« Just-In » : une chauffe pensée pour les eaux de vie

9 mai 2019

Une conduite des chauffes pilotée à l’œil et au nez par le tonnelier

 

            Willy Navarre est un jeune tonnelier trentenaire qui construit son itinéraire professionnel en faisant preuve de sens de l’écoute des attentes des utilisateurs de barriques neuves dans la région de Coganc. Il a perçu dès le début des années 2010 que des distillateurs de profession et des bouilleurs de crus étaient à la recherche de fûts libérant plus de potentiel aromatique dans les eaux-de-vie. Cette réflexion bien que n’étant pas réellement nouvelle  a mobilisé son énergie et les moyens de la Tonnellerie Navarre. Il a développé un principe de bousinage innovant destiné à favoriser les extractions de composés aromatiques propres à chaque type de bois.

La démarche a été initiée depuis maintenant presque 10 ans en travaillant avec quelques clients dont le souhait commun était d’utiliser des barriques ayant la capacité de libérer « plus d’arômes ». Au sein de toutes les PME de tonnellerie, les démarches d’innovation sont généralement impulsées et portées par le chef d’entreprise qui est en quelque sorte, le coordinateur des enjeux de fabrication et commerciaux. W Navarre a eu cette démarche ; Il a pris en considération les attentes des clients, puis a imaginé un procédé de bousinage innovant et ensuite en l’a testé pendant 5 à 6 années avant de le lancer  largement.

 

Un tour de France des pratiques de Tonnellerie pour parfaire sa formation

 

Malgré sa jeunesse, W Navarre s’est forgé une expérience riche en effectuant un petit tour de France des tonnelleries pendant quelques années avant de revenir dans l’entreprise familiale. Après sa formation dans l’univers des barriques « Cognac », il est parti ailleurs parfaire ses connaissances en matière de bois, de pratiques de tonnelleries et d’adaptation des produits à une diversité de vins et de spiritueux. La découverte des spécificités de la fabrication à Bordeaux, en Bourgogne, …. a été pour lui un véritable cursus de formation complémentaire en accéléré. Cela lui a permis de mieux comprendre à la fois les aspects fondamentaux et très pratiques du bois et des barriques. Il a tissé des relations fortes avec une série d’acteurs différents, des exploitants forestiers, des courtiers en bois, des mérandiers, des tonnelleries artisanales et plus industrielles qui lui ont permis de se forger un regard différent et ouvert sur la fabrication des fûts. Dès son retour dans l’entreprise familiale, Didier Navarre, son père lui a confié la responsabilité de réaliser tous les bousinages des barriques neuves et reconditionnées.

 

Renforcer la typicité aromatique des douelles, un challenge de passionné

 

            La méthode de bousinage historique de cette entreprise était fondée sur des principes traditionnels, un cintrage au cabestan et une chauffe réalisée avec des chaufferettes classiques. La gestion du feu durant le bousinage faisait l’objet d’une attention et « d’un coup de main » propre aux hommes de cette entreprise. Le challenge permanent était d’adapter les spécificités de conduite des chauffes à la nature du bois et surtout aux attentes des clients. La fabrication régulière de barriques neuves pour plusieurs distillateurs de profession et des bouilleurs de cru a permis à W Navarre d’approfondir ses connaissances sur l’utilisation du bois dans l’univers des eaux-de-vie de Cognac. Un dialogue plus étroit avec plusieurs clients a débouché sur un constat commun de leur part : « ne serait-il pas possible de renforcer la typicité aromatique exprimée par les barriques en gros grains ou en grains fins ».

 

Amplifier et emprisonner les belles « senteurs » dans le bois

 

             Les méthodes de travail mises en œuvre au sein de la tonnellerie Navarre s’avéraient satisfaisante mais peut-être pas suffisamment adaptées à plus d’expression aromatique. Le jeune tonnelier qui a été sensible à cette remarque, a décidé de réfléchir comment concentrer plus d’arômes dans les fûts neufs. Son idée a été d’essayer de faire évoluer le procédé global de bousinage : « Dans une petite société comme la nôtre, nous n’avons pas les moyens financiers des grands groupes pour mettre en place des partenariats d’études avec des chercheurs. Par contre, nous possédons une connaissance profonde du bois et de toutes les étapes de fabrication des fûts. Les premiers essais nous ont permis de comprendre pourquoi certains arômes s’échappaient des barriques et d’autres étaient fixés par les douelles. Par moments, lors des chauffes, des bonnes odeurs se dégageaient alors que deux heures plus tard, la fabrication d’un autre fût se déroulait différemment. Les belles senteurs étaient moins présentes. On s’est dit qu’il fallait à la fois amplifier l’extraction de ces arômes et ensuite trouver un moyen de les emprisonner dans le bois. Au départ, cette idée pouvait paraître ambitieuse mais dès les premiers essais on s’est dit qu’il était possible de faire des choses ».

 

Valoriser l’approche artisanale et la fonction du tonnelier

 

            À partir de 2011, des essais de diverses barriques tests ont été effectués avec le concours de quelques clients. Les retours des dégustations d’eaux-de-vie  ont permis à W Navarre de faire évoluer sa méthode de fabrication : « Progressivement, on a totalement repensé la méthode de bousinage sans remettre en cause le principe des chaufferettes classiques. Il était capital pour nous de conserver cette approche artisanale des choses pour valoriser le potentiel des bois. On est parti du principe que le fondement de notre métier reposait avant tout sur la valorisation du travail du tonnelier. Progressivement, on s’est rendu compte lors des chauffes que l’appréciation visuelle du déroulement du bousinage s’accompagnait de dégagement d’odeurs caractéristiques dont la perception attestait du bon déroulement du processus. La fonction du tonnelier devait évoluer et intégrer une capacité à utiliser son nez pour sortir le meilleur du bois. Le tonnelier doit devenir en quelque sorte un « faiseur » de la concentration aromatique des douelles ».

 

Les points clés de la Chauffe à Cœur :

 

– Un procédé artisanal imaginé par Willy Navarre et développé par la Tonnellerie Navarre

– Un objectif prioritaire : Amplifier et emprisonner les arômes dans le bois

– Une approche faisant évoluer les concepts habituels de bousinage avec les chaufferettes

– Une méthode pensée pour mettre en valeur le travail du tonnelier

– Le tonnelier devient un faiseur d’arômes

– Trois étapes clés et bien différenciées :

– 1 : Le cintrage au cabestan,
– 2 : Le bousinage à la chaufferette
– 3 : Une étape de concentration aromatique
– L’alimentation des chaufferettes repensée grâce à un travail sur le combustible
– La recherche d’un feu d’une intensité de feu pas très intense, surtout régulière et sans effets de surchauffe
– Un bousinage long et régulier qui devient plus facile à suivre et à maîtriser
– Les beaux arômes qui se dégagent lors des chauffes attestent du bon déroulement de cette phase
– Une durée de bousinage longue de 40 minutes à une heure
– Une extraction aromatique à la fois en surface et en profondeur
– Une phase de concentration aromatique dans une atmosphère confinée

Piloter le feu avec progressivité et sentir les arômes du bousinage

 

            Toute la démarche de fabrication de la coque des fûts a été modifiée. L’alimentation du feu au niveau des chaufferettes a été abordée en différenciant nettement, les opérations de cintrage au cabestan le bousinage et ensuite la phase de concentration aromatique. La gestion du feu au niveau des chaufferettes est pilotée avec une volonté d’avoir des dégagements de chaleur pas très intense, réguliers et ne générant jamais d’effets de surchauffe au niveau des douelles. La coque des fûts est bousinée avec progressivité et homogénéité pendant un intervalle de temps long allant de 40 minutes à une heure en fonction du niveau d’exigence et du type de bois. L’alimentation du feu avec des fragments de bois (du chêne uniquement) est effectuée avec une nature de combustible bien spécifique (en termes de formes, de dimensions des bûchettes et dans leur incorporation) qui est un secret « maison ». La structure particulière du combustible qui alimente les chaufferettes, contribue à piloter l’intensité du feu avec modération, souplesse et constance. Cela laisse le temps au tonnelier d’observer et de « sentir » le déroulement du bousinage.

 

La cuisson maîtrisée des douelles bonifiée par une phase de concentration aromatique

 

            Les douelles sont chauffées en profondeur sans effet de surchauffe à leur surface. Cela facilite le pilotage de cette phase et en accroît surtout les possibilités de modulation. La durée du bousinage devient nettement plus longue et la progressivité de son déroulement permet de concilier des effets de pénétration en profondeur sans accélérer et intensifier la cuisson en surface des douelles. Une fois que cette opération est terminée, une dernière phase de fabrication intervient : la concentration aromatique des douelles. Durant cette étape 100 % naturelle, la coque des fûts se refroidit progressivement et longuement dans une atmosphère confinée qui contribue a fixé les arômes libérés lors de la chauffe. Son principe reste « top-secret » !

 

Un principe de bousinage en profondeur qui bonifie les bois bien secs

 

            Le nouveau procédé de bousinage baptisé, la Chauffe à Cœur, a nécessité plusieurs années d’essais et de calage avant d’être fiabilisé. À chaque type de bois mis en œuvre (grains, fins, moyens ou gros grains), correspond une adaptation des temps, de l’intensité  et du réglage du feu. Le principe de ce concept de bousinage à la fois à la surface et en profondeur dans les douelles « extrait » plus de potentiel du bois d’où l’importance d’utiliser des merrains de qualité. W Navarre accorde beaucoup d’importance à la qualité des bois mis en œuvre pour la fabrication des barriques ayant une Chauffe à Cœur : « Le passage de l’eau-de-vie dans des fûts neufs engendre au bout de seulement un an, une imprégnation des douelles sur déjà 10 mm de profondeur. Avec du vin cela ne dépasse pas 3 à 4 mm. Les eaux-de-vie extraient forcément plus de composés d’où l’importance d’utiliser des bois de qualité. Le séchage du bois à l’air libre avec l’alternance naturelle des saisons (pluvieuses, sèches, froides, chaudes) permet d’éliminer des composés indésirables et d’en faire mûrir d’autres. Ce n’est qu’au but de 24 à 36 mois de maturation naturelle que les douelles sont prêtres à être travaillé. Seul le temps et le la climatologie  permmetent au bois de s’affiner dans les meilleures conditions».

 

Une heure en moyenne pour bousiller une barrique

 

            Le principe de la Chauffe à Cœur douce en surface mais plus profonde dans les douelles ne trouve son plein intérêt qu’en présence de merrains bien secs. Pour satisfaire cette exigence, la tonnellerie Navarre s’est donnée les moyens de construire a progressivement un parc de bois séché à l’air libre (de tout type de grains) sur son site annexe de Luchac. Après presque 10 ans de recul, le procédé de la Chauffe à Cœur est devenu opérationnel et les fabrications de fûts neufs en nette augmentation au cours des dernières années attestent de l’intérêt des utilisateurs. La mise en œuvre de cette pratique est en phase avec la philosophie artisanale de cette PME de Tonnellerie ou les hommes sont les acteurs de la qualité des fûts. La fabrication de ce type de barrique nécessite à la fois plus de temps et une implication accrue du tonnelier pour « faire bon ». La réalisation d’une Chauffe à Cœur demande plus d’une heure alors qu’avec d’autres systèmes de bousinage, deux à trois barriques sont chauffées durant ce même intervalle de temps.

 

           

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