Le nouveau décret étiquetage de « certains produits viticoles » risque de sortir dans les mois qui viennent, mais voilà déjà plus de deux ans que les organisations professionnelles viticoles s’empoignent sur les futures dispositions. Dans le collimateur notamment la mention « mise en bouteille à la propriété » qui oppose les VIF (Vignerons Indépendants de France) au monde de la coopération. L’Etat est invité à rendre son arbitrage avant que le texte soit soumis au Conseil d’Etat.
Sont concernés par le nouveau décret étiquetage les vins, vins mousseux, vins pétillants et vins de liqueur. En l’occurrence, le futur texte a vocation à être un décret de transposition de la réglementation communautaire. Car les produits vitivinicoles sont régis par le règlement communautaire R 1493/1999 qui, lui-même, renvoie à des règles particulières d’étiquetage. Or, comme ces règles font l’objet d’un remodelage au plan européen, les Etats membres sont invités à mettre leur propre texte étiquetage en conformité. Rien de tel pour les eaux-de-vie. Elles répondent au règlement communautaire R 1576 qui, en matière d’étiquetage, s’en remet à la directive générale communautaire. Ainsi, le débat parfois virulent qui traverse le monde du vin épargne celui des spiritueux.
Quand le président des VIF (Vignerons Indépendants de France) est venu en Charentes (voir article page 34), il n’a pas caché la vive implication de son syndicat au sujet du projet de texte. Renseignements pris auprès d’Eric Rosaz, directeur du siège national des VIF, quatre points au moins mobilisent l’attention des Caves particulières. Le plus épineux et le plus polémique concerne la mention « mise en bouteille à la propriété ». Tout simplement, les Vignerons Indépendants contestent aux coopératives le droit d’utiliser cette mention. S’ils n’ignorent pas que les coopératives le font au nom du « prolongement de la propriété », ils disent que ce prolongement n’est inscrit nulle part, dans aucun texte. Et d’arguer de ce manque d’assise juridique pour revendiquer la mention « mise en bouteille à la propriété » au bénéfice exclusif « des gens qui mettent véritablement en bouteille à la propriété ». Les VIF préviennent – « nous sommes très accro. sur le sujet » – et menacent d’intenter un procès si le décret se montrait trop laxiste à leurs yeux. « L’action contentieuse permettra au moins de préciser les choses » se promettent-ils. Evidemment la CCVF* – bras armé de la coopération – ne l’entend pas de cette oreille. Si elle ne nie pas le manque d’assise juridique véritable de la notion de prolongement – « nous n’avons pas attendu les VIF pour le savoir » – elle parle d’une doctrine maintes et maintes fois confirmée par le ministère de l’Agriculture, les Douanes, la DCCRF. Sur la mention elle-même, « ce n’est pas parce que la réglementation ne le prévoit pas qu’elle l’interdit » se défend le service juridique de la confédération. « La coopérative a toujours été considérée comme le prolongement de l’exploitation. C’est la transcription même de la notion de “transparence” des coopératives. Vous pensez bien que si cette transparence devait être remise en cause, les conséquences iraient bien au-delà de la simple mention d’étiquetage. Maintenant, qu’il y ait une difficulté juridique à traduire ceci dans un texte soumis au Conseil d’Etat, sans doute, mais nous arriverons bien à trouver une solution. La sagesse prévaudra. » La coopération jure de tout faire pour préserver cet acquis et signale que la position des VIF n’exprime pas un avis majoritaire. « Les discussions se poursuivent et des rencontres sont prévues au plus haut niveau dès la semaine prochaine (2e semaine de mars – NDLR). Nous restons très mobilisés. Une suppression de la mention ”mise en bouteille à la propriété” n’est pas envisageable. »
Une autre revendication des VIF portait sur la mention obligatoire de la qualité de l’embouteilleur sur l’étiquette. Là aussi, il y avait débat. Selon la lecture qui était faite de l’article 15 du règlement communautaire, les uns considéraient cette mention comme obligatoire et les autres non. Après étude juridique, l’administration a semble-t-il rédigé un texte « a minima ». Au passage, les VIF y gagnent la protection des termes « Vignerons » et « Vignerons Indépendants » qui ne pourront être utilisés sur l’étiquette que par ceux qui en remplissent les conditions. « Cette possibilité offerte aux vignerons indépendants ne nous gêne pas » relève la coopération, bonne fille.
Les noms patronymiques fictifs faisaient partie des points sur lesquels les VIF se déclaraient « assez véhéments ». Leur demande : « que les gens arrêtent de se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas ». Pour pouvoir utiliser un nom patronymique, ils réclamaient que ce nom ait existé au moment de la création de l’entreprise. Dans l’état actuel du projet de décret, la question n’apparaît pas clairement résolue. « L’administration devra trancher » disent les VIF.
« Domaine », « mas »… tels étaient jusqu’alors les deux seuls qualificatifs applicables aux vins de pays. Trouvant ces termes par trop restrictifs, la Confédération française des vins de pays (CFVDP) – en cela appuyée par les VIF – a souhaité profiter de la refonte du décret étiquetage pour réclamer un élargissement du vocabulaire. Mais comme les qualificatifs relatifs aux vins de pays étaient prévus par une loi inscrite à l’article L 641-23 du code rural, seule une loi pouvait défaire ce qu’une autre loi avait fait. Ainsi, la modification figure-t-elle au sein de la future loi sur le développement des territoires ruraux. Il est prévu qu’aux termes « domaine » et « mas » viennent s’adjoindre pour les vins de pays les noms suivants : tour, moulin, abbaye, bastide, manoir, commanderie, monastère, prieuré, chapelle et campagne. Cette liste est limitative. Quant aux expressions « châteaux » et « clos », leur emploi reste réservé aux vignobles d’AOC. De la même manière que pour le terme « château », l’utilisation des termes « monastère », « abbaye », « manoir » ou tout autre terme prévu dans la liste doit s’appuyer sur « un début de commencement de preuve ». Adoptée en première lecture, la loi sur le développement des territoires ruraux devrait passer devant le Sénat fin avril avant de retourner devant l’Assemblée nationale.
Toujours en terme d’étiquetage, les représentants des vins de pays ont également demandé que la mention géographique du vin de pays puisse s’insérer au-dessus de la dénomination « vin de pays », à la manière des AOC. Exemple : « Côtes de Thongue » suivi du terme « vin de pays » alors qu’auparavant ne pouvait s’utiliser que la mention « vin de pays des Côtes de Thongue ». Dans cette perspective, la hauteur des lettres de la dénomination géographique ne saurait être plus du double de celle de la dénomination « vin de pays ». Les AOC arguant du risque de confusion pour repousser cette proposition, il appartiendra aux pouvoirs publics de trancher. Sans présumer de la décision finale, Jérôme Rouzier, directeur de la CFVDP, signale que le projet de texte a reçu l’aval du Conseil national de la consommation, qui regroupait professionnels, consommateurs et pouvoirs publics.
Enfin, pour être complet sur le sujet, signalons que la profession viticole s’est prononcée majoritairement pour la règle des 85/15 concernant les mentions du cépage et du millésime sur l’étiquette. En clair, auparavant, pour faire état d’un millésime ou d’un cépage, il fallait que ce millésime ou ce cépage représente 100 % du vin. Demain, il ne pourra plus constituer que 85 % du produit. Ainsi, un viticulteur pourra-t-il indiquer sur sa bouteille « millésime 2002 », alors même que ce millésime ne représente que 85 % des volumes et que le millésime 2001 compte pour 15 %. Même chose pour le cépage. Cette proposition a semble-t-il recueilli l’accord de la filière, y compris du côté des AOC.
Sur la rédaction du futur décret d’étiquetage, les vins de liqueur à AOC, comme le Pineau ou le Floc, avaient peu de spécificités à faire prévaloir. Une pourtant concerne l’indication du millésime. Les VDL AOC souhaiteraient que ne puisse figurer comme seul millésime que celui de l’année de mutage. La CNAOC a relayé leur demande. Figurera t-elle en clair dans le texte ?
Vins de Pays Val de France
Le projet d’un vin de pays « de France », suite au rapport Berthomeau
L’idée est de bénéficier de volumes importants en vin de cépages pour proposer une offre significative et surtout lisible à l’export. Issue du rapport Cap 2010, cette proposition a recueilli la majorité à l’ANIVIT, l’interprofession des vins de table et de pays. Ainsi, va-t-elle être soumise à la session d’avril du Conseil spécialisé vin de pays de l’ONIVINS, sans pour autant faire l’unanimité au sein de la filière. Les négociants y sont très favorables, tel Jean-Louis Vallet, directeur de Prodis, la filiale vin du groupe Carrefour. Il a animé le groupe de travail sur le sujet à l’ANIVIT. Jean Huillet, président de la Confédération nationale des vins de pays, n’y est pas opposé et avec lui les gens qui considèrent que « si l’on ne fait rien, on va droit dans le mur ». Par contre une opposition très vive se concentre au niveau du Syndicat des producteurs de vin de pays d’Oc qui, à lui seul, représente tout de même 4 millions d’hl de vins de pays agréés. Cette sensibilité sera-t-elle assez forte pour faire pencher la balance ? Car, quelle que soit la décision du Conseil de l’ONIVINS, l’échelon politique sera nécessairement conduit à rendre son arbitrage. L’ANIVIT insiste sur le côté volontaire de la démarche – laissée au libre arbitre des syndicats – et sur les précautions qui entourent le dispositif. Ne pourraient prétendre à la dénomination Val de France que des vins préalablement agréés dans leurs propres dénominations. Par ailleurs, il est prévu de réserver la formule aux vins de pays ayant plus de trois ans d’existence à la date de la sortie du décret, ceci pour éviter le phénomène de vins de pays dont la seule fin consisterait à alimenter le créneau du « Vin de pays Val de France ». « Il s’agit de créer un produit qualitatif ne s’opposant pas aux produits existants, dotant ainsi notre filière d’une nouvelle arme économique française » note l’ANIVIT à travers son communiqué de presse.