Le vignoble s’engage-t-il dans un cycle de développement inédit ?
Les récentes décisions de l’interprofession pour accompagner l’expansion de la filière Cognac à plus long terme se sont concrétisées par la fixation des besoins en eaux-de-vie pour les deux récoltes à venir. Cette décision symbolique forte après un niveau de distillation record en 2018 atteste de la confiance des acteurs de la viticulture et du négoce dans le développement de la filière. Les propos de Patrick Raguenaud, le président du BNIC témoigne de la période d’expansion économique que vit actuellement la région délimitée.
– Revue Le Paysan Vigneron : – Après la très récolte 2018, quels volumes d’eaux-de-vie le vignoble de Cognac a-t-il produit et mis en stock,
Patrick Raguenaud : – Même si certaines zones du vignoble ont été durement affectées par des sinistres de grêles, la nature en 2018 s’est montrée globalement bien généreuse. Le gel du printemps 2017 qui avait contraint un certain nombre de parcelles à « du repos forcé », a favorisé la qualité de la sortie l’année dernière. Ensuite, la précocité du cycle végétatif a permis aux raisins d’ugni blanc d’atteindre une maturité poussée. La région a produit en 2018 un volume d’eaux-de-vie commercialisable important de 970 827 hl d’AP. Cette production intègre l’entrée de 25 736 hl d’AP de réserve climatique et la sortie de 18 913 hl d’AP de réserve climatique. Le stock régional de réserve climatique de 109 627 hl d’AP est en légère diminution par rapport à celui de l’année dernière.
– R.L.P.V : – Cette production d’eaux-de-vie en 2018 a donc été supérieure aux besoins calculés par le Business Plan ?
P Raguenaud : – Les données établies par le Business Plan prévoyaient des besoins de production à la hauteur de 902 000 hl d’AP et au final grâce à une nature généreuse, les mises en stock ont été supérieures de 70 000 hl d’AP. Ce volume supplémentaire n’est nullement inquiétant. Il vient en fait compenser le déficit de la récolte 2 017 ou la production suite au gel de printemps n’avait été que de 710 838 hl d’AP pour des besoins de 807 000 hl d’AP. Le surplus de la récolte 2 018 a permis à l’ensemble des acteurs du négoce de pouvoir s’approvisionner normalement et l’écoulement de la production s’est déroulé dans de bonnes conditions. Ensuite, l’apport de ces volumes supplémentaires ne crée pas une situation de surstockage au niveau de la région. Le BNIC grâce au Business Plan suit de très près l’évolution du stock régional par compte d’âge en le corrélant aux besoins par qualité des principaux marchés. Le stock disponible des comptes 0 à 5 n’a pas encore le niveau correspondant aux éléments calculés par le BP. On s’en rapproche mais n’y est pas encore arrivé d’autant que la dynamique d’expansion des expéditions reste toujours positive.
– R.L.P.V : – La bonne dynamique des ventes de Cognac de la dernière décennie vous paraît être représentée les fondations d’un développement solide pour l’avenir ?
P Raguenaud : – Au cours des 15 dernières années, le taux de croissance moyen annuel des expéditions a été de 3,5 % ce qui est une belle performance. Il faut noter qu’un tel niveau d’activité correspond aux prévisions du B P. L’économie du Cognac repose sur deux marchés forts, les États Unis, la Chine, une stabilité en Europe de l’Ouest et des marchés émergeants prometteurs dans diverses régions du monde. L’autre fait marquant de cette croissance est qu’elle repose sur les tous segments de qualités, les VS, les VSOP et les XO. Les cycles économiques porteurs sont toujours favorables au développement des ventes de Cognac. Notre produit a tous les ingrédients du succès. Les consommateurs recherchent des produits authentiques, ayant une histoire, reliés à des terroirs et incarnant excellence en termes de qualité. Ce sont les atouts du Cognac. Aussi, la poursuite d’une trajectoire de développement des ventes de 3 à 3,5 %/ an pour la décennie à venir paraît réaliste.
– R.L.P.V : – Le marché Américain qui représente le socle du développement de l’économie du Cognac depuis plus de deux décennies vous semble-t-il être dans une phase d’expansion pérenne ?
P Raguenaud : Au début de la dernière décennie, certains observateurs pensaient que ce marché était « mature » mais depuis, sa croissance a été ferme et constante. Certes la crise financière entre 2007 et 2009 a eu une incidence sur une courte période mais ensuite les expéditions ont retrouvé une forte expansion. De belles perspectives de développement des ventes de Cognac existent encore aux États Unis car l’économie de ce grand pays est toujours dans un cycle de prospérité. Pour le Cognac c’est actuellement le premier débouché en volume (42 % des volumes expédiés) et le second en valeur. Les dernières statistiques du mois de mai attestent d’une croissance des expéditions toujours soutenue en hausse 4,2 % sur l’année civile. Le mix qualité a aussi légèrement évolué en un an avec une progression des VSOP (27,1 % des volumes en 2019 contre 27,1 % en 2018) au détriment du VS (68,5 % des volumes en 2019 contre 70,2 % en 2018).
– R.L.P.V : – Le marché d’Extrême-Orient porté à 80 % par la Chine qui est le premier débouché en valeur peut-il être pénalisé par le ralentissement économique observé dans cette partie monde ?
P Raguenaud :- L’extrême-Orient représente pour le Cognac un débouché porteur depuis maintenant deux décennies et l’intérêt des Chinois pour le Cognac laisse penser que de bonnes perspectives existent. La dimension de ce pays, la croissance économique encore supérieure à 5 % et le dynamisme des grandes zones urbanisées, laissent penser aux acteurs du Cognac bien implantés que la demande pour les eaux-de-vie Charentaise est loin d’être saturée. C’est un marché essentiel à la fois sur le plan des volumes et vis-à-vis de la valorisation. La progression des ventes qui s’établit à plus de 6 % sur l’année civile au 31 mai dernier est portée par les qualités supérieures. Le mix qualité des ventes avec seulement 10,5 % de VS (11,4 % en 2018), 65,7 % de VSOP (66,7 % en 2018) et 23,8 % de XO (21,9 % en 2018) est unique et très important pour l’équilibre économique de la région. À côté du géant Chinois, d’autres marchés en Asie connaissent aussi un fort développement.
– R.L.P.V : – Les fortes tensions entre la Chine et les États Unis représentent une source d’inquiétudes car ces deux marchés sont essentiels pour la filière ?
P Raguenaud : Les enjeux des prochaines élections Américaines et la bataille pour le leadership économique entre ces deux superpuissances inquiètent tous les pays développés et aussi les grands groupes. Pour l’instant les tensions entre la Chine et les États Unis n’ont pas eu de conséquences sur les expéditions régionales. Il faut être vigilant mais notre influence sur les décideurs politiques étrangers est très limitée. Par contre, nous devons bien expliquer ce que représente l’économie du Cognac. C’est l’un des rares produits qui est exporté à plus de 98 % et dont les retombées économiques locales sont fortes. 60 000 à 70 000 emplois sont directement ou indirectement liés à notre activité. La mise en place de mesures de rétorsion commerciales serait bien sûr préjudiciable mais pour l’instant on n’en est pas là. De toute façon, face à des cycles économiques ponctuellement défavorables, il ne faut jamais surréagir. C’est l’un des enseignements de la crise financière aux Étais Unis en 2007, 2 008. Dans cette période, après deux semestres difficiles, les ventes ont ensuite redémarré à un rythme encore plus soutenu.
– R.L.P.V : – L’interprofession et la région vivent un cycle de développement dont la gestion nécessite l’implication de tous les acteurs de la viticulture et du négoce ?
P Raguenaud : – La période d’expansion économique de la filière Cognac que nous vivons est abordée avec la volonté de s’appuyer sur travail collectif et constructif entre les deux familles de la viticulture et du négoce. L’apport du Business Plan représente une véritable caution pour nourrir les différentes réflexions concernant la gestion et le développement futur de la production d’eaux-de-vie. C’est un outil de prospective au service de la collectivité que l’interprofession a appris à gérer. Sa version actuelle plus complète, plus précise s’est enrichie du vécu de l’économie régionale depuis 15 ans. Les récentes études sur la productivité et la gestion du stock régional par compte d’âge permettent d’aller plus loin. Les conclusions du BP nourrissent le dialogue entre la viticulture et négoce sur des bases plus rationnelles et permettent d’aborder les différents aspects du développement de la filière dans un climat de dialogue constructif. Il est capital pour l’avenir de la filière de se projeter dans le long terme et de se fixer des objectifs de production pour plusieurs campagnes et peut-être à terme sur une mandature complète.
– R.L.P.V : – La récente annonce des besoins de production pour les deux campagnes est donc l’aboutissement de cette stratégie ?
P Raguenaud : – Effectivement, le modèle production Cognac fonctionne sur une échelle de temps assez longue. Le souhait des professionnels est de faire partager aux opérateurs la compréhension de nos objectifs et de les y associer. Ce sont des éléments essentiels pour que la filière s’organise , soit en mesure de se structurer et aborde sérieusement l’expansion du potentiel de production. C’est pour cette raison qu’à l’issue du comité permanent du 25 mai dernier, les besoins de production ont été fixés pour les récoltes à venir. Il sera en 2019 de 922 411 hl d’AP avec une proposition de rendement annuel Cognac minimum de 11,77 hl AP/ha. En 2020, les besoins estimés à ce jour s’établissent à la hauteur de 950 242 hl d’AP avec un niveau annuel de rendement Cognac minimum de 12 hl d’AP/ha. La démarche de fixation des rendements annuels sera réajustée chaque année durant le mois de septembre à, partir des prévisions de récolte fournies par la Station Viticole du BNIC.
– R.L.P.V : – La fixation du rendement annuel Cognac en deux temps est donc pérennisée ?
P Raguenaud : – L’objectif prioritaire est de satisfaire les besoins en eaux-de-vie commercialisables de la filière. Le fait de fixer le rendement Cognac en deux temps permet de s’adapter aux spécificités des potentialités de production de chaque millésime. En 2018, la fixation du niveau de rendement à 14,72 hl d’AP/ha qualifiée par certains acteurs de « stratosphérique » était pourtant l’aboutissement d’une démarche raisonnée. Il a été décidé de laisser la possibilité aux propriétés qui avaient la capacité de produire plus de le faire pour compenser le déficit des secteurs grêlés. C’est un choix assumé et cohérent par rapport au contexte de marché actuel.
– R.L.P.V : – Les possibilités de produire des volumes de réserve climatiques deviennement de plus en plus limitées ?
P Raguenaud : – Effectivement, les niveaux de rendements Cognac élevés ont comme conséquence de limiter la production de réserve climatique qui est pourtant un outil de régulation des besoins intéressant. La priorité actuelle est d’alimenter le marché en eaux-de-vie commercialisables.
– R.L.P.V : – La fixation de niveaux de rendements Cognac annuels très élevés vous paraît-elle être une stratégie pérenne ?
P Raguenaud : – Dans le contexte actuel de forte demande en eaux-de-vie, de tels rendements s’imposent pour satisfaire les besoins des marchés. La surface actuelle du vignoble ne permet pas d’envisager les choses autrement. Le projet d’extension du vignoble acté par l’interprofession devrait permettre de revenir à des niveaux de productivité moindre sur chaque hectare dans l’avenir. D’ailleurs, cette stratégie des rendements hauts ne peut pas être pérenne vis-à-vis des enjeux environnementaux. La filière Cognac s’est engagée dans une démarche globale de viticulture durable ambitieuse avec la certification HVE. C’est une priorité pour l’avenir car les consommateurs dans le monde entier sont demandeurs de méthodes de production plus respectueuses de l’environnement. Les méthodes de conduite du vignoble Charentais vont connaître dans la décennie à venir des évolutions profondes sur lesquelles les techniciens régionaux travaillent beaucoup.
– R.L.P.V : – L’extension programmée du vignoble va engendrer de gros investissements lourds portés en majorité par la viticulture. L’interprofession en a-t-elle chiffré le coût ?
P Raguenaud : – D’ici 5 ans, le vignoble va être à la fois grandir et rajeunir dans le cadre d’une démarche structurée. Le chiffrage précis des charges liées à l’implantation de 8 000 à 10 000 ha de plus n’a pas encore été abordé. Je pense que cela fait partie des dossiers auxquels il va falloir s’intéresser. Les études engagées au sein de l’interprofession depuis longtemps sur l’étude des coûts de production constituent déjà une base d’information de référence sur laquelle, il devrait être possible de s’appuyer pour réaliser ce travail.
0 commentaires