatique. Le seul véritable sujet d’inquiétude concernait l’encombrement et le poids cumulé de la cellule de pulvérisation (450 kg) du module pneumatique 1 500 l, lors de l’utilisation dans des situations de coteaux.

être attentif lors des manœuvres en bout de rang

Les premiers essais du tunnel de pulvérisation ont eu lieu au printemps 2010 et quelques modifications ont été effectuées pour le rendre pleinement opérationnel. Le principal sujet d’inquiétude de J. Guerbé et de ses chauffeurs concernait la conduite du pulvérisateur, surtout lors des manœuvres en bout de rang. La présence sur la propriété de coteaux ayant des pentes respectables amplifiait ces craintes. En plus, la proportion importante de vignes à 2,50 m ne permettait pas d’envisager de travailler avec des tracteurs standards. L’utilisation d’un tracteur fruitier de forte puissance, un Fendt Vario de 110 cv, facilite la conduite en raison de ses performances de motricité. J. Gerbé ne cache pas que la conduite de ce pulvérisateur doit être confiée à un chauffeur attentif et sérieux : « L’utilisation de l’appareil dans des situations planes ou légèrement pentues ne pose aucun problème mais, dans les coteaux difficiles, cela peut paraître plus impressionnant compte tenu de la longueur et du poids du matériel plein. Une fois engagé dans les rangs, le pulvérisateur suit facilement le tracteur et même dans les dévers, notre tracteur tient la stabilité de l’ensemble. C’est sûr que lors des manœuvres en bout de rang c’était un peu impressionnant au départ mais, après quelques heures de conduite, on maîtrise mieux les choses. Il ne faut pas prendre de risques inconsidérés. Dans les parcelles délicates, on y passe quand le pulvérisateur est presque vide. Cette année, j’ai fait monter un système de freinage hydraulique sur le pulvérisateur pour améliorer la sécurité. La situation des deux tunnels de pulvérisation sur le trois points du tracteur facilite l’engagement de l’appareil dans les rangs. Le chauffeur a une bonne visibilité sur le positionnement des éléments de pulvérisations. Néanmoins, le pulvérisateur doit être utilisé avec un tracteur possédant à la fois une bonne stabilité, de fortes capacités de motricité et une puissance moteur suffisante. »

Une pulvérisation plus efficace qui engendre 30 à 40 % d’économie de produit

Les conditions d’utilisation assez intensives du pulvérisateur sur le vignoble allaient-elles être compatibles avec la recherche d’efficacité de pulvérisation. Ce viticulteur souhaitait traiter 25 à 30 ha par jour, d’où l’obigation de rouler à des vitesses d’avancement assez élevées en pleine saison. J. Guerbé a demandé à son distributeur de produits phytosanitaires, Denis Huré, de tester l’efficacité de son nouveau pulvérisateur dans plusieurs types de vignes : « Quand on regardait fonctionner le pulvérisateur on avait le sentiment que le flux de pulvérisation était vraiment concentré sur les rangs. La dérive est faible même quand il y a du vent. Au départ, on roulait à 7 km/h et la qualité des tests de pulvérisation nous a incités à rouler un peu plus vite. Les résultats des essais avec les papiers hydro-sensibles nous ont permis de caler les vitesses d’avancement et les débits/ha. Dans les vignes à 2,50 m, on applique 106 l/ha de bouillie, 95 l/ha dans les 2,80 m et 89 l/ha dans les 3 m. Avec le Super Aifrlo équipé de pendillards, les pertes de flux de pulvérisation au sol et dans l’atmosphère étaient beaucoup plus importantes alors qu’avec notre nouvel appareil, la pulvérisation est beaucoup plus localisée sur la végétation. La vigne est mieux traitée sur toutes les faces de rang et les pertes par dérive sont minimes. Visuellement, j’ai le sentiment que l’on met plus de produit sur les feuilles et les raisins. D’ailleurs, depuis deux ans, nous avons systématiquement diminué les doses de 15 % tout au long de la campagne. L’autre avantage du matériel réside dans la récupération de produit. En tout début de saison, le niveau de récupération de bouillie est supérieur à 50 %. Aussitôt les relevages, il se situe autour de 30 % et, à partir de fin juillet, la récupération de bouillie n’excède pas 10 %. En pleine saison et à des vitesses élevées (supérieures à 8 km/h), le niveau de récupération devient très faible. Au cours des deux dernières campagnes, nous avons réalisé, grâce aux effets cumulés du sous-dosage et de la récupération, 30 à 40 % d’économie de produit sans prendre de risques inconsidérés au niveau du raisonnement de la lutte. »

Une évolution future d’un tunnel 3 rangs sur châssis de MAV

A l’issue de la première campagne d’utilisation, quelques modifications ont été réalisées sur le matériel pour le rendre plus fonctionnel. Les systèmes de maintien des gaines souples de transport d’air ont été repensés pour limiter les phénomènes d’usure et de casse lors des extensions pendant les manœuvres. L’investissement total pour la fabrication de ce pulvérisateur s’élève à 25 000 € ht, sachant que la cellule Super Airflo utilisée était d’occasion. Lors de l’utilisation dans les rangs, les écarts de conduite provoquent rarement de gros dégâts sur les panneaux, du fait de l’efficacité des systèmes de silentbloc qui facilite l’effacement latéral des parois. Par contre, le chauffeur n’est pas en mesure de se rendre compte rapidement si un incident se produit au niveau des buses de pulvérisation. Ce type de problème n’est d’ailleurs pas mieux contrôlé sur les pulvérisateurs pneumatiques équipés de rampes face par face arrière. J.-C. Maingard estime que l’installation de débitmètres à billes sur chaque tronçon de pulvérisation pourrait permettre de remédier à ce problème à un coût acceptable. J. Guerbé, qui est très satisfait du fonctionnement de son pulvérisateur, imagine déjà une évolution de cette technologie pour couvrir plus de surface dans la journée : « Actuellement, le principe du pulvérisateur traîné avec les tunnels Lipco me donne pleine satisfaction. La qualité d’application des traitements est nettement meilleure mais, sur le plan de la productivité, on ne traite que deux rangs par passage, ce qui limite les performances de couverture dans la journée à 25 à 30 ha. L’installation du même système en version trois tunnels sur un châssis polyvalent de MAV me paraît être une piste à étudier pour traiter plus de surface tout en réduisant la vitesse d’avancement autour de 7 km/h. »

Les caractéristiques du tunnel pneumatique LIPCO Guerbé
l Tunnel de pulvérisation LIPCO 2 rangs.
l Tunnel en polyéthylène rigide équipé de pendillards pneumatiques Berthoud.
l Châssis extensible s’adaptant à des vignes de 2,50 à 3 m palissées et non palissées.
l Cellule pneumatique 1 500 l Berthoud Super Airflo.
l Système de récupération de bouillie par des hydro-injecteurs.
l Récupération de bouillie de 10 à 60 % selon la saison.
l 2 rangs traités en face/face par passage.
l Vitesse d’avancement : 7 à 8 km/h.
l Débit de chantier : 25 à 30 ha en 10 heures de travail.
l Puissance de traction nécessaire : 90 à 100 cv.
l Prototype fabriqué par les Ets Claude Maunais à Segonzac.
l Prix de revient du pulvérisateur : 25 000 € ht (avec une cellule Super Airflo d’occasion).

 

 

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