Avec ce numéro spécial, Le Paysan Vigneron fête ses 80 ans. Il est né au milieu de l’année 1925, dans une optique bien précise, celle de préparer la naissance d’une coopérative, la Coopérative de Cognac et des Vins Charentais, plus connue sous le nom d’Unicoop. La structure verra le jour en 1930, en pleine période de dépression économique. Et puis Le Paysan « vivra sa vie », de manière de plus en plus autonome. Aujourd’hui, il constitue une sorte d’exception dans le paysage de la presse agricole française. Mensuel viticole régional, il est épaulé ni par une OPA, ni par un syndicat ni par une structure économique. Cette indépendance a un prix : l’équilibre des comptes, mois après mois, année après année. Merci à nos abonnés et à nos annonceurs qui permettent à cette utopie d’exister.
A feuilleter les centaines et les centaines de numéros – tous conservés et soigneusement reliés – qui émaillent ces années, une évidence saute aux yeux : la constance. Dans le fond, rien n’a beaucoup changé, ni au sein du journal ni dans la région de Cognac. Bernard Lucquiaud, petit-fils du fondateur, est toujours propriétaire-gérant du journal. Durant sa vie active et depuis qu’il est à la retraite, il a su être présent… sans être pesant. Est-ce dû à la qualité des relations tissées par B. Lucquiaud et ses prédécesseurs ? En 80 ans, l’équipe rédactionnelle fut marquée par une grande stabilité. A peine cinq ou six journalistes et encore moins d’éditorialistes se sont succédé au « marbre » de la revue. Même fidélité à une ligne rédactionnelle empreinte de « réalisme », marquée par un certain goût de l’efficacité, sans parti pris excessif et avec une dose suffisante d’indépendance. Plus technique que politique, le journal a toujours privilégié l’information « utile ». A noter une collaboration sans faille avec la Station viticole et le BNIC ainsi qu’un compagnonnage historique avec Le Vrai Cognac et la Fédération des Viticulteurs Charentais, premier syndicat viticole charentais, faut-il le rappeler. Des traces persistent avec la complicité liant le journal et la famille du Pineau.
De 1925 à 2005, la région a connu une alternance d’heures difficiles et « d’instants de bonheur fugace », illustrant à l’envi le caractère cyclique du Cognac. Mais, face à ces pics et à ces creux, viticulteurs et négociants ont fait preuve d’une belle constance, eux aussi. Jamais pris en défaut de réactivité, ils ont su s’adapter, avec un sens aigu de l’entreprise, doublé d’un indéniable esprit de conquête.
Une qnv à 8,3
Le 6 juillet dernier, l’assemblée plénière du BNIC, à l’unanimité des deux familles, s’est déterminée en faveur d’une QNV individuelle de 8,30 hl AP/ha pour la campagne 2005-2006. En faisant de la sorte, elle a suivi le modèle « mathématique » de fixation de la QNV, acté le 8 février dernier par l’interprofession. En 3 ans – de la récolte 2003 à la récolte 2005 – la QNV Cognac aura donc augmenté de 1,3 hl AP, passant de 7 hl AP/ha en 2003-2004, à 7,6 en 2004-2005 pour atteindre 8,30 hl AP/ha en 2005-2006 (sous peine d’être intégrée dans le prochain arrêté de campagne, ce qui ne devrait pas soulever de difficulté). La question sur toutes les lèvres : jusqu’où montera la QNV ? La seconde question, toute aussi prégnante : les prix vont-ils enfin augmenter ? Début juillet les représentants viticoles ont rencontré négociants et coopératives. Ils disent avoir reçu « une grande écoute ». Mais seront-ils entendus ? Les négociants reconnaissent tous peu ou prou un renchérissement des coûts de production dus aux normes environnementales et autres HACCP. S’ils estiment globalement absurde de rester au même niveau de prix, bien peu se déterminent pour une augmentation et encore moins sur son montant. L’inflation ? « Trop juste » estime la viticulture. « Depuis 15 ans, nous avons pris un retard colossal et les différentes augmentations de QNV auxquelles nous avons consenti n’ont pas été suivies d’effet. » Jeu de dupes ? La viticulture n’est pas loin de le penser. Elle prévient : « A défaut d’augmentation significative cette année, nos mandants nous demanderons l’an prochain de remettre en cause l’accord sur la détermination de la QNV. » Lors des contacts, a été noté un soutien à la politique contractuelle et à l’idée d’engagements pluriannuels, pour coller à l’affectation parcellaire. A été évoquée aussi la notion de prix plancher, à discuter de manière informelle entre partenaires. Au sujet de la politique de financement du stockage, la viticulture pointe du doigt la relation tripartite qui doit s’instaurer entre le banquier, le viticulteur et le négociant. « Pour que le banquier s’engage, il faut que le négociant s’engage. »
La dérogation admise
La dérogation à la QNV historique, qui arrivait à expiration le 31 juillet, a été prolongée de deux années supplémentaires par le comité de gestion vin de la Commission européenne, réuni le 7 juillet à Bruxelles. Cette décision qui, à un moment, ne paraissait pas acquise, est finalement passée sans difficulté. Le fait que le projet de réorganisation du vignoble des Charentes soit en bonne marche y a sans doute contribué. L’échéance de deux ans confirme ce qui se pressentait : la réforme de l’OCM semble bien programmée pour 2007. « Au niveau du calendrier, la Commission tient ses engagements », indique Azziz Allam, chef du département juridique du B.N. « L’étude réalisée en 2005 a été soumise aux intéressés. Les services vont rédiger un projet de réforme en 2006 qui sera débattu et finalisé en 2007. »
Les hauts rendements en bonne voie
Dans le Plan d’avenir viticole présenté par la région, la demande de hauts rendements (130 + 70) pour le vignoble destiné à la transformation tient une place à part. Présenté par beaucoup comme incontournable, ce déplafonnement du rendement sur une pièce du puzzle fait figure d’élément pivot, conditionnant la faisabilité du Plan. C’est dire l’attente de la région à son sujet. Le 30 juin, le conseil spécialisé des vins de pays à l’ONIVINS a validé le principe des hauts rendements pour les Charentes, une proposition soutenue par la Confédération nationale des vins de pays, présidée par Jean Huillet. « Nous avons pris en charge le dossier », a indiqué ce dernier. A signaler des « bilatérales » préparatoires entre Charentais et représentants des autres régions, méridionaux notamment. Un travail de conviction – d’aucuns diront de lobbying – des Charentais où « tout le monde à jeu », dixit le SGV Cognac, des J.A. au président de l’interprofession en passant par les représentants des vins de pays. Le 30 juin, le conseil spécialisé vins de pays a également proposé la remise en cause du principe de conditionnalité des aides (stockage, enrichissement) au rendement agronomique. Pour les observateurs, ce découplage des aides à la notion de rendement agronomique constitue « un atout formidable pour les Charentes ». « Le vent souffle dans le bon sens. » « La marge de manœuvre que le ministère ne peut pas donner en argent, il peut la consentir en volume. » Les points à l’ordre du jour du conseil spécialisé ont été soumis le 13 juillet dans leur ensemble au conseil de direction de l’ONIVINS, sans objection particulière de sa part. Cette absence de réaction constitue une présomption favorable pour le Pan charentais, même si l’on ne peut pas affirmer que le dossier soit entériné. Peut-être sera-t-il discuté lors du prochain conseil de direction de l’ONIVINS, prévu le 26 octobre prochain.
Le « team » charentais de foulon-sopagly
Les Charentes, vignoble de référence pour les jus de raisin ! Une nouvelle preuve en est donnée par les conditions de reprise de Foulon-Sopagly, n° 1 du secteur. Mis en vente par le groupe Pernod-Ricard pour les raisons que l’on sait – recentrage sur le cœur de métier des vins et spiritueux entamé dès 2000, acquisition toute fraîche d’une partie du groupe Allied-Domecq – Foulon-Sopagly vient d’être racheté par un pool d’acquéreurs, dont un tiers émane des Charentes. En effet sept distillateurs Martell se sont associés à trois membres du management Foulon-Sopagly et à un groupe de financiers* pour devenir les nouveaux propriétaires de la société mâconnaise. « Cela témoigne de notre enracinement charentais depuis dix ans », confirme Pierre Guyot, directeur de l’usine et responsable des achats. Lors de la dernière récolte, Foulon-Sopagly a acheté 850 000 hl du 1,1 million de jus de raisin écoulé par les Charentes. L’entreprise se fournit à 70 % dans la région, pour une raison stratégique : l’acidité. Car avec la couleur, l’arôme et le sucre, l’acidité représente l’un des quatre éléments sur lequel joue la palette d’expression du jus de raisin. Pour l’assembleur qu’est tout élaborateur de jus de raisin, le « bassin acide » des Charentes tient donc une place essentielle. D’où la « logique » charentaise dans la démarche de rachat. Sur un marché européen des jus de raisin estimé à 2 millions d’hl vol. (hors Espagne dont l’essentiel de la production est auto-consommée), la part de marché de Foulon-Sopagly, après avoir atteint 55 %, s’élève aujourd’hui à 45 %, ce qui en fait le leader européen du secteur. La société vend annuellement 900 à 950 000 hl de jus de raisin à une centaine de clients embouteilleurs, essentiellement nord-européens.
Courvoisier chez fortune brands
L’opération de rachat d’Allied-Domecq devrait être finalisée fin juillet, un peu après l’impression de ses lignes. C’est bien entendu le sort de Courvoisier qui intéresse au premier chef la région. Pour des raisons essentiellement liées aux lois antitrust – difficulté par exemple de faire cohabiter dans un même portefeuille Courvoisier et Martell – Pernod Ricard s’est associé à d’autres opérateurs pour négocier le rachat des actifs d’Allied-Domecq. C’est le groupe américain Fortune Brands qui, selon toute probabilité, devrait reprendre la maison jarnacaise (dans le même esprit, Pernod-Ricard a déjà cédé à Diageo un Whisky irlandais, Bushmill). Fortune Brands est une grosse compagnie américaine qui commercialise des spiritueux mais aussi des balles de golf ou de l’équipement de maison. Ce conglomérat apparaît donc un peu à contre-courant de la tendance à la spécialisation des groupes de spiritueux. Pour autant, il détient quelques beaux fleurons comme le Bourbon Jim Beam, n° 1 de la catégorie. Courvoisier va lui permettre de muscler son offre de spiritueux premium. Et pour Courvoisier, l’un des principaux avantages de la « solution » Fortune Brands consistera à être le seul Cognac du portefeuille. Essentiellement implanté aux Etats-Unis, Fortune Brands ne possède sans doute pas la puissance de feu de grands groupes internationaux. Mais outre que le marché américain peut être difficilement qualifié de marché régional – la moitié des spiritueux haut de gamme y est vendue – on peut imaginer que Fortune Brands se dote de nouveaux réseaux à l’export. A ce sujet, Fortune Brands participait au réseau de distribution mondial de Maxxium, avec Rémy Martin, la Vodka Absolut, le Whisky Jack Daniels. Qu’adviendra-t-il demain de ce réseau ? Il faudra bien attendre quatre ou cinq mois avant d’y voir clair dans le jeu de chaises musicales qui est en train de s’opérer sur la dépouille d’Allied-Domecq.
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