Démographie des professionnels de santé, dossier médical partagé, coordination des soins à l’intérieur de réseaux, paiement forfaitaire au lieu de paiement à l’acte, délégation de tâches aux infirmières, réflexion sur le numerus clausus… Principalement axée sur le financement, la réforme de la Sécurité sociale sert également de révélateur à un débat plus large, celui de la santé publique et de l’organisation des soins.
Courant mai, l’URCAM Poitou-Charentes* a tenu ses troisièmes journées de la santé à La Rochelle, Angoulême, Niort et Poitiers. Un mois avant, Jeannette Gros, présidente nationale de la MSA, était venue à Saintes inaugurer l’Oasis Fleurie, la maison d’accueil des familles d’hospitalisés. Ces deux éclairages permettent de se faire une idée des réflexions en cours sur le thème de la santé publique.
A Angoulême, l’URCAM avait principalement axé son intervention sur l’accès aux soins. Un problème qui commence à devenir préoccupant dans certaines zones rurales. Car, dans les deux-trois ans à venir, les statistiques indiquent un pic de départs à la retraite de médecins. Seront-ils remplacés par la nouvelle génération ? A vrai dire, après dix ans d’études, les jeunes diplômés ne se pressent pas pour venir s’installer à la campagne. Ils craignent par-dessus tout l’isolement, qui risque de se traduire par des astreintes supplémentaires en terme d’horaires. Si la disponibilité 24 heures sur 24 est à classer parmi les accessoires du passé, faut-il encore organiser les tours de garde et les remplacements. Certes, le Centre 15, avec un régulateur et un médecin au bout du fil, a apporté de vraies réponses à la médecine ambulatoire, en éliminant notamment les appels farfelus – un certificat médical à 21 heures le soir – mais tout n’est pas réglé pour autant. Ainsi, par exemple, au sein même du corps médical, la solidarité entre médecins de ville et médecins de campagne a du mal à fonctionner. Les médecins de ville, qui pourraient prendre une part des astreintes de leurs collègues de la campagne, en sous-effectif, rechignent à le faire. Pour le médecin en milieu rural se pose aussi la question de l’emploi du conjoint, de l’environnement éducatif des enfants, des aspects du problème qui ont davantage à voir avec l’aménagement du territoire qu’avec la médecine pure. Mais l’aménagement du territoire fait-il partie des priorités gouvernementales ?
La menace de « zones blanches »
Pour inciter les médecins libéraux à faire leur « come-back » dans les zones « blanches », c’est-à-dire menacées de désertification médicale, se sont constitués des comités régionaux de démographie médicale au sein des URCAM. Leur premier objectif a consisté à identifier les zones fragiles, en choisissant une échelle pertinente, pas forcément celle du canton d’ailleurs mais plutôt celle de zones d’attractibilité d’environ 5 000 hab. Sur les remèdes à apporter, les pistes de réflexions sont multiples. Il y a bien sûr les incitations financières directes – prime de 10 000 €, aide aux cabinets groupés – ou le « petit plus » constitué par une étude de marché gratuite pour les jeunes médecins. Cependant, ces motivations sont considérées comme accessoires. Les membres des comités consultatifs ont tendance à considérer l’organisation collective des soins comme une piste bien plus porteuse. C’est l’idée de la prise en charge des malades en réseau. A titre expérimental, dix-neuf réseaux inter-régimes fonctionnent aujourd’hui en France, dont une majorité de réseaux gérontologiques. Mais force est de constater que ces réseaux marchent d’autant mieux qu’ils ont une attache hospitalière. Dans le cadre de la médecine libérale, qui va payer les frais d’organisation ? Cette notion de prise en charge globale et pluridisciplinaire véhiculée par le réseau renvoie à la question du paiement : paiement à l’acte ou forfaitaire ? Pour les pathologies chroniques – traitement du diabète, du cancer… – le paiement forfaitaire a ses adeptes. Le dossier médical partagé, prévu dans le projet de loi présenté par Ph. Douste-Blazy s’inscrit de plain-pied dans cette tentative de mieux organiser des soins et, quelque part, « soigner mieux en évitant les gaspillages ». Au gouvernement, on compte beaucoup sur l’informatisation du dossier médical et donc sur le dossier médical partagé (DMP) pour entraîner la coordination des soins et, en même temps, chasser le gaspi. N’évalue-t-on pas à 3,5 milliards d’€ le coût des examens redondants et de la duplication des actes. C’est pourquoi il est prévu que le DMP s’applique très vite – en particulier pour les personnes en affection de longue durée (ALD) sans attendre la fin des trois ans d’expérimentation prévus par Jean-François Mattei. Certains médecins émettent pourtant des réserves et parlent de précipitation. « La façon de mettre en place le DMP déterminera son efficacité. Il faut d’abord que les médecins apprennent à travailler ensemble, sinon ce sera un coup d’épée dans l’eau. Un dossier qui se contenterait d’empiler toutes les données a des chances de n’être qu’une usine à gaz. » La place de l’infirmière à l‘intérieur du cabinet médical suscite également des réflexions. Pour soulager le médecin, ne pourrait-on pas lui déléguer certaines tâches aujourd’hui accomplies par le généraliste, comme cela se passe en Angleterre ? Mais, pour l’heure, ces tâches ne sont pas prévues à son statut et il faudrait une réforme réglementaire.
Une meilleure répartition des professionnels de santé
Plus généralement les gestionnaires de la santé s’interrogent sur la répartition des effectifs de santé. Chez les étudiants, le métier de spécialiste a tendance à l’emporter sur celui de généraliste. À l’intérieur même des spécialités, on se heurte à certaines incohérences. Alors que l’on manque de chirurgiens et d’anesthésistes – spécialités à forte responsabilité et donc à risque – les étudiants leur préfèrent souvent des spécialités moins soumises à pression et plus rémunératrices. Car, au sortir de dix années d’études, la profession médicale brille par un écart des revenus qui peut aller de 1 à 4 voire de 1 à 6, les moins bien payés étant les psychiatres et les pédiatres, et les mieux payés les praticiens de l’imagerie médicale. Les pouvoirs publics testent actuellement un système d’incitation, pour encourager les étudiants à se diriger là où se porte la demande de soins. Verra-t-on un jour un numerus clausus s’appliquer aux spécialités ? Certains l’évoquent, surtout si la politique d’incitation se soldait par un échec. Parlant numerus clausus, le nombre d’étudiants admis en première année de médecine va passer pour la rentrée 2004-2005 de 5 500 à 7000. Une avancée en terme d’offre de soins, « mais pour quoi faire et pour aller où ? » s’interrogent les représentants de l’Urcam.
« une sécurité sociale solidaire »
Jeannette Gros, lors de son passage en Charente-Maritime, a défendu bec et ongles une « Sécurité sociale solidaire » et donc la réforme du système pour assurer sa survie. « Aucune famille, a-t-elle dit, n’est capable de supporter les frais d’un plateau technique nécessaire au traitement d’un cancer. » Elle s’insurge contre l’idée de création d’une cinquième caisse, pour les personnes âgées et les handicapés. « Cela n’aurait pour effet que de stigmatiser l’attention sur un groupe de personnes et ça casserait la solidarité. Nous sommes contre tout ce qui peut aller dans le sens de la sélection du risque. » La présidente de la MSA a rappelé qu’en régime agricole, 20 % des personnes étaient prises à 100 % contre 12 % dans le régime général. J. Gros est une dithyrambe des réseaux gérontologiques qui allient le social au médical. « Il faut apprendre à travailler de façon décloisonnée, même si en milieu rural, les généralistes doivent rester les médecins de références. » Elle croit aux vertus de l’expérience de terrain – « ce que l’on veut prouver, il faut l’expérimenter » – et, en ce sens, elle pense que la MSA peut apporter sa pierre aux réseaux gérontologiques. « Nous disons à l’Etat : laissez-nous faire plus. » Pour la prise en charge des personnes âgées, elle défend les petits hôpitaux contre les grands CHU. « Ils ne marchent jamais alors qu’en gérontologie, les hôpitaux locaux sont au cœur du dispositif. » Le dossier médical partagé, non seulement elle y est favorable mais elle fait confiance aux généralistes du milieu rural pour être en avance par rapport à leurs confrères des villes. « La France profonde n’est pas toujours où on le croit. » Cette agricultrice du Haut-Doubs, pratiquant l’agriculture de montagne, spécialisée dans la fabrication du Comté, professeur de français avant de revenir sur la ferme avec son mari, pense « qu’il faudra demain des gens courageux » pour que la réforme de la Sécu aille dans la bonne direction. Gageons qu’elle fera partie de ces gens-là, elle dont la rude région, la Franche-Comté, a développé un sens aigu de la coopération et de la solidarité.
(*) Au niveau régional, l’urcam est une structure de concertation et de dialogue sur la protection de la santé, dans ses aspects de prévention notamment. Son conseil d’administration regroupe des représentants des quatre grands régimes de Sécurité sociale : le régime général qui couvre les salariés de l’industrie, du commerce, des services et de certaines catégories d’emplois assimilés à des salariés (il protège plus de 80 % des Français soit environ 47 millions de personnes) ; le régime agricole qui couvre les exploitants, les salariés agricoles et les secteurs rattachés à l’agriculture (il protège 5 millions de personnes) ; les différents régimes pour les travailleurs non-salariés non-agricoles (artisans, commerçants…) [ils protègent 3,5 millions de personnes] ; les régimes spéciaux (SNCF, EDF, GDF…) qui couvrent environ 2,5 millions de personnes.