Beaucoup de viticulteurs se demandent aujourd’hui s’ils doivent rénover une installation de chai existante ou carrément faire du neuf ? Cette question, Alban et Jean-Loup Mercier se la sont posés pendant deux ans avant de se lancer dans l’implantation d’une unité de traitement de la vendange innovante, fonctionnelle et simple. La création de ce nouveau chai de vinification a été abordée en privilégiant trois objectifs : minimiser les phénomènes de trituration, limiter l’oxydation de la vendange et faire des investissements justes.
L’ancienne unité de traitement de la vendange du GAEC du Renouveau à Bréville était implantée avec des principes technologiques classiques datant des années 90. Elle commençait à montrer certaines limites du fait de son âge respectable. L’installation, constituée d’un conquet enterré et de deux pressoirs en élévations (un 32 VT et un CEP 700), bien que vieillissante permettait de vinifier la production de 36 ha de vigne. Comme le renouvellement des deux pressoirs allait devoir être envisagé, Alban et Jean-Loup Mercier se sont interrogés sur la fonctionnalité de l’unité de vinification existante. L’implantation de l’installation sous un hangar dans une cour de ferme était devenue au fil des années plus exiguë et les possibilités de la faire évoluer pour faire face à une augmentation de surface de la propriété semblaient assez limitées. Les deux viticulteurs ont pris le temps de réfléchir au devenir de leur unité de traitement de vendange durant presque deux ans.
Qu’est-ce que l’on peut faire pour améliorer la qualité ?
Les structures du site existant pouvaient accueillir de plus gros pressoirs mais cela allait poser des problèmes d’accès et l’implantation de cuverie supplémentaire aurait été compliquée. L’aménagement du chai existant allait-il être cohérent par rapport aux besoins technologiques supplémentaires liés à un agrandissement de l’exploitation ? Progressivement, l’idée de créer un nouveau site de traitement de la vendange a germé dans l’esprit des deux viticulteurs. J.-L. Mercier ne cache pas que le déplacement de toute l’unité de vinification fait partie des projets que l’on n’aborde pas à la légère compte tenu des enjeux financiers que cela représente : « Il nous a fallu deux ans pour prendre la décision de construire un projet de chai neuf implanté sur un espace sans contrainte. C’est l’agrandissement de surface de la propriété qui est à l’origine de notre démarche. Bien que vieillissante, l’installation précédente était adaptée aux besoins du vignoble de 36 ha. Le fait d’avoir, dans un avenir proche, la production de 17 ha à traiter en plus nous a obligés à repenser toute l’organisation du travail. Fallait-il aménager l’existant ou carrément implanter un nouveau site ? Après une mure réflexion, on a opté pour la deuxième solution. La conception et l’implantation d’un chai neuf représentent un projet très important dans une carrière de viticulteur, mais c’est aussi un challenge très motivant. On a considéré qu’il fallait à la fois tenir compte des besoins actuels et se projeter dans l’avenir. Pour nous, créer ce nouveau chai a été l’occasion de se poser une question essentielle : qu’est-ce que l’on peut faire pour améliorer la qualité ? Il nous a semblé que les deux priorités étaient de limiter la trituration et l’oxydation de la vendange. Ces deux axes de réflexion ont été le fil conducteur de la conception de la nouvelle installation. Dans notre démarche, nous avons cherché à concilier en permanence les exigences qualitatives aux réalités économiques de la filière de production Cognac. Les choix technologiques ont été réalisés en ayant le souci de réaliser des investissements justes. »
Améliorer les conditions de transport de la vendange
L’utilisation d’une MAV automotrice avec un voisin permet de gérer le chantier de récolte de manière souple. La machine travaille dans la journée en alternance dans chaque propriété et ainsi aucune attente de vendange ne se produit. La proximité des parcellaires limite les pertes de temps en déplacements et la durée totale de récolte n’excède pas deux semaines. Une telle durée de récolte est adaptée aux différences de précocité de maturité des deux principaux terroirs, les groies du Pays haut et les terres plus profondes du Pays bas. La seule contrainte de l’organisation de la récolte est liée à l’éloignement d’un îlot d’une dizaine de kilomètres qui rend le transport problématique, surtout avec des bennes de capacités moyennes. Dans les chemins de terre et les petites routes, les phénomènes de tassement de la vendange et les pertes en jus obligeaient jusqu’à présent ces viticulteurs à ne pas trop remplir les bennes. L’oxydation de la vendange était forcément plus importante et en conditions plu-
vieuses, la vendange restait à l’air libre pendant plus d’une heure. Elle pouvait en plus être souillée par des projections de terre. L’amélioration des conditions de transport de la vendange a été aussi une préoccupation pour A. et J.-L. Mercier. Ils ont souhaité intégrer le volet transport dans leur projet d’aménagement d’installation de traitement de la vendange. Leur souhait était de réfléchir à une mode de transport qui à la fois assure une protection contre l’oxydation et soit bien dimensionné par rapport aux exigences de remplissage du pressoir.
Mettre directement les raisins dans le pressoir
La présence en face de la ferme familiale d’un vaste terrain sans contrainte de voisi-nage représentait une opportunité pour aborder le projet d’une manière globale en implantant des ateliers distincts (trois dédiés à la vinification et un à la distillation) et en optimisant les connexions entre les différents pôles d’activités. L’aménagement des infrastructures de vinification a été organisé autour de trois ateliers : un premier dédié au traitement de la vendange, un se-cond comportant toute la cuverie de fermentation et un troisième assurant la collecte et le stockage des effluents. La mise en œuvre de bonnes conditions de respect de l’intégrité des raisins entre la récolte et le pressurage a été pour J.-L. Mercier un axe de réflexion majeur : « Pomper de la vendange pour remplir des pressoirs ins-tallés à 5 m de hauteur m’a toujours paru être un élément qui ne pouvait qu’accentuer les phénomènes de trituration. Monter des pressoirs sur des portiques pour faciliter l’enlèvement rapide des marcs est peut-être une solution fonctionnelle mais cela engendre des conséquences au niveau de la qualité de la vendange. Ensuite, le chargement d’un pressoir pneumatique par les trappes me paraissait incontournable car, avec le remplissage axial, on commence souvent à presser avant le démarrage du cycle de pressurage. Les vendanges, c’est l’aboutissement de beaucoup de travail et on doit prendre le temps de tirer parti de la qualité des raisins. L’idéal serait de pouvoir mettre directement les raisins dans le pressoir sans utiliser de moyens de transfert agressifs. Une implantation des pressoirs au niveau du sol et l’utilisation de moyens de remplissage doux représentent deux leviers pour minimiser les phénomènes de trituration. Au départ, on a pensé monter les raisins avec un tapis, mais cet équipement nous a paru plus complexe à faire fonctionner et surtout difficile à entretenir sur le plan de l’hygiène. Le choix de remplir le pressoir par les trappes en utilisant une benne élévatrice à vis nous a paru être la solution la plus simple et la plus facile à mettre en œuvre. Le fait de supprimer l’investissement dans un équipement spécifique au transfert de la vendange permettait aussi de mobiliser plus de moyens sur l’outil de transport. »
Une unité de traitement de la vendange simple
L’atelier de traitement de la vendange présente l’avantage d’être très simple car il est constitué de seulement deux équipements, deux bennes élévatrices à vis et un pressoir pneumatique installé au niveau du sol.
Les bennes élévatrices, d’une capacité de 80 hl, ont été équipées d’une vis de 400 mm, d’un caisson d’égouttage (facile à laver), d’un couvercle étanche hydraulique et d’un système d’inertage. Dès la fin du remplissage de la remorque à la parcelle, le couvercle est immédiatement refermé et avant les déplacements, une injection de gaz inerte intervient à la surface de la vendange.
À l’arrivée au chai, le jus de goutte est extrait (20 à 25 hl pour 80 hl de vendange récoltés) et ensuite le déchargement peut commencer. La benne reculée sur un petit quai s’élève et la vendange tombe par gravité sur un répartiteur qui la dirige vers la trappe du pressoir. Le déchargement de la première benne de 80 hl s’effectue sans qu’il soit nécessaire de réaliser d’égalisation de la vendange. Avant le vidage de la deu-xième benne, deux rotations de la cage d’un quart de tour permettent d’étaler les marcs frais. Le déchargement des deux bennes nécessitait une grosse demi-heure (en intégrant les manœuvres). À l’issue du pressurage, un readlair permet d’évacuer les marcs secs dans une remorque agricole. Cette année, le pressoir a été implanté en plein air mais dans l’avenir il sera protégé par une structure couverte de type hangar agricole.
Des cycles de pressurage protégés de l’oxydation grâce au système Inertys
La deuxième préoccupation qualitative qui a mobilisé la réflexion de ces viticulteurs a été les moyens de limiter l’oxydation des moûts au cours du pressurage. J.-L. Mercier considère que tous les principes de pressurage actuels amplifient les phénomènes d’oxydation des jus durant les phases d’extraction : « Avec les pressoirs horizontaux, il était impossible d’envisager le déroulement du cycle de pressurage en absence d’air. Le rainurage important des cages et les nombreuses séquences de rebêchages contribuent à favoriser l’oxydation des baies partiellement éclatées et la libération des jus se déroule toujours en présence d’air. L’utilisation d’un pressoir pneumatique à cage fermée offre la possibilité de travailler dans de meilleures conditions durant les phases de montées en pression, mais les apports d’air restent toujours importants au moment des phases de dépression et des rotations de cages (les émiettages). Depuis 2 à 3 ans, je m’étais renseigné sur les systèmes d’inertage de la vendange durant le pressurage que proposent les constructeurs. Les contacts avec des viticulteurs utilisant dans d’autres régions de tels équipements ont fini de me convaincre. Les écarts d’oxydation des moûts à l’issue du pressurage me paraissaient spectaculaires. Pourquoi cette technique de pressurage aujourd’hui utilisée dans toutes les régions viticoles productrices de vins blancs secs ou de rosés n’aurait-elle pas d’intérêt qualitatif pour les vins blancs secs de la région de Cognac. D’un point de vue économique, le coût de l’inertage durant le pressurage est directement lié aux pertes de gaz neutre. Le système Inertys de la société Bucher-Vaslin m’a paru intéressant car justement les pertes de gaz inerte au cours des cycles de pressurage sont faibles. Nous avons franchi le pas lors des vendanges 2013 en achetant un pressoir pneumatique de 80 hl équipé du système Inertys. L’injection d’azote commence dès les premières montées en pression et même au début du cycle, la différence d’oxydation des moûts était perceptible à l’œil nu. Dans les conditions du millésime 2013 avec un rendement en jus pas bon, on sortait 90 à 100 hl de moût par pressoir. Plus le cycle de pressurage avançait, moins la nature des jus était visuellement oxydée. Les moûts de goutte jaune lors du remplissage du pressoir devenaient ensuite de plus en plus verts au cours du cycle. Le procédé a donné entière satisfaction et le coût total de l’investissement en gaz neutre durant les deux semaines de vendanges (à raison de 4 pressées par jour) a été de 250 €. Il n’a jamais été nécessaire de rajouter d’azote après la charge de départ. »
La membrane du pressoir : un « poumon » qui aspire et rejette le gaz neutre
Les apports de gaz inerte au cours du déroulement du cycle de pressurage s’effectuent par l’extrémité des drains. Ensuite, c’est la membrane qui gère les flux de gaz entre la cage du pressoir et la réserve souple extérieure. Elle se comporte comme un véritable poumon qui aspire et rejette l’azote lors des différentes séquences de pressurage. Lors des montées en pression, le gaz reflue vers la réserve souple et durant les phases de décompression et les rebêchages, le gaz afflue dans la cage. Les jus s’écoulent dans une maie étanche à l’extrémité de laquelle un mireur permet d’observer la qualité et la couleur des moûts. Un procédé de régénération du gaz permet au système d’inertage de conserver sa pleine efficacité. En effet, le risque de voir de l’oxygène progressivement se mélanger à l’azote et l’altérer est inévitable avec la succession des cycles de pressurage. L’opération de régénération consiste à utiliser le potentiel enzymatique et les polyphénols des marcs contenus dans la cage pour consommer l’oxygène dissous dans le gaz neutre. Le cycle de régénération s’effectue lors du dernier cycle de pressurage de la journée. La réalisation d’un rebêchage aspire la totalité de l’azote contenu dans la vessie qui reste en contact toute une nuit avec le marc asséché. Durant cet intervalle de temps mort, les polyphénols et les enzymes purifient l’atmosphère intérieure de la cage, et, le lendemain matin, l’azote a retrouvé son plein potentiel d’inertage. Le constructeur conseille de procéder à un cycle de régénération du gaz neutre tous les dix cycles de pressurage.
Le surcoût d’investissement sera lissé sur 15 à 20 ans d’utilisation du matériel
Les choix technologiques au niveau de l’installation de traitement de la vendange n’ont généré des surcoûts d’investissement qu’au niveau du poste de pressurage. En effet, l’achat des deux bennes élévatrices à vis de 80 hl, qui font office à la fois d’équipement de transport et de transfert de vendange, coûte sûrement moins cher que l’acquisition de deux remorques à basculement hydraulique de capacité identique et d’un module fixe de transfert de vendange (une pompe à ogive). Le surcoût d’investissement se situe au niveau du poste de pressurage avec l’acquisition du système Inertys. J.-L. Mercier considère que l’investissement total dans l’unité de traitement de la vendange plus élevé reste cohérent sur le plan économique : « La réflexion qualitative que l’on conduit pour concevoir la nouvelle installation de chai débouche sur un niveau d’investissement supérieur au niveau du poste de pressurage. L’achat du système Inertys représente un surcoût de 25 % par rapport à la valeur du pressoir pneumatique de 80 hl. Les aides pour les équipements de chais de FranceAgriMer ont constitué une opportunité mais, même sans les subventions, nous aurions quand même fait les mêmes choix technologiques. Un investissement supplémentaire de 20 000 € HT, cela peut paraître important à court terme mais ramené à une durée utilisation du matériel de 15 à 20 ans, c’est finalement raisonnable. C’est un choix de gestion au niveau de l’exploitation. Nous avons choisi de pri-vilégier la mise en place d’un processus de traitement de la vendange qualitatif qui, au final, aura peu d’impact sur nos coûts de production annuels. » Les vinifications de l’ensemble de la production 2013 du GAEC du Renouveau ont été conduites sans aucun incident en matière de déroulement des fermentations alcooliques. Les récentes analyses des vins (chromatographies) confirment les effets bénéfiques de la douceur de la chaîne de traitement de la vendange. Les marqueurs de trituration et les teneurs en alcools supérieurs sont faibles et gustativement les vins présentent une bonne netteté.
Les points clés du chai d’Alban et Jean-Loup Mercier
• 54 ha de vigne à vinifier.
• Implanter un chai neuf plutôt que de rénover l’ancienne installation.
• Deux priorités qualitatives : minimiser la trituration et l’oxydation de la vendange.
• Mettre directement les raisins dans un pressoir implanté au niveau du sol.
• Un remplissage du pressoir par les trappes et non pas en axial.
• Le transport et le transfert réalisés avec deux bennes élévatrices à vis de 80 hl équipé d’un couvercle, de grille d’égouttage et d’un système d’inertage.
• Un pressoir de 80 hl Bucher équipé du système Inertys.
• Le coût total du gaz inerte pour deux semaines de vendanges a été de 250 € HT.
• 90 à 100 hl de jus coulés par pressoir lors des vendanges 2013.
• Des moûts nettement moins oxydés et verts durant tout le cycle de pressurage.
• Un investissement supérieur dans le poste de pressurage de l’ordre de 25 % de la valeur du pressoir.
• Des résultats d’analyses confirmant de moindres teneurs en marqueurs de trituration et en alcools supérieurs.