Victime Du Système

10 mars 2009

Jean-Luc D. était et reste le prototype du bon viticulteur, bien intégré dans sa filière. Il a suivi les conseils, les mots d’ordre. Il n’a pas démérité. Pourtant, il se retrouve dans le pot au noir. En se sentant quelque part l’otage d’un système que le dépasse. Il décrit très clairement le piège de la crise qui s’est refermé sur lui.

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« Quand le comptable a présenté le premier bilan en déficit, je me suis même demandé s’il ne s’était pas trompé. »

J’exploite 23 ha de vigne, tout en Bordeaux rouge. Je livre l’ensemble de mes vins à la cave coopérative. Je possède 8 ha en propre, le reste correspond à du fermage familial. J’ai démarré sur une structure d’environ 13 ha de vignes. A l’époque, le vignoble était mixte, moitié rouge, moitié blanc et sur l’exploitation, nous cultivions du maïs, des arbres fruitiers. Lors de mon installation, j’ai emprunté pour acquérir un peu de propriété. A l’époque, les parcelles de vigne se négociaient près de 290-300 000 F l’ha. J’ai également emprunté pour réaliser un plan de restructuration, assurant la replantation de toute l’exploitation en rouge, y compris les terres qui supportaient les céréales et le verger. La vigne procurait une marge beaucoup plus intéressante. Il a fallu financer le renouvellement de tout le matériel d’exploitation. A la coopérative, nous étions un groupe de jeunes viticulteurs à avoir repris de petites exploitations familiales. Nous voulions démontrer notre esprit d’entreprise et tenir les promesses que l’on avait mises en nous. Les techniciens de coopérative, les œnologues, les négociants, les techniciens de chambre… tous, ils nous disaient que nous avions plus de chances de nous en sortir en produisant de la qualité. Nous avons foncé tête baissée. Avec mes collègues, on s’est engagé dans une charte de qualité. La coopérative avait mis en place un système de paiement tenant compte de la taille, des travaux effectués, du mode de ramassage, avec visite deux fois par an des parcelles… Je me suis mis à faire du désherbage en plein, j’ai semé les inter-rangs, j’ai modifié la taille pour passer des grandes arcures aux petites arcures. Pendant plusieurs années, j’ai fait tomber des raisins, j’ai effeuillé, enlevé les contre-bourgeons… Nous avons fait tout ça. Le comptable me mettait en garde, m’avertissant que les coûts de production devenaient élevés. Mais j’étais très motivé. A la coopérative, mon vin était vinifié à part, sous un nom de château. J’ai obtenu des médailles dans plusieurs concours. J’étais persuadé que de toute façon, en produisant un bon vin, j’arriverai à mieux le vendre, à amortir les coûts élevés. La coopérative avait investi dans de la thermorégulation pour toute la cuverie, sans parler de la traçabilité, la mise aux normes, une chasse à air pour tous les châteaux. “Manque de bol”, les cours ont commencé à plonger. En deux ans, entre 2003 et 2005, mon chiffre d’affaires a été divisé par deux. De 210 000 €, il est passé à 90 000 €. Avant la crise, la coopérative vendait très bien en vrac. Elle possédait une certaine réputation, due à la qualité de ses terroirs et à sa manière de travailler. A l’époque, le comptable nous disait que nous valorisions aussi bien nos ventes en vrac qu’en bouteilles. Nous avions noué un partenariat avec un négociant, qui nous garantissait d’enlever les vins 10 % au-dessus des cours du marché. Aujourd’hui ce négociant nous achète au même prix que les autres. Seule différence : il se permet de choisir les vignes qui l’intéressent, exige une certaine méthode de vinification, déguste les différentes cuves et, souvent, en choisit parmi celles qui ne font pas partie de son contrat. Il profite de la situation. Pour la récolte 2006, en janvier, nous en sommes à 750 € le tonneau. Nous pourrions essayer de garder notre marchandise mais les courtiers passent de cave en cave en faisant courir le bruit que les prix vont encore baisser. “Telle coopérative a vendu” disent-ils. Information prise, on s’aperçoit que rien n’est signé. Mais il faut tout de même lâcher. Garder du vin dans les cuves coûte cher, en frais de soutirage, d’analyse. Par ailleurs la coopérative n’ose pas faire d’investissement dans la cuverie, pour éviter les frais de vinification. Malgré tout, des adhérents partent. Et qui dit baisse des volumes d’apports dit hausse des prix de vinification. Nous sommes prisonniers du marché, du négoce. Face à l’ampleur de la crise, la coopérative a embauché un commercial sur toute la France pour essayer de démarcher les cavistes, restaurateurs, particuliers. Mais il n’est pas arrivé à percer. Trop de concurrence. Quand il arrivait chez un caviste, il s’entendait dire : “du même secteur que vous, depuis ce matin, vous êtes le dixième !” Aujourd’hui, la plupart d’entre nous sommes dans le rouge au niveau de la banque. L’an dernier, j’ai accusé 50 000 € de déficit alors que dans les bonnes années je réalisais 30 000 € de bénéfice. Depuis cinq ans, je ne peux plus payer une bonne partie de mes fermages familiaux. Depuis cette année, je traîne un retard de paiement auprès des fournisseurs. J’ai été obligé de contracter un emprunt de trésorerie à un taux très élevé. J’ai dû mettre en vente un terrain privé attenant aux bâtiments de ferme. Alors que j’avais plusieurs employés, je fus dans l’obligation de procéder à des licenciements économiques. Je prends des occasionnels.

Au plan de la qualité, je ne travaille plus de la même manière. J’ai modifié ma façon de faire. Par exemple, je ne peux plus faire d’anti-botrytis. Disposant de moins de personnel, je suis obligé de retravailler le samedi, le dimanche. Aujourd’hui, je ne vois plus trop d’issue. Le conseiller de gestion me conseille de procéder à de l’arrachage. J’ai déposé un dossier pour 2,5 ha et puis, au dernier moment, je l’ai retiré. Au plan communautaire, pour toucher la prime, on n’a pas le droit d’arracher des vignes de moins de 10 ans. De ce fait j’étais obligé de me séparer des vignes sur les bonnes terres, des terres de rocher, au lieu de pouvoir arracher des vignes en plaine. Je culpabilise vis-à-vis de mes parents et de mes frères qui ne sont pas de la partie. J’ai 48 ans.

Voilà plus de trente ans que je travaille, j’étais arrivé à un niveau qui me permettait de vivre décemment. C’est là que tout s’effondre. La situation n’est pas neutre au plan de la santé. Nous tenons tous à coup d’anti-dépresseurs. Cela pose des problèmes au niveau du couple, des enfants. Aujourd’hui, je pense que j’aurais mieux fait de mettre de côté l’argent gagné au lieu d’investir dans le matériel, l’équipement. Mais j’étais intégré dans toutes les organisations. Y régnait une ambiance générale qui poussait à aller de l’avant. “Ceux qui vont s’en sortir auront fait des efforts qualitatifs” martelait-on. Je ne suis pas loin de penser que c’était un marché de dupe. Cette crise, on ne l’a pas vu venir. Peut-être n’avons-nous pas voulu la voir non plus. Quand le comptable a présenté le premier bilan en déficit, je me suis même demandé s’il ne s’était pas trompé. C’était tellement soudain. Imaginez ! Sur le millésime précédent, le négoce avait acheté les 3/4 de la récolte par anticipation. C’était impressionnant, il n’échantillonnait même pas les vins. Il payait des marchandises 13 000 F le tonneau alors que même nous, on se demandait ce qu’il allait faire de certains vins, les envoyer en distillerie, en vin de table ? Et puis le marché s’est retourné, d’un coup. Si lueur d’espoir il y a aujourd’hui, elle réside dans la coopération. S’est mis en place cet hiver un groupe de six coopératives.

« Nous tenons tous à coup d’anti-dépresseurs. »

Avec Producta, qui s’occupait déjà de la commercialisation des vins de la coopération, nous allons viser le marché export vers la Russie, les pays asiatiques, la Chine, le Japon. Un directeur de la région Champagne a été recruté à la tête de Producta. L’idée est de mettre le plus possible de vin en bouteilles, afin d’aller attaquer les marchés sur place. Nous allons faire le type de vin que demande le marché. Sans doute avons-nous besoin d’un Bordeaux plus souple, plus rond, plus fruité, avec un mode de vinification qui corresponde mieux à la demande. J’espère que nous allons percer à l’export. C’est notre dernière chance. De toute façon, ne rien faire, c’est mourir à petit feu.

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