

5 ans seulement après l’interdiction des traitements d’hiver, le vignoble semble avoir basculé dans une spirale de baisse de productivité dont personne n’est en mesure d’en quantifier l’importance. Comme ces affections n’ont pas été considérées comme prioritaires depuis 25 ans, aucun travail de recherche d’envergure n’a été engagé. Le fait que l’on ait affaire à trois maladies, une diversité de champignons (peut-être plus de dix) rend la tâche des chercheurs complexe et à priori, la mise au point d’une stratégie de lutte chimique efficace ne débouchera pas dans les années à venir. Il faut être réaliste, même en « mettant les bouchées double ou triple » dans la recherche, on ne sera pas en mesure de compenser en quelques années 25 ans de décapitalisation technique. Le chantier pour trouver un moyen de lutte efficace au niveau des nouvelles plantations et des vignes en place, va demander du temps et de gros investissements. Ce tableau bien noir de la situation ne doit pas laisser à pen ser qu’il faut baisser les bras car les trop maigres acquis de la recherche sur les maladies du bois permettent déjà de tirer certains enseignements porteurs d’espoirs. Pour préserver la productivité des parcelles, un ensemble de solutions réalistes existe : « Minimiser le développement des maladies du bois est possible si on porte plus d’attention au capital ceps des parcelles. » L’avis de la plupart des chercheurs sur ce sujet et unanime : « Mettre en œuvre des solutions prophylactiques pour limiter l’expansion des MB dans le vignoble, ça marche ! » Les résultats des études sur ces sujets ont déjà permis de mettre en évidence des choses intéressantes et dont la mise en œuvre au niveau des propriétés viticoles est envisageable même si cela engendre des travaux un peu plus contraignants. Les techniciens sont en mesure d’expliquer pourquoi certaines pratiques de taille, d’établissement… rendent sensibles ou pas les souches aux maladies du bois
Taille rapide, très peu d’entreplantations, faible taux de replantations…
Avec le recul, quelques techniciens estiment aujourd’hui que le potentiel de production charentais cumule les facteurs de sensibilité aux maladies du bois, une proportion de vignes de plus de 30 ans importante, des densités de plantations faibles, un taux de renouvellement des plantations très insuffisant depuis 15 ans, un niveau d’entretien du capital ceps faible (peu d’entreplantations) et un manque de main-d’œuvre qualifiée sur beaucoup de propriétés (pour réaliser les travaux d’établissement et de taille).
Pourtant, au cours de la décennie 90, la productivité du vignoble ne semblait pas affectée et à l’inverse les maladies du bois existaient mais étaient « contenues » à un degré de nuisibilité faible n’engendrant aucune incidence. La situation économique précaire de la région pendant cette période a entraîné un changement profond de la conduite des vignes dont personne n’a apprécié les conséquences à moyen terme sur la pérennité du capital souches. Les mauvaises conditions de commercialisation des viticulteurs sur la filière Cognac n’incitaient pas à continuer d’investir dans l’entretien du vignoble. De toute façon, les rendements étaient systématiquement supérieurs aux besoins d’achats de la filière Cognac et pour « passer la crise », il n’y avait qu’une solution : réduire ses charges de production. Beaucoup de propriétés ont été obligées de simplifier les itinéraires culturaux qui sont devenus minimalistes (nécessitant moins de main-d’œuvre) et plus extensifs.
Comment équilibrer les comptes en commercialisant 2 à 4 hl d’AP/ha ? Réponse : « En compressant les coûts de toute part et en n’hésitant pas à faire des coupes sombres sur des choses essentielles. » Dans une telle situation, les parcelles vieillissantes avaient aussi une bonne rentabilité que les jeunes plantations. Aussi, un bon nombre de propriétés ont décidé de réduire leur taux de replantation (voire de les interrompre) et d’arrêter d’entreplanter les manquants même dans les parcelles de moins de 20 ans. On a aussi demandé aux tailleurs de faire plus d’hectares dans l’hiver et très rapidement les bons gestes se sont perdus. Paradoxalement, la présence de symptômes et les dégâts occasionnés par les maladies du bois ont été contenus à un niveau faible grâce à la réalisation des traitements d’hiver. Ces pratiques de conduite du vignoble plus extensives n’ont pas semblé affecter la productivité les premières années car les cycles végétatifs entre 1995 et 2002 ont été assez faciles et généreux.
Des incidences désormais perceptibles sur les rendements
Les premiers signes de fragilisation de la productivité de certaines parcelles sont apparus en 2003, au moment de la sécheresse estivale. Dans un premier temps, les fréquents phénomènes de stress hydrique engendrés par la canicule historique de l’été avaient été considérés comme responsables des baisses de rendement de certaines propriétés. L’abondance de la récolte 2004 a fait oublier le problème même si le nombre de ceps extériorisant des symptômes d’apoplexie lors de l’été avait déjà surpris et inquiété. C’est à partir de 2005 que les viticulteurs les plus observateurs ont commencé à penser que la chute de productivité de certaines parcelles pouvait en partie être liée aux effets conjugués des maladies du bois et du vieillissement du vignoble. Les trois dernières récoltes ont validé cette hypothèse et la situation suscite beaucoup d’interrogations vis-à-vis de la préservation du potentiel de production dans l’avenir. Dans des années à plus faible potentiel de grappes comme 2007 et 2008, une proportion de ceps absents ou morts de 5 à 10 % et les niveaux d’expression de symptômes en constante évolution ont une incidence négative sur la productivité des parcelles. D’ailleurs, de nombreux viticulteurs constatent depuis plusieurs années que les parcelles à faibles densités ayant des niveaux de manquants au-dessus de la moyenne décrochent régulièrement par rapport à la production globale de leurs exploitations. A l’inverse, aussi, les plantations jeunes et les parcelles à plus fortes densités font régulièrement de plus gros rendements.
Les écarts de production entre les différents îlots de parcelles au niveau d’une même propriété sont devenus plus importants alors que, globalement, les soins apportés à l’entretien du vignoble sont identiques. Le pouvoir de nuisibilité des maladies du bois est aujourd’hui réel et cette situation suscite beaucoup d’inquiétude pour l’avenir.
Des interrogations sur l’état de dégradation actuel et futur du vignoble
L’état de dégradation actuel du vignoble charentais représente-il un stade de développement maximum des MB ou au contraire une étape intermédiaire qui augure d’incidences encore plus fortes dans la décennie à venir ? Les réponses des techniciens à cette interrogation sont souvent jugées prudentes, ce qui est un peu normal compte tenu du manque de recul dans l’observation de ces maladies dans les différentes régions viticoles. En 2002, la mobilisation des professionnels (un peu tardive) pour sensibiliser les responsables des ministères de l’Agriculture et de l’Environnement vis-à-vis des conséquences de l’arrêt de l’utilisation de l’arsénite de soude n’avait eu que bien peu d’échos, si ce n’est l’obtention de petits budgets pour construire un observatoire national sur la nuisibilité des MB.
Dans les régions viticoles, les équipes du SRPV ont mis en place avec leurs collègues des Chambres d’agricultures un réseau de parcelles d’observations. Ce travail, lancé en 2003 pour une durée de deux à trois ans, a été pérennisé et les résultats au fil des années confortent son intérêt. M. Patrice Rétaud, du SRPV de Cognac, assure la synthèse de l’observatoire maladies du bois en Charentes. L’étude porte sur 29 parcelles et 12 585 ceps répartis dans l’ensemble de la région délimitée. Les résultats présentés dans le tableau ci-dessous confirment la dégradation régulière de l’état des parcelles depuis 6 ans.
Un niveau d’eutypiose élevé et une nouvelle progression de l’Esca-BDA
Depuis les premières notations en 2003, l’expression de symptômes d’eutypiose atteint des niveaux très élevés et inégalés en France qui se situent en moyenne entre 16,7 à 20,7 %. L’incidence du climat de chaque fin d’hiver et du début des printemps interfère un peu sur le niveau d’expression de cette maladie ; mais au regard des chiffres, on peut dire que l’eutypiose est solidement implantée dans le vignoble charentais. Ce constat n’est pas réellement une surprise car les observations réalisées dans le cadre de l’opération Eutypiose au début des années 90 révélaient déjà la forte présence de la maladie dans les parcelles. Le développement de l’esca-BDA est par contre encore plus spectaculaire puisqu’en 6 ans l’expression des symptômes a été multipliée par trois, pour passer de 2,6 % à 8,9 %. Le bon sens laisse à penser que cette forte progression des symptômes est la conséquence de l’arrêt des traitements d’hiver qui ne bloque plus le cycle de développement de ces deux maladies. Ces chiffres moyens masquent de fortes disparités des attaques selon les parcelles puisque dans les situations les plus critiques, pratiquement 1 cep sur 2 a extériorisé des symptômes.
Parallèlement à cette expansion sans précédent de l’esca-BDA, le niveau de ceps morts ou absents dans les parcelles est aussi en progression pour se situer autour de 6 %. Dans certaines propriétés, où l’on pratique régulièrement l’entreplantation, la proportion de souches n’étant pas en état de produire est beaucoup plus faible. Néanmoins, la pratique du remplacement des ceps morts a été délaissée par de nombreux viticulteurs depuis le milieu des années 90 et le taux de manquants dans certaines parcelles est devenu spectaculaire.

Au sein de l’échantillon des 29 parcelles de l’observatoire, quatre sites présentent un taux de ceps absents compris entre 20 et 30 %. Les efforts de rénovation du capital de ceps dans les parcelles (par entreplantation, recépage et provignage dans une moindre part) se limitent à 1,2 %, ce qui est loin de compenser le niveau de mortalité. En fait, certains viticulteurs pratiquent systématiquement l’entreplantation et le recépage et d’autres s’y refusent, considérant ce travail comme trop lourd et hasardeux sur le plan de la reprise des plants. Dans le réseau de 29 parcelles de l’observatoire, les efforts d’entreplantation ne concernent que 10 sites.

Plus d’un quart de la surface du vignoble a exprimé des symptômes en 2008
La situation cumulée eutypiose-esca-BDA en 2008 révèle que dans la région de Cognac, 26 % des souches d’Ugni blanc ont exprimé des symptômes. Si on rajoute à cela un taux moyen de pieds absents de 5 %, le constat final met en évidence que plus du quart du potentiel de production est concerné par les maladies du bois, ce qui correspond à une surface de vigne de 22 000 ha dans la région délimitée. De tels chiffres sont consternants et très inquiétants pour l’avenir. Est-il encore possible de nier que les maladies du bois aient eu une incidence sur les niveaux de productions des récoltes 2007 et 2008 ? Eh bien, malheureusement non ! Le fort développement de l’esca-BDA au cours des dernières années est très préoccupant. 2,6 % de symptômes en 2003 et 8,9 % en 2008, cette progression si spectaculaire va-t-elle se poursuivre à un rythme aussi soutenu ?
Est-il envisageable de voir les symptômes d’esca-BDA concerner 15 à 20 % des souches ? Ces questions hantent les esprits de nombreux techniciens et viticulteurs. Le travail issu de l’observatoire remplit complètement son objectif d’origine : quantifier annuellement la présence des MB. On est aujourd’hui en mesure d’apprécier la gravité de la situation chaque année, mais par contre ces données ne correspondent qu’en partie au niveau d’infestation réel des maladies dans les parcelles et dans le vignoble. Sur le plan statistique, l’observatoire ne permet pas de comptabiliser l’ensemble des ceps ayant extériorisé au moins une fois des symptômes depuis 2003. L’idée de réaliser ce travail beaucoup plus fouillé avait été émise par les techniciens, mais le manque de moyens n’a pas permis de le réaliser. C’est bien dommage, car l’apport de ces données aurait peut-être pu permettre de corréler le niveau d’expression des symptômes annuels au taux d’infestation réel des maladies dans le vignoble.
Bibliographie :
– SRPV de Cognac.
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