Relance d’un plan d’arrachage : le syndicat se mobilise

12 mars 2009

Présidé par Jean-Louis Brillet, le Syndicat des viticulteurs bouilleurs de cru repart à la charge pour tenter de décrocher un plan de restructuration portant sur 10 % du vignoble, tous crus et toutes exploitations confondus. Le syndicat menace de s’opposer au processus de changement réglementaire tant que « les conditions ne seront pas réunies ». Il convoque la récolte 2004 à l’appui de sa démonstration.

« Le Paysan Vigneron » – Que vous inspirent les vendanges que nous venons de vivre ?

jean_phillipe_roy.jpgJean-Louis Brillet – Je crois que l’on peut « féliciter ceux qui ont pris les bonnes décisions ». On perd sur tous les plans. C’est un véritable gâchis. Cela ne s’était encore jamais vu de jeter 10 à 15 % de la production, quel que soit le lieu. C’est l’illustration de l’impasse dans laquelle nous ont entraîné les farouches défenseurs des 7,5 hl AP/ha. Ce verrouillage de la production nous a empêché de profiter de la magnifique récolte qui se présentait, tant en volume qu’en qualité. Tous les sondages indiquent que les 500 000 de pur au Cognac seront atteints voire dépassés. Mais quid des autres débouchés, à l’heure où l’on demande aux filières de s’organiser ? Cherchez l’erreur ! Un « deal » existait avec certaines maisons de commerce. En contrepartie d’un rapprochement des 8 de pur ha, elles compenseraient l’inflation. La position adoptée pour les vendanges 2004 nous fait perdre plus de 350 € par ha. Alors que tous nos frais augmentent – gaz, intrants – que les normes se mettent en place, la viticulture n’a pas saisi sa chance. Elle n’a pas su profiter de cette récolte pour récupérer un peu de trésorerie. De nombreux viticulteurs sont fous furieux des conditions dans lesquelles s’est déroulée la récolte. Un tel gaspillage est proprement aberrant alors que nous travaillons déjà en dessous du prix de revient. Dans ce sens, on peut considérer que l’année 2004 constitue un avertissement sévère, un véritable détonateur, l’exemple à ne pas suivre. Elle indique peut-être aussi qu’il y a trop de vignes dans cette région. Pour nous, l’urgence des urgences consiste à défendre nos revenus. Nous refusons le suicide collectif.

« L.P.V. » – Cette défense des revenus, de quelle manière l’envisagez-vous ?

J.-L. B. – A notre avis, elle passe par la restructuration. Les pouvoirs publics le disent et le redisent. La double fin est condamnée à disparaître en 2006. Nous attend donc un système d’affectation des ha. Mais, sous tel un régime il ne sera plus question d’empiler les débouchés, comme par exemple la possibilité d’écouler des jus de raisin au-dessus du rendement Cognac. Or, les études économiques du BNIC le confirment. Sur la base d’un coût de production ha de 5 300 € – un chiffre admis par tout le monde – le point d’équilibre économique des vins est de 258 hl vol./ha et de 368 hl vol./ha pour les jus de raisins. Alors, arrêtons de rêver ! Les chiffres sont les chiffres et il ne sert à rien de les manipuler. Cessons de nous voiler la face et de repousser le problème jour après jour, comme si le sujet était tabou. On nous dit : « les gens sérieux affecteront aux autres débouchés ». C’est faux. La réalité est la suivante : compte tenu de nos coûts de production, tout ce qui n’est pas Cognac n’est pas rentable ou peu rentable. Dans ces conditions, que croyez-vous que feront les viticulteurs ? Ils affecteront toutes leurs surfaces au Cognac. Et alors, le chiffre de distillation de 500 000 hl AP, confrontés aux 70 000 ha de vignes, aboutira à la fixation d’un rendement Cognac de 7 hl AP. Mais la même étude du BNIC, contenue dans l’actualisation 2004 du Projet d’avenir viticole, montre que le point d’équilibre du Cognac tourne autour de 8,7 – 9 hl AP/ha. Entre 7 et 9 hl AP/ha, nous perdrons 2 hl AP/ha et nous perdrons aussi tous les autres débouchés. Voilà où se situe le problème.

« L.P.V. » – Quelle solution préconisez-vous ?

J.-L. B – Notre proposition est très simple. Elle vise à inciter chaque viticulteur à restructurer 10 % de son vignoble afin que toutes les exploitations deviennent plus rentables. Quelqu’un qui n’appartient au secteur viticole n’a aucun mal à comprendre ce raisonnement. Mais dans la région tout se passe comme si la passion l’emportait sur la raison, entre ceux qui ne veulent pas arracher tant que le voisin ne l’a pas fait, ceux qui préfèrent se serrer la ceinture plutôt que de se séparer d’un seul ha, ceux qui veulent « tout garder » en refusant de voir que le revenu est tiré par le Cognac et que c’est le Cognac qui nous fait vivre… Notre rôle et notre responsabilité consistent à dire aux gens qu’ils ne peuvent pas s’émanciper d’un raisonnement économique ; qu’il faut se regrouper pour se sauver. L’objectif est-il que « les gros mangent les petits », que le nombre des viticulteurs passe de 6 500 à 3 000 ou à 2 000 ? De toute façon, la restructuration s’accomplira car le rapport offre/demande est imparable. Mais elle se fera dans la misère. Nous, nous voulons garder les viticulteurs pour garder nos vignes. C’est pour cela que nous leur disons : « ouvrez les yeux, réagissez ! », sinon la moitié de la viticulture charentaise passera à la trappe.

« L.P.V. » – Comment comptez-vous vous y prendre pour donner envie aux viticulteurs d’arracher ?

J.-L. B. – Nous préconisons de créer une CVO (cotisation volontaire obligatoire) par ha destinée à financer l’arrachage. Son montant serait assez élevé pour que l’indemnisation d’arrachage des 10 % du vignoble couvre le montant de la CVO et se traduise donc par une opération blanche pour le viticulteur. Le gros avantage de cette CVO serait qu’elle concerne tout le monde, dans tous les crus et sur toutes les exploitations.

« L.P.V. » – Pour s’appliquer, cette proposition devrait d’abord recevoir l’aval de l’interprofession.

J.-L. B. – Fin novembre, nous comptons remettre officiellement notre proposition à l’interprofession. Ce projet, nous le considérons un peu comme celui de la dernière chance. S’il n’est pas retenu, nous nous mettrons en travers de toute évolution réglementaire. Nous exigerons de garder la double fin. Un gouvernement a poussé certains professionnels de la région à voir dans l’affectation la solution à tous les problèmes. Nous ne sommes pas viscéralement opposés à l’affectation des surfaces mais à condition que toutes les conditions soient réunies. Or, à ce jour, aucune d’entre elles ne l’est. Nous n’accepterons de changer de système qu’avec la garantie d’obtenir le point d’équilibre Cognac à 8,7 – 9 hl AP/ha. On ne va tout de même pas poignarder les gens qui vivent essentiellement du Cognac et des vins ! Or que se passe-t-il aujourd’hui ? Les viticulteurs qui ont restructuré leurs vignobles sont placés au même régime que tout le monde. Ils ont subi le rendement agronomique et la QNV à 7,6 s’applique à eux. Il faut « renverser la vapeur » et faire gagner ceux qui bougent. Pour les ha en portefeuille issus du plan d’adaptation, essayons de transformer cet arrachage temporaire en arrachage définitif. Il reste encore 1 500 ha, sachant que l‘an dernier il s’est replanté 2 500 ha d’Ugni blanc.

« L.P.V. » – Sur quelle période envisageriez-vous de faire porter votre plan ?

J.-L. B. – Un Plan d’adaptation viticole existe qui court jusqu’en 2006. Il n’y a pas lieu d’en faire d’autres. Profitons du cadre disponible pour assainir le vignoble. Nous avons encore cet hiver et l’hiver prochain pour arracher entre 7 et 10 000 ha. Bien sûr, ceux qui ont déjà restructuré n’auront plus à le faire.

« L.P.V. » – Vous mettez davantage l’accent sur l’arrachage que sur la reconversion. C’est d’ailleurs un phénomène général. Après en avoir beaucoup parlé, la région est étrangement muette sur la reconversion.

J.-L. B. – Ce relatif silence s’explique assez facilement. La cause en tient à la surproduction mondiale, estimée à environ 30 %. Si le déséquilibre offre/demande ne concerne pas les vins de qualité, il est indéniable que cela complique la situation. En ce qui concerne l’ACV par exemple, la coopérative marque une pause dans ses investissements. Nous voulons bien valoriser nos 350 ha. Si, dans trois ou quatre ans, les niches de marchés sont acquises, nous regarderons de quelle manière augmenter nos surfaces.

« L.P.V. » – Le revenu s’obtient par le volume mais aussi par le prix. Quelque part, face au négoce, la viticulture souhaite défendre les prix d’achat.

J.-L. B. – Tout à fait, mais n’est-ce pas à la viticulture de se prendre en main en assainissant ses structures ? Le négoce prendra ce qu’on lui donnera. C’est un leurre de penser peser sur les prix en diminuant le volume de production. Les vignes existent et tout le monde sait qu’elles peuvent produire davantage. Commençons par diminuer la surface disponible. Ensuite, on pourra parler prix. Avec 10 ou 15 000 ha en trop, il est illusoire de prétendre défendre les prix. La Champagne de Reims a effectivement réussi à obtenir des relations équilibrées avec le négoce. Mais toutes les surfaces plantées ont un débouché. Pour revenir au contexte cognaçais, cela ne coûte rien de produire davantage sur des surfaces revues à la baisse et cela peu aider le négoce à mieux vendre. N’oublions pas que 70 % des eaux-de-vie partent en VS et VSOP. Ne rêvons pas en pensant que les prix pourraient augmenter de 20 ou 30 %.

« L.P.V. » – Êtes-vous optimiste sur vos chances de succès ?

J.-L. B. – Nous n’avons pas à être optimistes, nous devons être réalistes. Si nous voulons gagner, il faut avoir la volonté pour le faire. Nous avons rencontré M. le préfet, Mme la sous-préfète, le DDAF de la Charente, et ils nous ont semblé attentifs à nos propos. Plus généralement, nous avons un peu l’impression que le vent tourne et cela nous encourage. Nous espérons qu’un sursaut va se produire auprès de la viticulture, qui nous empêchera d’aller « tout droit dans le mur ». On nous taxe souvent d’être « le syndicat Hennessy ». Personnellement, je ne vends pas une goutte à Hennessy. C’est un mauvais procès et un prétexte pour ne rien faire. Abandonnons nos égoïsmes. Soyons solidaires. C’est la solidarité qui nous fera gagner.

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