Tarifs américains : Emmanuel Macron appelle à une riposte européenne unie face à une « décision brutale et infondée »

3 avril 2025

Nina Couturier

Retour sur la réunion élyséenne organisée avec les représentants des filières impactées par les mesures tarifaires prises par les États-Unis

A la suite de l’annonce du président Trump d’une imminente taxe de 20 % sur les produits importés en provenance de l’Union Européen et face aux impacts potentiels de ces droits nouveaux pour les entreprises françaises, le président de la République, Emmanuel Macron a réuni les acteurs économiques dans le but de coorganiser la réponse stratégique à apporter aux mesures protectionnistes américaines. Une mobilisation à tous les niveaux, coordonnée par Laurent Saint-Martin, est enclenchée pour défendre les filières touchées.

« L’économie américaine sortira plus faible et plus pauvre qu’hier » : dans une allocution ferme tenue à l’Élysée, Emmanuel Macron a dénoncé l’imposition par les États-Unis de nouveaux tarifs douaniers de 20 % sur la majorité des exportations européennes. Le chef de l’État a exposé un plan de riposte en deux temps, centré sur l’unité européenne, la solidarité sectorielle, la réindustrialisation et la protection contre la concurrence déloyale.

Une décision américaine « brutale et infondée »

Dès l’ouverture de la conférence, Emmanuel Macron a tenu à qualifier sans ambiguïté les mesures prises par l’administration américaine. « La décision qui a été annoncée cette nuit est une décision brutale et infondée », a-t-il déclaré, soulignant qu’« on ne corrige pas des déséquilibres commerciaux en mettant des tarifs », en appelant aux fondements mêmes de la théorie économique.

Selon le président, cette hausse tarifaire touche 70 % des exportations européennes vers les États-Unis, soit « sur les 500 milliards que les Européens exportent […] une visibilité sur plus de 70% qui seront touchés », avec des hausses allant « jusqu’à 25% » pour plusieurs secteurs sensibles, dont l’acier, l’aluminium, l’automobile, ou encore la pharmacie et les semi-conducteurs.

Un impact direct sur le cognac et la viticulture, filières stratégiques à l’export

Parmi les secteurs les plus exposés aux nouvelles surtaxes américaines figure en bonne place la filière vitivinicole française, et plus particulièrement le cognac. Déjà confrontée à des mesures de rétorsion commerciale imposées par la Chine ces derniers mois, cette industrie d’excellence, largement tournée vers l’export, se retrouve une nouvelle fois en première ligne.

« Cognac, armagnac et largement la viticulture et viniculture qui sont évidemment particulièrement touchées, que nous continuons d’accompagner », a rappelé Emmanuel Macron, en s’adressant directement aux représentants de ces filières présents à la table ronde, au titre desquels Gabriel Picard, président des établissements éponymes et président de la Fédération des Exportateurs de Vins & Spiritueux de France (FEVS), mais aussi de Jérôme Despey, viticulteur et président du Conseil Spécialisé Vins de FranceAgriMer. L’inquiétude est d’autant plus grande que les États-Unis représentent le premier marché d’exportation pour le cognac français : toute hausse brutale des tarifs douaniers pourrait avoir des conséquences immédiates sur les volumes exportés, les marges, et la compétitivité globale de la filière.

Au-delà du seul impact économique, le président a souligné l’importance symbolique et culturelle de ces productions : « Je veux ici dire très clairement aux entrepreneurs et à l’ensemble des salariés de ces secteurs que nous serons à leurs côtés pour apporter des réponses concrètes. » Cette promesse s’inscrit dans une stratégie plus large de soutien aux filières agricoles exportatrices, mais aussi de défense du patrimoine français.

Enfin, le président a insisté sur l’importance de la solidarité entre producteurs et interprofessions, à l’échelle européenne, pour éviter que certains acteurs ne tentent de négocier individuellement avec Washington appelant à « tout de suite essayer de jouer européen pour ne pas qu’il y ait […] d’échappée solitaire » pour une réponse collective et coordonnée.

Une réponse européenne structurée en deux étapes

Face à cette attaque commerciale, l’Europe doit répondre selon une méthode « réactive, unie et organisée ». Emmanuel Macron a confirmé que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, « est en train de concerter la réponse des Européens », rappelant que la compétence commerciale est communautaire.

La riposte européenne se fera « en 2 étapes » :

  1. Une première réponse « mi-avril », ciblant les taxes déjà décidées sur l’acier et l’aluminium.
  2. Une seconde, « plus massive », prévue « à la fin du mois », à la suite d’une « étude précise secteur par secteur » avec « l’ensemble des États membres et des filières économiques ».

Laurent Saint-Martin, interlocuteur unique des filières

Dans cette phase délicate, le président a nommé un point de contact stratégique : Laurent Saint-Martin, ministre délégué au commerce extérieur pour assurer la coordination avec les filières économiques. Il devient l’interlocuteur privilégié pour faire remonter les informations et recommandations, le président insistant sur la nécessité d’« un travail unifié, fort et résolument européen ».

Un appel à suspendre les investissements en attente de clarification

Le président a également demandé aux acteurs économiques d’agir avec cohérence : « Les investissements à venir […] soient à un temps suspendu tant qu’on n’a pas clarifié les choses avec les États-Unis d’Amérique ».

Il a estimé que tout signal d’engagement massif d’acteurs européens sur le sol américain serait malvenu au regard des tensions commerciales en cours : « Quel serait le message d’avoir des grands acteurs européens qui se mettent à investir des milliards d’euros dans l’économie américaine au moment où ils sont en train de nous taper ? »

Une stratégie de long terme : compétitivité, décarbonation et protection

Au-delà de la riposte immédiate, Emmanuel Macron a esquissé une vision stratégique. Il a reconnu que le constat américain — la désindustrialisation de l’Occident — est « un bon constat », mais que « la réponse est mauvaise ».

La réponse européenne, selon lui, doit passer par :

  • L’« accélération » des programmes d’investissement et de réindustrialisation.
  • Un « agenda de simplification » réglementaire.
  • Une stratégie de « décarbonation », pour réduire la dépendance aux énergies fossiles, principales causes du déficit commercial.
  • Un renforcement de la « protection commerciale », notamment contre les surcapacités asiatiques redirigées vers l’Europe et la « concurrence déloyale », comme cela a été amorcé sur les véhicules électriques chinois.

Tous les instruments sur la table, y compris numériques et financiers

À court terme, le chef de l’État a déclaré que « rien n’est exclu » concernant les instruments de riposte. Il a cité :

  • Le mécanisme anti-coercition.
  • Des mesures sur les services numériques, où « les États-Unis sont extrêmement bénéficiaires sur l’Europe ».
  • L’examen des « mécanismes de financement de l’économie américaine ».

L’objectif affiché est clair : « Le démantèlement des tarifs », par la négociation, mais aussi par une démonstration de force et de cohérence européenne.

Un calendrier structuré et une consultation continue

La réunion de ce 3 avril n’est que le point de départ. La suite se construira en lien étroit avec la Commission européenne, les ministères compétents et les filières économiques. Le Conseil présidentiel du commerce extérieur, prévu le 13 mai, sera une étape clé dans la mise en œuvre de cette stratégie.

Le président a conclu : « Nous croyons dans la vertu du commerce, mais simplement on n’est pas naïf, donc on va se protéger ».

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