C’est l’un des aspects essentiels de la nouvelle Loi d’avenir agricole, sortie le 13 octobre 2014 : conférer aux Safer des moyens d’intervention renforcés, pour tenter de conju-rer les stratégies de contournement. Une batterie de mesures pour lesquelles tous les décrets d’application ne sont pas encore parus.
La transmission de parts sociales constitua longtemps une stratégie d’évitement du droit de préemption Safer, avec une autre technique, celle du démembrement nue-propriété/usufruit. Dorénavant, ça devrait être un peu plus difficile, même si, à coup sûr, des espaces où se glisser existeront toujours.
Juriste fiscaliste au CGO (Comptabilité Gestion Océan à Foncouverte [17]), responsable du pôle conseil, Armelle Bénard a exercé son regard de professionnel sur la Loi d’avenir agricole. Elle relie les points saillants de la réforme Safer aux situations de la réalité.
Préempter des parts sociales de sociétés
Un des aspects essentiels du nouveau dispositif concerne bien évidemment le droit des Safer de pouvoir préempter des parts sociales de sociétés. Ce n’était pas le cas jusqu’à présent. Pour mémoire, le droit de préemption de la Safer correspond à sa capacité de pouvoir se substituer, dans certaines conditions, à l’acquéreur initial. La loi du 13 octobre 2014 étend ce droit « aux cas d’aliénation à titre onéreux (vente) de parts sociales ayant pour objet l’exploitation ou la propriété agricole ». Le législateur y ajoute cependant deux critères : que l’exercice du droit de préemption ait pour objet l’installation et que la cession à titre onéreux porte sur la totalité des parts sociales. Pourquoi avoir ainsi limité la portée de la mesure avec ce critère de cession de la totalité des parts ? Réponse d’Armelle Bénard : « Conformément aux statuts des sociétés, la cession à un tiers suppose l’accord des autres associés, accord unanime ou accord à la majorité des deux tiers selon ce qui est prévu. » Concrètement, cela veut dire que la Safer ne peut pas entrer « de force » dans une société et, par définition, en cas de préemption, il y a rarement accord des personnes concernées.
A y regarder de plus près, la juriste du CGO relève d’autres points d’achoppement. Par exemple, que se passera-t-il en présence de Gaec ou d’Earl qui, selon leurs statuts, ne peuvent pas compter de sociétés morales en leur sein ? Bien sûr, une forme sociétaire peut toujours évoluer. Mais alors attention à ne pas encourir les conséquences économiques liées à la transparence des GAEC (autant d’aides économiques que d’associés) ou, pour les EARL, autant de DPI (Déductions fiscales pour investissement) que d’associés exploitants (dans la limite de 3). A la vérité, beaucoup de GAEC, EARL, SCEA ne possèdent pas d’immeubles. Le foncier, les terres et les bâtiments sont généralement la propriété des associés ou de GFA, SCI créés à côté. A ce propos, il est intéressant de savoir qu’une exception existe pour la Safer. Elle est quasiment la seule personne morale à pouvoir être associée d’un GFA. A ce titre, la Safer peut entrer dans un GFA, avec l’agrément des autres associés bien sûr.
Une conséquence semble découler de tout ce qui vient d’être dit précédemment : celui qui veut contourner l’intervention de la Safer a un moyen facile à sa disposition : la cession partielle. Armelle Bénard apporte cependant quelques bémols à cette solution par trop évidente. « La Safer est en mesure d’attaquer pour manquements à leurs obligations le vendeur ou l’acquéreur, en demandant au tribunal de requalifier le montage, si la cession s’avère trop rapprochée. Cela s’est déjà vu en cas de démembrement temporaire. Ces éléments sont très subjectifs. »
Usufruit et nue-propriété
Un autre élément important de la réforme concerne le droit de préemption des Safer en cas d’aliénation à titre onéreux de l’usufruit ou de la nue-propriété du bien. C’est l’article L 143-1 du Code rural qui ouvre dorénavant cette possibilité. Une avancée certaine mais qui, là aussi, mérite d’être relativisée. Car il semblerait que depuis la Loi de finances 2012, le démembrement nue-propriété/usufruit soit un peu passé de mode. A cause de sombres histoires de plus-values taxées à l’impôt sur le revenu et de CSG, le coût en serait devenu prohibitif. Sur le marché de « l’ingénierie juridique », de tels montages n’auraient pratiquement plus cours.
Une notification des cessions
La juriste fiscaliste de terrain relève une dernière modification, très impactante à ses yeux, apportée par la loi. L’article L 141 – 1 – 1 du Code rural prévoit une notification systématique de toutes les cessions de parts sociales de société à la Safer. Ce « droit de communication » accordé à la Safer doit être mis en œuvre par le notaire ou le cédant. Il intervient « à chaque fois qu’il y a cession (vente ou donation) de parts sociales de société ayant pour objet principal l’exploitation ou la propriété agricole ». Ce que la juriste a du mal à comprendre, c’est que cette obligation de notification joue même si aucun immeuble n’est concerné, comme dans le cas de cession de parts représentatives d’animaux, de stocks ou de matériel… « Cela va entraîner beaucoup de formalisme » constate-t-elle.
Il faudra attendre la sortie du décret d’application pour connaître avec précision les modalités de la notification. Mais cette obligation risque sacrément de rallonger les délais de cession, dans tous les cas de figure y compris les plus anodins. Pas sûr non plus que les Safer soient préparées à cet afflux de documents. Pourtant, il paraît difficile de s’y soustraire. Car des sanctions sont prévues, et pas des moindres. Certes, l’amende de 1 500 € – pénalité de « 3e classe » – paraît assez légère. Mais, dans certains cas, elle peut aller jusqu’à 2 % du prix de vente. Et la Safer peut aussi demander au tribunal de grande instance, en des circonstances particulières, la nullité de la vente et sa substitution à l’acquéreur. Une autre paire de manches !
A quoi va servir ce flot de renseignements ? Il est indiqué que la Safer « deviendra un vecteur d’information pour le contrôle des structures ». Ce qu’elle était déjà, soit dit en passant. Le texte a perdu beaucoup de sa portée quand le Conseil constitutionnel a supprimé la disposition qui permettait au Contrôle des structures de solliciter une nouvelle autorisation d’exploiter.
Alors, une mesure pour rien ? Ce n’est pas tout à fait l’avis d’Armelle Bénard. « Par le passé, les portes de chaque bureau de l’Administration étaient bien fermées. Aujourd’hui, elles sont ouvertes et les informations se croisent, entre PAC, demandes d’autorisation d’exploiter, notification de cession… Nous sommes rentrés de plain-pied dans l’ère de la circulation des données. »
Réforme Safer
Evolution ou révolution ?
Quelle portée accorder à la réforme des Safer inscrite dans la Loi d’avenir agricole ? Des gens du sérail – de la Safer – donnent leur avis.
« On ne peut que se réjouir de l’évolution initiée par la loi. Elle confère plus de force au droit de préemption de la Safer même si, dans la réalité, la mise en œuvre sera sans doute assez compliquée. Pour beaucoup de personnes, Safer rime avec droit de
préemption. C’est vrai et faux à la fois. Vrai parce que l’existence du droit de préemption, par son rôle dissuasif, contribue à la régulation du marché foncier. Faux car le droit de préemption ne représente qu’une toute petite partie de notre action : pas plus de 2 % alors que nous intervenons sur environ 10 % du marché total. Ce que l’on peut regretter par rapport à ce nouveau cadre législatif, c’est que tous les décrets d’application ne soient pas encore sortis. Car ces textes vont grandement conditionner l’efficacité de la loi. Ce sera la somme des petits points – délai au-delà duquel le droit de préemption de la Safer ne peut plus jouer… – qui dira si, oui ou non, les Safer détiennent plus de
moyens pour exercer leurs missions. Après, il est clair que tous les dispositifs imagi-nables ne dissuaderont jamais ceux qui veulent passer outre.
L’avancée la plus significative apportée par la loi concerne sans doute la transparence du marché foncier. La connaissance de tous les mouvements fonciers va enfin être possible. Après, qu’il y est préemption ou pas, c’est une autre histoire. Mais introduire de la transparence représente un pas en avant fondamental. L’obligation d’information existait déjà. Sauf qu’il n’y avait pas de pénalité. Aujourd’hui, les pénalités vont de 1 500 € au moins à 2 % de la totalité du prix de la transaction au plus. C’est assez dissuasif.
Cette évolution législative concernant les Safer résulte d’un gros travail de lobbying exercé par les Safer elles-mêmes. Il n’y a pas si longtemps, l’on s’interrogeait encore sur la persistance des Safer. Allaient-elles disparaître, rejoindre les établissements publics fonciers ? Les Safer et leur entité nationale, la FNsafer, ont beaucoup communiqué sur leurs savoir-faire, leurs missions, leur bilan. Le législateur les a entendues et décidé non seulement de conserver les Safer mais encore de conforter leurs missions. En parallèle, la gouvernance des Safer a changé avec, notamment, l’introduction d’un volet environnemental. D’un point de vue organisationnel, cela se traduit par l’existence de trois collèges, l’un pour l’agriculture, l’autre pour les institutionnels et le troisième, justement, où siègent les représentants de l’environnement. »
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