Un an après avoir évoqué les présages du Dragon, voici l’aube d’une nouvelle année lunaire, celle du Serpent de bois. Si la symbolique du serpent – sagesse, perspicacité et patience – paraît de bon augure, la réalité du terrain et des marchés invite à davantage de prudence. L’année qui se profile annonce alors une progression sinueuse, nécessitant, comme le reptile, de muer pour s’adapter sans y laisser trop d’écailles…
Quand le vent du changement se lève, certains construisent des murs, d’autres des moulins
Alors que l’horizon international n’offrait déjà guère de réconfort, notamment fort d’une enquête anti-dumping chinoise poursuivant son cours, le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche sur le premier marché du cognac est annonciateur de surtaxes, ajoutant un noeud supplémentaire à un sac déjà plein. Si on ne connaît pas leur niveau, leur adoption laisse peu de doute sur un marché déjà chahuté : une baisse de plus de 40 % des ventes au premier trimestre 2024 comparé à 2021, pour une eau-de-vie charentaise ayant perdu du terrain face à d’autres spiritueux plus accessibles – la tequila en tête, commercialisée autour de 25 $ quand le cognac se positionnait à 40 $. En embuscade, la tendance des no-low se confirme par ailleurs, continuant sa progression avec des taux de croissance à deux chiffres. Un intérêt croissant des consommateurs pour ces produits qu’il convient d’étudier (voir dossier dans ce numéro p. 18 à 27).
Qui plante un arbre pense à demain, qui plante du riz pense à aujourd’hui
La filière Cognac est mise à mal : un retard de 8 % sur les volumes de vente par rapport aux projections initiales, des stocks représentant plus de 11 années de rotation et une perte vertigineuse équivalente à 11-12 années de croissance en à peine deux ans. Dans ce contexte, la révision à la baisse du rendement annuel cognac 2025, qui s’annonce inférieur aux 8,64 hl AP/ha de 2024, apparaît comme inéluctable. Six, sept, entre les deux un peu au-dessus, si l’outil de projection de la filière, établi en début de mandature, mouline aujourd’hui pour proposer une mise à jour du sacro-saint chiffre du rendement annuel cognac, ce sont bien les professionnels de la filière Cognac qui auront le dernier mot sur son niveau. Un exercice politique bien plus difficile à conduire en période de crise. Arriver à un niveau acceptable pour et par tous, ne mettant pas en danger l’avenir de la filière sur le court terme, en partageant le risque, mais aussi sur le plus long terme. Car plus le niveau retenu sera éloigné du résultat du business plan, plus la reprise sera longue. Agir pour assurer le présent, sans pour autant hypothéquer l’avenir… Pas simple.
Un chêne qui plie mais ne rompt pas ?
Alors que les vents contraires redoublent leurs efforts pour déraciner ceux de qui la tête au ciel était voisine, la filière s’organise. Le dispositif d’adaptation du vignoble, en cours de finalisation, vise à mettre à disposition des propriétés viticoles un outil d’adaptation permettant de limiter les pertes de marge, et ce malgré la baisse du rendement annuel cognac, en arrachant temporairement des surfaces de vignes tout en conservant les autorisations de plantation en portefeuille et surtout sans perdre de droit à produire pour le cognac. Avec un rendement maximal de 12 hl AP/ha, il offre une première réponse, même si sa mise en oeuvre ne sera une réalité que pour une partie des exploitations de l’appellation. A noter, les instances s’engagent à communiquer les nouveaux objectifs au plus tard en mars, permettant ainsi aux viticulteurs d’adapter efficacement leurs surfaces pour 2025.
Autre enjeu et non des moindres cristallisant les inquiétudes, celui des stocks, véritable « or liquide » des producteurs, se fait toujours jour. De fonds de commerce à fardeau, il n’y a qu’un pas, impactant tant le volume des transactions que la valeur même des eaux-devie dans un contexte où l’absence de transactions significatives complique l’évaluation des eaux-de-vie. Un vrai risque dont les conséquences ne sont pas à sous-estimer. Ceux qui ont traversé les précédentes crises s’en souviennent…
La patience est un arbre dont la racine est amère, mais dont les fruits sont très doux
À l’image du serpent, patient et observateur, la filière devra faire preuve de sagesse et d’adaptabilité. Le plan d’adaptation du vignoble
et les réflexions sur les débouchés alternatifs, dans un contexte de mise à jour du business plan, constituent autant de
mues nécessaires pour traverser cette période, en espérant que la sagesse l’emporte sur les tensions géopolitiques qui menacent les marchés historiques. Une espérance, un voeu (la période s’y prête), personne ne se risquant aujourd’hui à évoquer un horizon ou un niveau de reprise. « Ca repartira, ça repart toujours. » Quant au quand, au comment et au combien… ni l’histoire, ni les astres, fussent-ils chinois, ne le disent encore…
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